La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2023 | FRANCE | N°21BX04723

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 28 juin 2023, 21BX04723


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de La Rochelle à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de son exposition au tabac sur son lieu de travail à compter de l'année 2013.

Par un jugement n° 1902535 du 28 octobre 2021, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 23 décembre 2021 et le 23 février 2023, Mme A..., re

présentée par Me Dupuy, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1902535 du tribunal ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de La Rochelle à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de son exposition au tabac sur son lieu de travail à compter de l'année 2013.

Par un jugement n° 1902535 du 28 octobre 2021, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 23 décembre 2021 et le 23 février 2023, Mme A..., représentée par Me Dupuy, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1902535 du tribunal ;

2°) de condamner la commune de La Rochelle à lui verser la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la commune de La Rochelle la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en application de l'article 108-1 de la loi du 26 janvier 1984 et de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'administration est tenue de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses employés ; à ce titre, l'administration doit prévenir les risques encourus par les agents publics du fait du tabagisme passif ; d'autant que les articles L. 3511-7 et R. 3511-1 du code de la santé publique interdisent de fumer dans les lieux de travail ;

- la méconnaissance par l'administration de son obligation de veiller au respect des règles d'hygiène et de sécurité afférentes à l'interdiction du tabagisme dans les locaux professionnels constitue une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- la commune de La Rochelle a ainsi engagé sa responsabilité dès lors qu'elle a été exposée au tabagisme sur son lieu de travail depuis le printemps de l'année 2013 ; elle a signalé cette situation aux responsables des services communaux, lesquels sont restés inactifs ;

- une telle méconnaissance a engendré chez elle un préjudice d'angoisse qui doit être réparé ; ce préjudice est constitué par la conscience qu'elle a d'avoir été exposée à un élément pathogène pouvant nuire à sa santé ; il y a un lien de causalité directe entre ce préjudice et la faute commise par la commune.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2023, la commune de La Rochelle, représentée par Me Brossier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme A... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique,

- et les observations de Me Carré se substituant à Me Brossier, représentant la commune de la Rochelle.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a été recrutée par la commune de La Rochelle le 14 octobre 2008 en qualité d'adjointe administrative titulaire à temps complet sur un poste d'assistante commerciale au musée maritime. Estimant avoir été victime de tabagisme passif sur son lieu de travail à partir du printemps de l'année 2013, Mme A... a adressé à la commune une demande préalable d'indemnisation du 24 juin 2019 qui a été rejetée par le maire le 22 août suivant. Mme A... a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à la condamnation de la commune de La Rochelle à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de son exposition au tabac sur son lieu de travail. Elle relève appel du jugement rendu le 28 octobre 2021 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

2. Aux termes de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail ". Aux termes de l'article 2-1 du décret du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale : " Les autorités territoriales sont chargées de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité ".

3. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 3512-8 du code de la santé publique : " Il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif (...) sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs. ". Aux termes de l'article R. 3512-2 du même code : " L'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif mentionnée à l'article L. 3512-8 s'applique : 1° Dans tous les lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail (...) ".

4. Les autorités administratives ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents. Il leur appartient à ce titre, sauf à commettre une faute de service, d'assurer la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet, ainsi que le précise l'article 2-1 précité du décret du 10 juin 1985. A ce titre, il leur incombe notamment de veiller au respect des dispositions de l'article R. 3512-2 du code de la santé publique fixant les conditions d'application de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif. L'agent qui fait valoir que l'exposition au tabagisme passif sur son lieu de travail serait à l'origine de ses problèmes de santé peut rechercher la responsabilité de sa collectivité en excipant de la méconnaissance fautive par cette dernière de ses obligations.

