Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté en date du 22 novembre 2022 par lequel la préfète de la Haute-Vienne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n°2201663 du 23 janvier 2023, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistré le 22 février 2023, le 4 mai 2023 et le 22 mai 2023, M. B..., représenté par Me Mindren, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 janvier 2023 du tribunal administratif de Limoges ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2022 de la préfète de la Haute-Vienne ;
3°) d'enjoindre à la Préfète de la Haute-Vienne de lui fixer un rendez-vous pour qu'il puisse déposer une demande de titre de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le jugement est irrégulier en l'absence de signature de la minute ;
- il est entaché d'erreur de droit en jugeant qu'il ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'accord franco-algérien et de la circulaire du 28 novembre 2022 ;
- le premier juge a procédé à une substitution de base légale et de motifs en méconnaissance du respect du contradictoire ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors qu'il n'a pas été mis en mesure de présenter des observations préalablement à son édiction en méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;
- elle est entaché d'erreur de droit dès lors qu'étant entré sous couvert d'un visa sa situation ne relève pas de l'article L. 611-1 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur de droit ou d'appréciation au regard de l'article L. 611-1-2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que l'absence de demande de régularisation résulte de l'impossibilité d'obtenir un rendez-vous en préfecture ;
- il ne pouvait faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dès lors qu'il disposait d'un droit au séjour sur le fondement de l'article 6-5° de l'accord franco-algérien ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour :
- elle est entachée d'erreur de droit et d'appréciation au regard de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle a été prise en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 mai 2023, la préfète de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas,
- et les observations de Me Mindren, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant algérien né le 8 juin 1981, est, selon ses déclarations, entré le 30 novembre 2019 en France, muni d'un visa de court séjour. Par un arrêté du 22 novembre 2022 la préfète de la Haute-Vienne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, et lui a interdit le retour en France pendant un an. M. B... fait appel du jugement du 23 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 741-8 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire est jugée par un magistrat statuant seul, la minute du jugement est signée par ce magistrat et par le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement comporte la signature du magistrat désigné et du greffier d'audience. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait irrégulier doit être écarté.
3. Il ressort des pièces du dossier que dans son mémoire en défense enregistré le 20 décembre 2022 dont le conseil du requérant a pris connaissance le 26 décembre 2022, la préfète de la Haute-Vienne exposait les motifs qui l'avaient conduit à se fonder sur le 1° de l'article L. 611-1 pour prononcer la décision d'obligation de quitter le territoire français et faisait valoir qu'au surplus en raison de l'expiration de son visa, la situation de M. B..., qui s'était maintenu en situation irrégulière sur le territoire, relevait du 2° de ce même article. Ce faisant, elle doit être regardée comme ayant sollicité une substitution de base légale sur laquelle le requérant a été mis à même de présenter ses observations avant l'audience du 12 janvier 2023. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le premier juge a procédé à une substitution de base légale en méconnaissance du principe du contradictoire.
4. Enfin le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait entaché d'erreur de droit en jugeant que M. B... ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'accord franco-algérien et de la circulaire du 28 novembre 2018 se rapporte au bien-fondé du jugement et non à sa régularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
5. En premier lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts.
6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal d'audition de l'intéressé, que préalablement à la décision prise à son encontre, M. B... a été entendu par les services de police sur sa situation, notamment familiale et administrative, sur son parcours et sur son état de santé, que les services de police lui ont indiqué qu'une mesure d'éloignement à destination de son pays était susceptible d'être prise à son encontre et qu'ils lui ont demandé s'il avait des observations à formuler sur ce point, ce qu'il a fait. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier que M. B... ait été empêché de faire valoir d'autres observations. Dans ces conditions, la décision en litige ne peut être regardé comme ayant été pris en méconnaissance du droit de M. B... à être entendu.
7. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : /1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré (...) ".
