Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision en date du 10 juillet 2018 par laquelle le directeur de l'Opéra de Limoges a rejeté le recours gracieux qu'il a formé contre la décision du 25 avril 2018 refusant de renouveler son dernier contrat à durée déterminée en qualité de chef de chœur et lui proposant un contrat à durée indéterminée sur un poste d'assistant à la direction musicale à compter du 15 octobre 2018.
Par un jugement n° 1801377 du 3 décembre 2020, le tribunal administratif de Limoges a annulé la décision du 25 avril 2018 du directeur de l'Opéra de Limoges et la décision du 10 juillet 2018 portant rejet du recours gracieux formé par M. B....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 février 2021 et un mémoire enregistré le
8 décembre 2022, l'Opéra de Limoges, représenté par Me Saint-Supéry, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du
3 décembre 2020 ;
2°) de rejeter la demande de M. B... ;
3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que M. B... avait totalisé, au 30 juin 2017, 72 mois, soit plus de six ans de services publics effectifs sur son emploi de chef de chœur et qu'il devait donc être considéré comme bénéficiant d'un contrat à durée indéterminée pour la période du 1er septembre 2017 au 30 juin 2018 ; en vertu de l'article 3-4 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, les services accomplis de manière discontinue sont pris en compte, sous réserve que la durée des interruptions entre deux contrats n'excède pas quatre mois ; or, du 1er septembre 2008 au 1er septembre 2012, la période de services du requérant a été entrecoupée de périodes d'interruption courant du 1er mai jusqu'au
31 août de chaque année, excédant donc chacune quatre mois, si bien que doivent être pris en compte les seuls services à compter du 1er septembre 2012, entrecoupés d'interruption inférieures à quatre mois ;
- en estimant que la décision attaquée constituait un licenciement, le tribunal a inexactement qualifié les faits ; outre le fait que les premiers juges ont excédé l'étendue de leur contrôle, la décision en litige doit s'analyser comme une décision de non-renouvellement du contrat à durée déterminée de M. B... et non comme un licenciement, puisque l'Opéra n'a pas fait le choix de se séparer de l'intéressé, mais de lui proposer de nouvelles fonctions dans l'intérêt du service ; en les refusant, il a lui-même rompu le lien avec l'Opéra et devait être regardé comme démissionnaire ;
- la décision de non-renouvellement du contrat à durée déterminée de M. B... n'est entachée d'aucune illégalité ; la décision refusant à un agent non titulaire le renouvellement de son contrat à durée déterminée, qui n'est pas de droit, n'a pas à être spécialement motivée ; la proposition de recrutement en contrat à durée indéterminée était elle aussi parfaitement légale et justifiée par l'intérêt du service, tant au regard de la création d'un nouvel emploi d'assistant à la direction musicale que des difficultés relationnelles rencontrées par M. B... avec le chœur ;
- à supposer que la décision contestée doive s'analyser comme un licenciement, c'est également à tort que les premiers juges ont estimé, en procédant à un contrôle entier de la décision, que les nécessités de service ne justifiaient pas ce licenciement, alors qu'il était fondé sur la nécessité de mettre fin aux difficultés relationnelles rencontrées par M. B..., du fait d'un management très contestable de sa part, et que l'Opéra a mis en œuvre plusieurs mesures pour y pallier ;
- le changement d'affectation d'un agent ayant pour objet de faire cesser des tensions est parfaitement justifié, les difficultés managériales de M. B... avec le chœur ayant engendré de sérieux dysfonctionnements dans le service ; en outre est apparue la nécessité d'une réorganisation des services afin que l'Opéra se dote d'un poste d'assistant à la direction musicale, poste qui correspondait parfaitement aux grandes compétences de M. B... ;
- en tout état de cause, le nouveau contrat ne procédait à aucune modification substantielle du contrat de travail de l'intéressé ; le nouveau poste nécessitait des compétences musicales poussées et la rémunération globale annuelle de M. B... était supérieure à celle qu'il avait en tant que chef de chœur.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 10 novembre 2022 et le 20 février 2023, M. A... B..., représenté par Me Martin, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Opéra de Limoges la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par l'Opéra de Limoges ne sont pas fondés ;
- la procédure de licenciement n'a pas respecté les articles 43 et 46 du décret du 15 février 1988 ;
- il doit être regardé comme ayant fait l'objet d'un licenciement alors qu'il était en droit de refuser la modification de son contrat de travail.
