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20/06/2023 | FRANCE | N°23BX00411

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 20 juin 2023, 23BX00411


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 10 février 2022 par lequel la préfète de la Haute-Vienne a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2200672 du 6 juillet 2022, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 février 2023, M.

B... C..., représenté par Me Pion, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal ad...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 10 février 2022 par lequel la préfète de la Haute-Vienne a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2200672 du 6 juillet 2022, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 février 2023, M. B... C..., représenté par Me Pion, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 6 juillet 2022 ;

2°) d'annuler cet arrêté de la préfète de la Haute-Vienne du 10 février 2022 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Haute-Vienne, à titre principal, du lui délivrer une carte de séjour temporaire mention " étudiant " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans le même délai ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

M. C... soutient que :

- le tribunal, qui n'a pas communiqué son mémoire en réplique enregistré le 22 juin 2022 alors qu'il contenait des éléments nouveaux et qui n'a pas reporté la clôture de l'instruction afin qu'il dispose d'un délai suffisant pour prendre connaissance du mémoire en défense de la préfète, a méconnu les dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative et entaché son jugement d'irrégularité ;

- la décision de refus de renouvellement de son titre de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2023, la préfète de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2023/012774 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 12 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord du 9 octobre 1987 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique, a été entendu le rapport de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant marocain né le 31 janvier 1999, est entré régulièrement en France le 3 septembre 2019, sous couvert d'un visa long séjour portant la mention " étudiant " afin d'y poursuivre des études supérieures, avant de se voir délivrer un titre de séjour en cette qualité, régulièrement renouvelé jusqu'au 31 octobre 2021. Le 10 janvier 2022, il a sollicité le renouvellement de son titre de séjour. Par un arrêté du 10 février 2022, la préfète de la Haute-Vienne a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. C... relève appel du jugement du 6 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. (...) ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ". Aux termes de l'article R. 776-11 de ce code : " Le président de la formation de jugement ou le rapporteur qui a reçu délégation à cet effet peut, dès l'enregistrement de la requête, faire usage du pouvoir prévu au premier alinéa de l'article R. 613-1 de fixer la date à laquelle l'instruction sera close. Il peut, par la même ordonnance, fixer la date et l'heure de l'audience au cours de laquelle l'affaire sera appelée. (...) ". Aux termes de l'article R. 613-3 du même code : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction. ". Aux termes de l'article R. 613-4 du même code : " Le président de la formation de jugement peut rouvrir l'instruction par une décision qui n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. Cette décision est notifiée dans les mêmes formes que l'ordonnance de clôture. (...) "

3. Il ressort du dossier de première instance que, par ordonnance du 17 mai 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Limoges a, dès l'enregistrement de la requête de M. C..., clos l'instruction du dossier au 2 juin 2022 à 17 heures en application de l'article R. 776-11 du code de justice administrative. La préfète de la Haute-Vienne a produit son premier mémoire en défense, enregistré le 31 mai 2022, qui a été communiqué au conseil du requérant par mise à disposition sur l'application Télérecours le 1er juin à 10 heures 46, lequel en a pris connaissance le jour même à 11 heures 35. Le mémoire en réplique produit par M. C..., enregistré le 22 mai 2022, qui n'a pas été communiqué, a été visé sans être analysé par le tribunal. Dans ces conditions, et alors que, par courrier enregistré le 1er juin 2022 à 12 heures 15, le conseil du requérant avait sollicité un report de la clôture d'instruction, eu égard au délai de quelques heures séparant la transmission du premier mémoire en défense et la clôture d'instruction, M. C... est fondé à soutenir qu'il ne lui a pas été permis de répondre utilement à ce premier mémoire en défense avant la clôture de l'instruction. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure suivie devant les premiers juges doit être accueilli.

4. Par suite, il y a lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen relatif à sa régularité, d'annuler le jugement du 6 juillet 2022 et de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Limoges.

