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04/07/2023 | FRANCE | N°22BX02079

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 04 juillet 2023, 22BX02079


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 12 avril 2021 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai d'un mois, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n°2100627 du 21 juin 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé l'arrêté du 12 av

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 12 avril 2021 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai d'un mois, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n°2100627 du 21 juin 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé l'arrêté du 12 avril 2021 et a enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer à M. C... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 juillet 2022, le préfet de la Guadeloupe demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 21 juin 2022.

Il soutient que :

- sa décision n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, M. C... ne peut être considéré comme faisant preuve d'une volonté d'insertion et d'intégration professionnelle en France ; alors qu'il indique exercer depuis 2018 une activité d'ouvrier polyvalent, ses avis d'imposition ne font, pour la plupart, état d'aucun revenu ; il s'est, ainsi, rendu coupable de fraude fiscale ; il n'a aucune expérience professionnelle en qualité d'ouvrier polyvalent ; faute pour l'offre de l'emploi pour lequel M. C... a été recruté d'avoir fait, de la part de l'employeur, l'objet d'une publication par Pôle Emploi, il n'a pas été possible de vérifier qu'elle pouvait être pourvue par des ressortissants français ou des ressortissants étrangers admis à travailler ; par une décision du 20 février 2020, la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités a émis un avis défavorable à la demande de titre de séjour en qualité de salarié de M. C..., qui, de ce fait, a exercé son activité professionnelle de manière illégale ; par ailleurs, M. C... est arrivé clandestinement en France en 2009 selon ses déclarations, et non pas depuis 2008 comme indiqué par le tribunal, s'y est maintenu malgré deux refus de titre qui lui ont été opposés en 2010 et 2014 et n'établit pas y être resté de façon continue et stable depuis dix ans ;

- M. C... ne peut prétendre à un titre de séjour en qualité de conjoint de ressortissant français sur le fondement de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il ne justifie pas d'une entrée régulière en France et ne démontre, ni même n'allègue, avoir sollicité un visa de long séjour à ce titre ;

- son mariage avec une ressortissante française ayant été célébré depuis deux ans et sept mois, il ne pouvait bénéficier des dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et pouvait être éloigné du territoire français ;

- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ont pas été méconnues dès lors que M. C... s'est maintenu de façon irrégulière en France depuis qu'il y est arrivé et qu'il ne justifie pas suffisamment y avoir des attaches privées ou familiales alors qu'il en a conservées dans son pays d'origine.

Par mémoire enregistré le 19 mai 2023, M. C..., représenté par Me Navin, conclut au rejet de la requête à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Guadeloupe de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le préfet ne peut utilement se prévaloir de la nouvelle codification des articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que la décision contestée, comme le jugement attaqué, sont intervenus sous le régime de l'ancienne codification ;

- le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français ne sont pas suffisamment motivés ; la motivation ne prend pas suffisamment en compte les éléments de sa situation ;

- ces décisions sont entachées d'erreur d'appréciation au regard de sa situation personnelle et familiale ; l'arrêté mentionne d'ailleurs une personne autre que lui ; il ne représente aucune menace pour l'ordre public ;

- ces décisions sont intervenues en méconnaissance des 4° et 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elles ont été prises en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision d'interdiction de retour est également insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'incompétence ;

- elle est entachée d'erreur de droit dès lors que le préfet ne s'est pas prononcée sur chacun des critères prévus par le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et familiale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Elisabeth Jayat a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant haïtien né le 11 mars 1983, est entré en France clandestinement, selon ses déclarations, en 2008 ou en 2009. Les 10 décembre 2010 et 4 février 2014, le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " et a prononcé à son encontre des obligations de quitter le territoire français qu'il n'a pas exécutées. M. C... a sollicité un titre de séjour le 24 septembre 2018 en qualité de salarié, puis en qualité de conjoint de ressortissant français. Par un arrêté du 12 avril 2021, le préfet de la Guadeloupe a rejeté cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Le préfet de la Guadeloupe relève appel du jugement du 21 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé cet arrêté du 12 avril 2021 pour méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et lui a enjoint de délivrer à M. C... une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale ".

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., dont il est établi, notamment par les documents produits concernant ses contrats de travail, qu'il a sa résidence habituelle en France depuis 2018, a épousé le 25 août de cette année 2018 à Le Moule Mme B... A..., ressortissante française, et que la communauté de vie entre les époux, qui avait débuté avant leur mariage, n'a pas cessé depuis. Il ressort encore des pièces du dossier que M. C..., qui a demandé un titre de séjour au mois de septembre 2018, exerce depuis le 1er décembre 2019, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, la profession de vendeur polyvalent, pour laquelle il perçoit des revenus régulièrement déclarés, avec ceux de son épouse, dans le cadre de leur déclaration commune de revenus. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, au regard de la durée de son séjour en France, des liens anciens et stables qu'il y a développés, de son contrat de travail, qui témoigne de son insertion professionnelle, et alors même que M. C... a vécu en Haïti jusqu'à l'âge de 25 ans où résident son frère et sa sœur et qu'il n'a pas exécuté les deux mesures d'éloignement précédemment prises à son encontre par le préfet de la Guadeloupe en 2010 et 2014, il doit être regardé comme ayant fixé, à la date de l'arrêté en litige du 12 avril 2021, le centre de ses intérêts privés et familiaux sur le territoire national.

4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Guadeloupe n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'arrêté du 13 août 2021 avait porté au droit au respect de la vie privée et familiale de M. C... une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'ont, pour ce motif, annulé. Sa requête doit, par voie de conséquence, être rejetée.

5. Le présent arrêté, qui rejette la requête du préfet de la Guadeloupe, ne remet pas en cause l'injonction prononcée par le tribunal de délivrer à M. C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, les conclusions d'appel de M. C... à cette fin sont sans objet. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros à M. C... au titre des frais d'instance exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Guadeloupe est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. C... la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel de M. C... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. D....

Copie en sera adressée au préfet de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Nathalie Gay, première conseillère ;

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2023.

La première assesseure,

Nathalie Gay

La présidente-rapporteure,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX02079


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02079
Date de la décision : 04/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Elisabeth JAYAT
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : NAVIN

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-07-04;22bx02079 ?
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