Une ordonnance en date du 20 janvier 2023 a fixé la clôture de l'instruction au 20 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 ;
- la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 ;
- la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 ;
- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,
- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Sautereau, représentant l'Opéra de Limoges et de Me Martin, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. L'Opéra de Limoges gère une activité de service public administratif, en régie directe jusqu'à fin août 2015, puis dans le cadre d'une régie personnalisée depuis le 1er septembre 2015. Après avoir assuré quelques dates pour l'Opéra en tant que chef de chœur en mars 2003, M. B... a été recruté, à compter du 1er septembre 2003 et jusqu'au
30 avril 2004, au poste de chef de chœur par un contrat à durée déterminée. A compter de septembre 2006 et jusqu'à septembre 2017, M. B... a été engagé, pour chaque saison artistique qui couvre six à sept mois de l'année, comme chef de chœur par des contrats débutant en septembre et se terminant en avril ou mai jusqu'en 2013, en juin de 2014 à 2017. Par une décision du 25 avril 2018, le vice-président de l'Opéra de Limoges, d'une part, lui a indiqué qu'il ne renouvellerait pas son dernier contrat à durée déterminée à son terme le 30 juin 2018 et, d'autre part, lui a proposé un recrutement par un contrat à durée indéterminée en qualité d'assistant à la direction musicale de l'Opéra à compter du 15 septembre 2018 avec exercice provisoire des fonctions de préparation et de direction du chœur jusqu'au
3 juillet 2019 pour assurer la transition avec le nouveau chef de chœur, poste que M. B... a refusé. L'Opéra de Limoges relève appel du jugement du tribunal administratif de Limoges qui a annulé la décision du 25 avril 2018 du vice-président de l'Opéra de Limoges et la décision du 10 juillet 2018 portant rejet du recours gracieux formé par M. B... à l'encontre de cette décision.
2. Aux termes de l'article 3-3 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version en vigueur à la suite de sa création par la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique : " Par dérogation au principe énoncé à l'article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée et sous réserve de l'article 34 de la présente loi, des emplois permanents peuvent être occupés de manière permanente par des agents contractuels dans les cas suivants : 1° Lorsqu'il n'existe pas de cadre d'emplois de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes ; (...) / Les agents ainsi recrutés sont engagés par contrat à durée déterminée d'une durée maximale de trois ans. Ces contrats sont renouvelables par reconduction expresse, dans la limite d'une durée maximale de six ans. / Si, à l'issue de cette durée, ces contrats sont reconduits, ils ne peuvent l'être que par décision expresse et pour une durée indéterminée ". Selon l'article 3-4 de cette même loi, dans sa version applicable au litige : " II. - Tout contrat conclu ou renouvelé pour pourvoir un emploi permanent en application de l'article 3-3 avec un agent qui justifie d'une durée de services publics de six ans au moins sur des fonctions relevant de la même catégorie hiérarchique est conclu pour une durée indéterminée. / La durée de six ans mentionnée au premier alinéa du présent II est comptabilisée au titre de l'ensemble des services accomplis auprès de la même collectivité ou du même établissement dans des emplois occupés sur le fondement des articles 3 à 3-3. (...) / Les services accomplis de manière discontinue sont pris en compte, sous réserve que la durée des interruptions entre deux contrats n'excède pas quatre mois. / Lorsqu'un agent remplit les conditions d'ancienneté mentionnées aux deuxième à quatrième alinéas du présent II avant l'échéance de son contrat en cours, les parties peuvent conclure d'un commun accord un nouveau contrat, qui ne peut être qu'à durée indéterminée. En cas de refus de l'agent de conclure un nouveau contrat, l'agent est maintenu en fonctions jusqu'au terme du contrat à durée déterminée en cours ".
