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04/07/2023 | FRANCE | N°23BX00368

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 04 juillet 2023, 23BX00368


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 11 février 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n°2204019 du 9 janvier 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a entièrement fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8

février 2023, la préfète de la Gironde demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 11 février 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n°2204019 du 9 janvier 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a entièrement fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 février 2023, la préfète de la Gironde demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 9 janvier 2023 ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. C... devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de M. C... une somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- M. C... ne justifie pas de son état civil ;

- elle n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 avril 2023, M. C..., représenté par Me Coste, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde de lui restituer, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, le jugement supplétif n°7518 du 6 novembre 2018, son acte de naissance 209 RGS SP du 09 11 2018 et sa carte d'identité consulaire malienne et à ce qu'une somme de 1 800 euros soit mise à la charge de l'Etat et au profit de son conseil en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

M. C... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. B....

- et les observations de Me Coste, représentant M. C...

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., de nationalité malienne, né le 16 mai 2003, est entré irrégulièrement en France le 10 décembre 2018. Il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance de la Gironde à compter du 1er février 2019. Par un arrêté du 1er février 2022, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer le titre de séjour qu'il sollicitait sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi. La préfète de la Gironde relève appel du jugement du 9 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". L'article R. 431-10 du même code prévoit que : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Aux termes du II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : " Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet. / La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. / Un décret en Conseil d'Etat précise les actes publics concernés par le présent II et fixe les modalités de la légalisation. "

3. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. C... a produit les documents justifiant de son identité à l'appui de sa demande de titre de séjour. Par suite, la préfète de la Gironde, qui se borne à contester l'authenticité de ces documents, n'est pas fondée à soutenir que cette demande aurait été présentée en méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

4. D'autre part, lorsqu'est produit devant l'administration un acte d'état civil émanant d'une autorité étrangère qui a fait l'objet d'une légalisation, sont en principe attestées la véracité de la signature apposée sur cet acte, la qualité de celui qui l'a dressé et l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. En cas de doute sur l'authenticité de la signature, sur l'identité du timbre ou sur la qualité du signataire de la légalisation, il appartient à l'autorité administrative de procéder, sous le contrôle du juge, à toutes vérifications utiles pour s'assurer de la réalité et de l'authenticité de la légalisation. En outre, la légalisation se bornant à attester de la régularité formelle d'un acte, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil légalisé établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

5. La préfète de la Gironde fait valoir, d'une part, que la carte d'identité consulaire délivrée par les autorités maliennes au nom de M. C... n'est pas un document d'état civil et ne présente aucune force probante particulière, d'autre part, que ni l'ordonnance du juge des enfants près la cour d'appel de Bordeaux du 5 février 2019 ni le jugement du 4 octobre 2019 par lequel le même juge a confié M. C... au département de la Gironde, établis au vu du seul rapport de la structure d'accueil, ne sont de nature à établir sa minorité puisque la décision du juge des enfants n'est pas une constatation de faits retenue par le juge judiciaire répressif de nature à s'imposer au juge administratif, et, au demeurant, que ce jugement ne prend pas position avec certitude sur l'âge de l'intéressé.

6. La préfète entend également se prévaloir du rapport émis par les services de la direction zonale de la police aux frontières le 17 mars 2021. Il ressort de ce rapport que l'acte de naissance produit ne comporte aucune référence à son imprimeur ni numération spécifique du support permettant son archivage en méconnaissance des dispositions applicables au Mali. En outre, il comporte une faute d'orthographe dans sa partie pré-imprimée et n'a pas été établi dans le district prescrit par le jugement supplétif. Par ailleurs, si ce rapport relève que les tampons du jugement supplétif n°7518 établi le 6 novembre 2018 sont altérés par la plastification et que ce jugement ne porte pas la trace de sa transcription dans le registre d'état civil, il indique également que ce document présente un formalisme, des mentions pré-imprimées et des marques de validation de l'autorité administrative conformes.

7. Ainsi, à supposer même que l'authenticité de l'extrait de naissance produit par M. C... soit sujette à caution en dépit de l'attestation établie le 28 mars 2022 par l'officier d'état civil qui soutient l'avoir établi ainsi que des explications du consul général du Mali à Lyon, l'authenticité du jugement supplétif susmentionné n'est pas sérieusement contestée. Or, ce jugement, qui constitue le justificatif originel à partir duquel doivent être établis l'ensemble des documents d'état civil et d'identité des ressortissants maliens, permet, à lui seul, d'attester de l'identité de l'intéressé et, notamment, de sa date de naissance.

