Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 19 mai 2022 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français le 15 juillet 2022 au plus tard et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2201819 du 22 novembre 202, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 février 2023, Mme B..., représentée par Me Marques-Melchy, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 22 novembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 19 mai 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime de lui délivrer un titre de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé notamment au regard de ses attaches familiales ;
- la décision de refus de titre de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle satisfait aux conditions posées par l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour obtenir un titre de séjour en qualité d'étudiante ; elle justifie de circonstances particulières qui auraient dû conduire l'administration à déroger aux dispositions de l'article L. 412-1 du même code relatif au visa long séjour ; elle justifie d'une assiduité dans la poursuite de ses études ainsi que de moyens d'existence suffisants ;
- cette décision porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de de la convention européenne des droits de l'homme ;
- elle méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard de son intégration sociale et de l'absence d'attaches dans son pays d'origine ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 8 de de la convention européenne des droits de l'homme ;
- la décision fixant le pays de destination qui se borne à faire état du pays dont le requérant a la nationalité ou serait admissible est contraire aux dispositions de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 26 janvier 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante albanaise, née le 14 janvier 2004 est entrée régulièrement en France avec sa famille le 11 septembre 2018 à l'âge de 14 ans. Suite à l'exécution des mesures d'éloignement du territoire français dont ont fait l'objet ses parents, elle a été confiée au service de l'aide sociale à l'enfance (ASE) par ordonnance du juge des enfants près du tribunal judiciaire de La Rochelle le 24 août 2021, et maintenue dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative auprès de ce service par un jugement du 6 septembre 2021, en tant que mineure étrangère non accompagnée, jusqu'à sa majorité. Le 14 janvier 2022, elle a sollicité son admission au séjour en tant que jeune majeure prise en charge par l'ASE. Par un arrêté du 19 mai 2022, le préfet de la Charente-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme B... relève appel du jugement du 22 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
En ce qui concerne l'arrêté pris dans son ensemble :
2. Mme B... reprend en appel, sans invoquer d'éléments de fait ou de droit nouveaux par rapport à l'argumentation développée en première instance, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation dont serait entachée l'arrêté attaqué. Dès lors, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L.435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié" ou "travailleur temporaire", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ".
4. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée en France à l'âge de 14 ans et qu'elle a été confiée aux services de l'aide sociale à l'enfance à l'âge de 17 ans et sept mois à la suite de l'éloignement de ses parents. Si la requérante qui après avoir été scolarisée en classe allophone au collège a poursuit sa scolarité sans interruption jusqu'en classe de première au sein du lycée de l'image et du son d'Angoulême, la formation reçue, comportant des enseignements classiques de première générale ne peut être regardée comme une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle au sens des dispositions précitées. Si l'intéressée justifie avoir suivi des cours optionnels de théâtre et de cinéma-audiovisuel, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces enseignements seraient liés à un projet précis et identifié de formation professionnelle dont elle aurait constitué le préalable. Par suite, en estimant que Mme B... ne remplissait pas la condition de suivi depuis au moins six mois d'une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, le préfet n'a pas méconnu l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. En deuxième lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, le moyen tiré de ce que la décision portant refus de titre de séjour aurait été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée en France avec ses parents en septembre 2018, à l'âge de 14 ans et a été confiée au service de l'aide sociale à l'enfance en 2021 après l'éloignement de ses parents par le préfet de la Charente-Maritime, ces derniers ayant laissé leur fille mineure seule sur le territoire français. Si elle justifie avoir ensuite conclu un contrat jeune majeur avec le département, ce dernier est échu depuis le 14 juillet 2022 et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait été renouvelé. Si la requérante s'est impliquée dans sa scolarité et a fait preuve d'un comportement volontaire et sérieux, cette scolarité est récente à la date de la décision attaquée et il ne ressort pas des pièces qu'elle ne pourrait la poursuivre hors de France. Les liens qu'elle a noués avec les personnes rencontrées lors de sa scolarité et le soutien dont elle bénéficie de la part de ses enseignants ne sauraient suffire pour permettre d'estimer qu'elle aurait établi le centre de ses intérêts privés et familiaux en France alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle serait isolée dans son pays d'origine où ses parents et son frère ont été reconduits. Par suite, compte tenu des conditions de son séjour en France et de sa situation personnelle, l'arrêté attaqué ne peut être regardé comme ayant porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs au vu desquels il a été pris. Le préfet n'a, dès lors, pas méconnu les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, cette décision n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
9. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".
10. Les éléments évoqués au point 8 du présent arrêt ne sont pas de nature caractériser des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels au sens de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant d'admettre la requérante au séjour sur ce fondement.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
11. Il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 8 du présent arrêt.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
12. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est dépourvu de précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.
13. Il résulte de ce tout qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 mai 2022. Par suite sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte, ainsi que celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre des outre-mer.
Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 15 juin 2023 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2023.
La rapporteure,
Birsen C...Le président,
Jean-Claude PauzièsLa greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX00533