8. L'arrêté attaqué a été pris sur le fondement du 1° de l'article L. 611-1 au vu de l'absence de production de son visa par l'intéressé et de son maintien sur le territoire en l'absence de titre de séjour. Si le requérant produit pour la première fois en appel son passeport revêtu d'un visa valable du 1er septembre au 30 novembre 2019, il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal d'audition de l'intéressé en date du 22 novembre 2022, que, depuis son entrée sur le territoire français, le 4 novembre 2019 et après l'expiration du son visa, M. B... n'a effectué aucune démarche en vue de régulariser sa situation. Sa situation entrait ainsi dans le champ d'application du 2° de l'article L. 611-1 précité, sans que le requérant ne puisse utilement soutenir que cette situation résulte de l'impossibilité d'obtenir un rendez-vous en préfecture alors que les démarches dont il se prévaut sont toutes postérieures à l'arrêté en litige. Dès lors, il y a lieu de procéder à la substitution de base légale demandée par la préfète qui ne prive l'intéressé d'aucune garantie. Par suite, les moyens tirés de l'erreur de droit et d'appréciation dont serait entachée la décision attaquée au regard de l'article L. 611-1 doivent être écartés.
9. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : / (...) / 5. Au ressortissant algérien qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. M. B... se prévaut de sa présence en France depuis novembre 2019, de la nécessité de sa présence auprès de ses parents, qui sont en situation régulière, en raison de leur état de santé et de dépendance, de la présence en France de nombreux membres de sa famille en situation régulière et de son activité professionnelle en tant que monteur de lignes de fibres optiques depuis septembre 2021. Le requérant produit pour la première fois en appel des éléments permettant d'établir la présence en France de ses parents, d'une de ses sœurs et de différents membres de sa famille ainsi que de son activité professionnelle. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation de santé et de dépendance de ses parents serait telle que sa présence serait indispensable à leurs côtés, ni qu'il serait le seul membre de la famille à pouvoir leur porter assistance, alors en outre que M. B... vit et travaille à Angoulême tandis que ses parents résident en région parisienne, et qu'il ne justifie pas leur rendre visite régulièrement. Dans ces conditions alors que son séjour en France est récent, qu'il est célibataire et sans enfant, qu'il a vécu jusqu'à l'âge de 38 ans en Algérie, où résident ses autres frères et sœurs, la décision faisant obligation à M. B... de quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Les moyens tirés de ce qu'il disposait d'un droit au séjour en application de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien et que la mesure d'éloignement prise à son encontre méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent par suite être écartés.
11. Enfin, si le requérant a entendu reprendre en appel, le moyen tiré de ce que sa situation entrait dans les prévisions de la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'intérieur relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière doit être écarté par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour :
12. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".
13. Il ressort des termes mêmes des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace.
14. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté en litige a été pris à la suite de l'examen d'ensemble de la situation de l'intéressé au vu des éléments dont l'administration avait connaissance à la date de sa signature. Ont ainsi été pris en compte les conditions de l'entrée de M. B... et son maintien en situation irrégulière sur le territoire français, la présence de ses parents et le fait qu'il ne justifiait pas de la nécessité de sa présence à leurs côtés, l'absence de preuve de l'existence de liens d'une particulière intensité sur le territoire national et la présence en Algérie de membres de sa famille. En outre, l'arrêté en litige n'a pas à préciser expressément la nature et le degré de menace pour l'ordre public présentée par M. B..., dès lors que cette circonstance n'a pas été retenue par la préfète. Au regard de ces éléments et des dispositions énoncées à l'article L. 611-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'en prenant la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an que comporte cet arrêté, la préfète de la Haute-Vienne aurait entaché sa décision d'une erreur de droit.
15. Au vu du caractère récent de son séjour, de son maintien en situation irrégulière et de l'absence de démarches avant l'édiction de l'arrêté en litige, ainsi que des motifs exposés au point 9, le moyen tiré de ce que la décision en litige est entachée d'erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
16. Enfin, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 9.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 22 novembre 2022. Par suite sa requête doit être rejetée y compris ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 15 juin 2023, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juillet 2023.
La rapporteure,
Christelle Brouard-LucasLe président,
Jean-Claude Pauziès
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 23BX00524