5. Il résulte de l'instruction, et notamment des témoignages précis et concordants produits au dossier, que certains employés, dont la supérieure hiérarchique de Mme A..., fumaient à l'intérieur du musée, dont les locaux étaient imprégnés d'une odeur de cigarettes. Ainsi, Mme A... a été soumise à un tabagisme passif depuis le printemps de l'année 2013, cette date de début d'exposition n'étant pas contestée. Dans ces circonstances, en ne veillant pas à la protection de la santé des agents placés sous son autorité et en n'assurant pas le respect de l'interdiction légale de fumer dans les lieux de travail, la commune de La Rochelle a commis une faute. Cette faute est de nature à engager la responsabilité de la commune vis-à-vis de Mme A....

6. Le droit à réparation est néanmoins subordonné à l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre la faute de la commune et les préjudices invoqués par Mme A....

7. Pour rejeter la demande de Mme A..., les premiers juges ont certes reconnu que la commune de La Rochelle avait manqué à son obligation de procurer à ses agents des conditions de travail conformes à la loi avant de relever que l'intéressée évoluait aussi dans un contexte de travail dégradé, lié à des problèmes d'effectifs et de répartition de tâches à l'origine de relations conflictuelles. Ils en ont déduit que les préjudices invoqués par Mme A..., à savoir la dégradation de son état de santé et les pertes financières résultant de ses arrêts de travail, ne présentaient pas un lien de causalité direct et certain avec la faute de la commune.

8. Mme A... a été placée par son médecin traitant en congé de maladie à compter du 24 mars 2018 en raison d'un état anxio-dépressif lié à une souffrance au travail. Il résulte de l'instruction que Mme A... évoluait dans un contexte professionnel dégradé caractérisé par des problèmes d'effectifs et une surcharge de travail qui ont contribué à son état anxio-dépressif. Toutefois, selon le certificat médical établi le 7 décembre 2018 par son médecin, Mme A... " est actuellement en souffrance à son poste de travail, notamment lié au tabagisme passif dans le bureau...de sa chef de service ". Le médecin auteur du certificat indique que ces faits lui ont été rapportés à plusieurs reprises par Mme A... au cours de leurs consultations depuis 2014. Il peut être déduit de ces éléments que la faute commise par la commune, ayant consisté à ne pas faire respecter l'interdiction de fumer dans les lieux professionnels et à ne pas assurer à Mme A... des conditions de travail protectrices de sa santé, et cela pendant près de cinq années, a contribué, pour partie mais de manière directe et certaine, aux souffrances de cette dernière, lesquelles constituent un préjudice indemnisable. Dans ces conditions, les premiers juges ne pouvaient, pour rejeter la demande dont ils étaient saisis, se limiter au constat que les préjudices invoqués trouvaient aussi leur origine dans les difficultés relationnelles rencontrées au travail pour en conclure qu'il n'existait pas de lien de causalité direct et certain entre ces préjudices et la faute de la commune. Par suite, Mme A... est fondée à demander une indemnisation, mais de la seule part de son état anxio-dépressif résultant du tabagisme passif auquel elle a été exposée entre 2013 et 2018 à la suite de l'inaction de la commune.

9. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation des préjudices subis par Mme A... en lien avec son tabagisme passif, comprenant son préjudice d'anxiété et les pertes financières consécutives à ses arrêts de travail, en les évaluant à la somme de 2 500 euros.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement et de condamner la commune de La Rochelle à verser à Mme A... la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les frais d'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par la commune de La Rochelle tendant à ce que Mme A..., qui n'est pas la partie principalement perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de la commune la somme de 1 500 euros au titre de ces mêmes frais à verser à Mme A....

DECIDE

Article 1er : Le jugement n° 1902535 du tribunal administratif de Poitiers du 28 octobre 2021 est annulé.

Article 2 : La commune de La Rochelle est condamnée à verser à Mme A... la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts.

Article 3 : La commune de La Rochelle versera à Mme A... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la commune de La Rochelle présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de La Rochelle.

Délibéré après l'audience du 15 juin 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Florence Demurger, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2023.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

La présidente,

Florence Demurger

La greffière,

B... Jussy

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX04723 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04723
Date de la décision : 28/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : SCP B C J - BROSSIER - CARRE - JOLY

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-06-28;21bx04723 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award