Sur la légalité de l'arrêté du 10 février 2022 :

5. En premier lieu, M. Jérôme Decours, secrétaire général de la préfecture de la Haute-Vienne et signataire de l'arrêté contesté, bénéficiait d'une délégation de signature de la préfète de la Haute-Vienne par un arrêté du 25 octobre 2021, régulièrement publié le jour même au recueil des actes administratifs spécial n° 87-2021-124, à l'effet de signer les arrêtés, décisions et actes pris sur le fondement du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. A cet égard, la circonstance que l'arrêté attaqué ne vise pas cet arrêté portant délégation de signature est sans incidence sur sa légalité. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui établit qu'il suit un enseignement en France ou qu'il y fait des études et qui justifie disposer de moyens d'existence suffisants se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " d'une durée inférieure ou égale à un an. (...) ". Aux termes de l'article R. 433-1 de ce code : " L'étranger qui sollicite le renouvellement d'une carte de séjour temporaire présente à l'appui de sa demande les pièces prévues pour une première délivrance et justifiant qu'il continue de satisfaire aux conditions requises pour celle-ci ainsi, le cas échéant, que les pièces particulières requises à l'occasion du renouvellement du titre conformément à la liste fixée par arrêté annexé au présent code. ". Il appartient à l'autorité administrative saisie d'une demande de renouvellement d'une carte de séjour présentée en qualité d'étudiant de rechercher, à partir de l'ensemble du dossier, si l'intéressé peut être raisonnablement regardé comme poursuivant effectivement des études et d'apprécier, sous le contrôle du juge, la réalité et le sérieux des études poursuivies en tenant compte de l'assiduité, de la progression et de la cohérence du cursus suivi.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. C... était inscrit au titre de l'année 2019/2020 à l'école 3IL Ingénieurs à Limoges, avant de se réorienter, au cours de l'année 2020/2021 vers une formation de " concepteur, développeur d'applications " en troisième année, à l'école d'ingénierie informatique de Bordeaux. Il est constant qu'il n'a validé aucune de ces deux années avant de s'inscrire au titre de l'année 2021/2022 à l'ESI Business School de Lyon en première année de mastère " chef de projet IA ", l'intéressé n'ayant validé aucune unité d'enseignement durant l'année universitaire 2019/2020 et ne contestant pas n'avoir suivi aucun cours durant l'année 2020/2021. Si l'intéressé fait état de la perturbation de sa scolarité en raison de l'épidémie de Covid-19, de la souscription d'un emprunt pour financer sa formation, de son isolement familial sur le territoire français, des efforts qu'il a effectués pour travailler en parallèle de ses études dans une enseigne de restauration rapide à compter d'août 2021 et de l'avancement de la formation qu'il suit actuellement, ces circonstances, à les supposer pour certaines établies, ne sont pas suffisantes pour justifier ces deux échecs successifs et l'absence de toute progression dans ses études. Les circonstances qu'il a obtenu des résultats satisfaisants en juin 2022 à l'issue de sa première année de mastère " chef de projet IA " et qu'il s'est inscrit en deuxième année au titre de l'année scolaire 2022/2023, postérieures à la décision attaquée, sont sans incidence sur la légalité de cette dernière. Dans ces conditions, et sans que n'ait d'incidence la circonstance que l'arrêté attaqué comporte, par une simple erreur de plume, une erreur quant au prénom du requérant, il ne ressort pas des pièces du dossier, alors même que le requérant disposerait de moyens d'existence suffisants pour être indépendant financièrement, que la préfète de la Haute-Vienne aurait, en refusant de renouveler le titre de séjour de M. C... en qualité d'étudiant, entaché son arrêté d'une erreur d'appréciation.

8. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

9. Si M. C... est entré en France le 3 septembre 2019 sous couvert d'un visa de long séjour portant la mention " étudiant " et s'est vu délivrer un titre de séjour en cette qualité, renouvelé jusqu'au 31 octobre 2021, il n'avait pas vocation à se maintenir sur le territoire national une fois ses études terminées. En outre, le requérant, qui est sans charge de famille, n'établit pas qu'il entretiendrait des liens personnels et familiaux d'une intensité particulière sur le territoire national. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C..., qui a quitté son pays d'origine à l'âge de 20 ans, serait dépourvu de toute attache familiale au Maroc où réside son père, ou à l'étranger, la mère de l'intéressé résidant en Belgique. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision en litige porterait une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale et méconnaîtrait en conséquence les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 10 février 2022 par lequel la préfète de la Haute-Vienne a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par voie de conséquence, doivent également être rejetées ses conclusions à fin d'injonction.

Sur les frais d'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que sollicite M. C... sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2200672 du tribunal administratif de Limoges du 6 juillet 2022 est annulé.

Article 2 : La demande de M. C... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à Me Pion et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 22 mai 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Florence Demurger, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

M. Anthony Duplan, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 juin 2023.

Le rapporteur,

Anthony A...

La présidente,

Florence Demurger

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23BX00411


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00411
Date de la décision : 20/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur ?: M. Anthony DUPLAN
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : PION

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-06-20;23bx00411 ?
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