Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 9 mai 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a interdit son retour pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2203973 du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 31 janvier 2023, M. A... B..., représenté par Me Saint-Martin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 1er décembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 mai 2022 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le même délai et sous la même astreinte, ainsi que de procéder sans délai à l'effacement de son inscription au fichier Système d'information Schengen ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. B... soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
- le tribunal a entaché sa décision d'un défaut d'examen du moyen tiré du vice de procédure résultant de la méconnaissance de l'article L. 432-13 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne l'arrêté pris dans son ensemble :
- il est insuffisamment motivé et ne permet pas de s'assurer que l'autorité préfectorale a procédé à un examen réel et sérieux de la situation du requérant ;
- il a été pris en méconnaissance du droit du requérant à être entendu.
En ce qui concerne la décision portant refus de séjour :
- elle est irrégulière faute de saisine de la commission du titre de séjour en méconnaissance de l'article L. 432-13 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle a été édictée en méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle a été édictée en méconnaissance de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle a été édictée en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation de ses conséquences sur sa situation.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- la décision est illégale en raison de l'illégalité du refus de séjour qui la fonde ;
- elle porte une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle a été édictée en méconnaissance de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle porte atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants en méconnaissance du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- la décision est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français sur laquelle elle se fonde ;
- elle porte une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la décision fixant l'interdiction de retour en France :
- la décision est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français sur laquelle elle se fonde ;
- elle a été édictée en méconnaissance des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 avril 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 14 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 24 avril 2023 à 12h00.
M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 26 janvier 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique, ont été entendus :
- le rapport de Mme C...
- et les observations de Me Saint-Martin, représentant le requérant.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant nigérian né le 9 novembre 1992, déclare être entré irrégulièrement en France le 31 juillet 2010, à l'âge de 17 ans. Le 7 juin 2011, il a sollicité le bénéfice de l'asile, qui lui a été refusé par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides en date du 27 avril 2012. Le 27 septembre 2012, M. B... s'est vu délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'admission exceptionnelle au séjour. Son droit au séjour lui a été régulièrement renouvelé, le dernier titre lui ayant été délivré au vu de ses liens personnels et familiaux en France, avec une date de validité jusqu'au 28 décembre 2021. Le 2 décembre 2021, M. B... a sollicité le renouvellement de ce dernier titre de séjour et s'est vu remettre un récépissé, valable jusqu'au 12 juillet 2022. Par un arrêté du 9 mai 2022, la préfète de la Gironde a refusé à l'intéressé le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire pour une durée de deux ans. Par un jugement du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de cet arrêté. M. B... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / (...) ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ". Aux termes de l'article L. 412-5 du même code : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire (...) ".
3. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. B... a saisi la préfète de la Gironde d'une demande de renouvellement du titre de séjour qui lui avait été délivré au vu de ses liens personnels et familiaux en France et lui avait été continuellement renouvelé depuis le 27 septembre 2012. Bien que l'intéressé soit entré irrégulièrement en France le 30 juillet 2010, il a commencé à séjourner de façon régulière et continue sur le territoire à compter du 7 juin 2011, date à laquelle il a déposé une demande d'asile, soit depuis près de 11 ans à la date de la décision attaquée, ce qui rend impossible son éloignement en vertu des dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par ailleurs, M. B..., qui est père de deux enfants nés en 2017 et 2020 sur le sol français, issus de sa relation avec une compatriote, justifie d'une insertion professionnelle en France par la production d'un contrat de travail à durée indéterminée le recrutant, à compter du 20 septembre 2021, en qualité de plongeur au sein de l'Hôtel Renaissance, situé à Bordeaux. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé aurait conservé des liens privés et familiaux dans son pays d'origine qu'il a quitté à l'âge de 17 ans. Dans ces conditions, M. B..., qui a vu son droit au séjour renouvelé pendant près de dix ans par l'autorité préfectorale, sans qu'y fassent obstacle ni les diverses condamnations dont il a fait l'objet, ni ses conditions d'insertion au regard du travail ou de la vie privée et familiale, ni la présence irrégulière de sa compagne sur le territoire français, est fondé à soutenir que la préfète de la Gironde a, en refusant de lui renouveler son titre de séjour, porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
4. D'autre part, pour refuser de renouveler le titre de séjour de M. B..., la préfète de la Gironde a également considéré que ce dernier représentait une menace pour l'ordre public dès lors qu'il était signalé au fichier du Traitement des antécédents judiciaires, pour des faits de violence commis le 24 janvier 2020 ayant entraîné une incapacité de travail n'excédant pas huit jours, et qu'il avait fait l'objet de trois condamnations pénales, la première à 500 euros d'amende avec sursis pour des faits d'usage de faux document et de conduite d'un véhicule sans permis commis les 6 et 19 septembre 2014, la deuxième à 400 euros d'amende le 5 janvier 2017 pour des faits de conduite d'un véhicule sans assurance commis le 15 octobre 2016, et la troisième à 100 euros de dédommagement assortie de l'obligation d'accomplir un stage de citoyenneté de six mois le 10 septembre 2021 pour des faits de menace de mort ou d'atteinte aux biens à l'encontre d'un chargé de mission de service public commis le 22 février 2021. Pour regrettables qu'elles soient, ces condamnations, qui sont anciennes pour deux d'entre elles et n'ont jamais été opposées au requérant lors de ses précédentes demandes de renouvellement de titre de séjour, ne suffisent pas, à elles seules, à faire regarder la présence de M. B... sur le territoire français comme constituant actuellement une menace pour l'ordre public. Par suite, la préfète de la Gironde a méconnu les dispositions de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Il y a lieu, dès lors, d'annuler la décision de la préfète de la Gironde du 9 mai 2022 portant refus de renouvellement de titre de séjour, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions du même jour par lesquelles la préfète a obligé M. B... à quitter le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans en l'informant de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen pour la durée de cette interdiction.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ".
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint à la préfète de la Gironde de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et d'effacer sans délai les données le concernant dans le système d'information Schengen. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
8. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 26 janvier 2023. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Saint-Martin, sous réserve qu'il renonce à percevoir la part de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2203973 du 1er décembre 2022 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : Les décisions du 9 mai 2022, par lesquelles la préfète de la Gironde a refusé le renouvellement du titre de séjour de M. B..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai d'un mois, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit tout retour sur le territoire pour une durée de deux ans, sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Gironde de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et d'effacer sans délai les données concernant M. B... du système d'information Schengen.
Article 4 : L'Etat versera à Me Saint-Martin, avocat de M. B..., une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Saint-Martin et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Florence Demurger, présidente,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 juin 2023.
La présidente-rapporteure,
Florence C...
Le président-assesseur,
Frédéric FaïckLa greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23BX00297 2