8. En second lieu, aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française. ".

9. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Si ces conditions sont remplies, il ne peut alors refuser la délivrance du titre qu'en raison de la situation de l'intéressé, appréciée de façon globale au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le juge de l'excès de pouvoir exerce sur cette appréciation un entier contrôle.

10. D'une part, il ressort de ce qui a été dit précédemment que M. C... justifie être né le 16 mai 2003 et, par suite, qu'il était âgé de moins de seize ans lorsqu'il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance de la Gironde à compter du 1er février 2019.

11. D'autre part, il ressort de l'avis de la structure d'accueil qu'en dépit d'une adaptation initialement difficile, M. C... a été rapidement inscrit au CRFP de l'institut Don Bosco à Gradignan afin de participer à des ateliers techniques destinés à favoriser la découverte des métiers, notamment dans le secteur du bâtiment, qu'il y a fait preuve " de sérieux, de motivation et n'a jamais été absent ". Cet avis indique également qu'il a régulièrement sollicité les référents de cette dernière structure " pour que nous l'aidions à progresser en français et en mathématiques. Il a travaillé avec les équipes et parfois en autonomie avec le matériel et les livres que l'institution a mis à sa disposition. Il a ensuite participé quotidiennement aux cours dispensés par l'enseignant recruté par la structure ". Enfin, cet avis relève qu'il fait " preuve de beaucoup d'abnégation pour réussir " et qu'il est " très autonome et débrouillard ". Par ailleurs, il a obtenu un CAP " monteur en installation sanitaire " en juin 2021 avec une moyenne de 12,54 sur 20. Depuis le 1er septembre 2021, il est inscrit en CAP monteur en installation thermique auprès de l'association ouvrière " Les Compagnons du Devoir " en alternance avec un apprentissage auprès de l'entreprise Bobion et Joanin. Son contrat devait prendre fin le 31 août 2022 mais il lui avait d'ores et déjà été proposé de le garder comme apprenti dans l'hypothèse où il souhaiterait poursuivre des études secondaires en lycée professionnel tandis que son employeur a indiqué son souhait de le recruter définitivement à l'issue de ses études.

12. Dans ces conditions, eu égard au sérieux qu'il a manifesté dans le suivi de ses études, à l'avis particulièrement positif des structures d'accueil ainsi qu'à la qualité de son insertion notamment professionnelle, et quand bien même il a conservé des attaches familiales dans son pays d'origine, la préfète de la Gironde a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui délivrer un titre de séjour en application des dispositions précitées de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Gironde n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont annulé son arrêté du 11 février 2022 et lui ont fait injonction de délivrer à M. C... le titre de séjour qu'il sollicitait. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

14. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et sous réserve d'éventuelles poursuites engagées à l'encontre de M. C... à raison de la production de ces documents, d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui restituer, dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt, le jugement supplétif n°7518 du 6 novembre 2018, son acte de naissance 209 RGS SP du 09 11 2018 ainsi que sa carte d'identité consulaire malienne confiées à l'administration dans le cadre de l'examen de sa demande de titre de séjour. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais exposés pour l'instance :

15. En application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle et L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et au bénéfice de Me Coste la somme de 1 200 euros sous réserve que celle-ci renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la préfète de la Gironde est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde, sous réserve d'éventuelles poursuites engagées à l'encontre de M. C... à raison de la production de ces documents, de restituer à M. C..., dans un délai de huit jours à compte de la notification du présent arrêt, le jugement supplétif n°7518 du 6 novembre 2018, son acte de naissance 209 RGS SP du 09 11 2018 ainsi que sa carte d'identité consulaire malienne.

Article 3 : Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat et au bénéfice de Me Coste la somme de 1 200 euros sous réserve que celle-ci renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 13 juin 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,

Mme Agnès Bourjol, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juillet 2023.

Le rapporteur,

Manuel B...

La présidente,

Marie-Pierre Beuve DupuyLa greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°23BX00368 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00368
Date de la décision : 04/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BEUVE-DUPUY
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : COSTE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-07-04;23bx00368 ?
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