3. D'une part, il ressort des pièces du dossier et est d'ailleurs expressément reconnu par l'Opéra de Limoges, que M. B... a, au titre de chacun de ses contrats, été recruté afin d'occuper un emploi permanent pour lequel il n'existe pas de cadre d'emplois de fonctionnaires susceptible d'assurer les fonctions correspondantes. Il a bénéficié de douze contrats à durée déterminée, du 11 septembre 2006 au 13 mai 2007 et du 1er septembre 2007 au 25 avril 2008, puis toutes les saisons suivantes du 1er septembre au 30 avril jusqu'en 2012, du 1er septembre au 31 mai en 2013, et enfin du 1er septembre au 30 juin de 2014 à 2018. La seule période d'interruption de plus de quatre mois qu'il ait connue se place ainsi entre le 25 avril 2008 et le 1er septembre 2008. Par suite, et à supposer même que l'on ne prenne en compte que la succession de ses contrats à compter du 1er septembre 2008, aucun de ceux-ci n'est, contrairement à ce que soutient l'Opéra, séparé du suivant par une période de plus de quatre mois. Il y a donc lieu, conformément aux dispositions précitées du II de l'article 3-4 de la loi du 26 janvier 1984, de prendre en compte l'ensemble de ces contrats conclus depuis le 1er septembre 2008, lesquels représentent une durée de 91 mois, soit 7,58 ans. Il s'ensuit que, conformément à l'article 3-3 de la même loi, les contrats à durée déterminée par lesquels M. B... a été recruté ayant excédé une durée de six ans, en application de ces dispositions, le dernier contrat qui a été conclu entre le requérant et l'Opéra de Limoges, qui couvrait la période du 1er septembre 2017 au 30 juin 2018, ne pouvait en réalité être conclu que pour une durée indéterminée. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que, dans ces conditions, M. B... était fondé à faire valoir qu'il devait être regardé comme bénéficiant d'un contrat à durée indéterminée et que, par suite, la décision du 25 avril 2018, qui énonce qu'en cas de refus du nouveau poste proposé, il sera mis un terme à sa collaboration avec l'Opéra à l'échéance de son contrat, le 30 juin 2018, constituait un licenciement.
4. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, pendant les périodes d'exécution de ses contrats, M. B... a fait preuve de compétences techniques certaines dans ses fonctions de chef de chœur, la qualité de son travail étant reconnue par l'Opéra de Limoges qui, pendant de nombreuses années, a renouvelé son engagement contractuel sur le même emploi et lui a adressé, le 25 avril 2018, une proposition de recrutement en contrat à durée indéterminée comme assistant de la direction musicale, poste nouvellement créé, nécessitant des compétences artistiques poussées, qui sont précisément celles de M. B.... Cependant, il ressort également des pièces du dossier, et notamment des nombreuses attestations détaillées et concordantes produites par l'Opéra, y compris celle de son ancien directeur, que, dès son arrivée, M. B... a connu de grandes difficultés managériales et relationnelles avec le chœur, se caractérisant par des scènes d'humiliations, des emportements fréquents, des insultes, y compris en public, et diverses pressions, si bien que plusieurs membres du chœur ont montré des signes de dépression, certains ayant d'ailleurs pour cette raison, préféré quitter la formation. Du fait de ce comportement, un climat délétère s'est installé au sein du chœur, qui, outre les problèmes humains qu'il a pu entraîner, a également été à l'origine de nombreux dysfonctionnements de cette formation et a nui à son image publique et partant, à celle de l'Opéra de Limoges dans son ensemble. Dans ces conditions, et alors que l'Opéra fait valoir qu'il a tenté à maintes reprises de recadrer le management de M. B... et que l'ancien directeur affirme qu'une procédure disciplinaire a été diligentée contre lui à la suite de la plainte d'un chanteur, le comportement de cet agent, suffisamment attesté par les nombreux témoignages produits, doit être regardé comme ayant été de nature à nuire au bon fonctionnement du service, dès lors que le poste de chef de chœur requiert non seulement les compétences artistiques qui sont reconnues à l'intéressé, mais également des compétences managériales. L'Opéra de Limoges est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges s'est fondé, pour annuler la décision contestée du 25 avril 2018, sur la circonstance que les méthodes de management de M. B... n'étaient pas de nature à démontrer l'existence d'un motif lié à l'intérêt du service pouvant fonder légalement son licenciement.
5. Il y a lieu pour la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... à l'encontre de la décision du 25 avril 2018.
6. M. B... s'est plaint devant le tribunal d'une insuffisance de motivation de la décision attaquée. Dès lors qu'elle doit être regardée comme un licenciement, nonobstant le refus parallèle d'un autre poste qui ne correspondait pas à la transformation du poste de chef de chœur, lequel n'était pas supprimé, une telle décision devait être motivée. La décision du 25 avril 2018 se borne à mentionner que " conformément à vos entretiens avec la direction de l'Opéra de Limoges en date des 6, 14 et 24 avril dernier, je vous confirme que celle-ci ne souhaite pas vous maintenir dans votre poste de direction du chœur au-delà de la saison 2018/2019 ". Dans ces conditions, à supposer même que les entretiens auquel il est fait référence aient permis à M. B... de connaître les motifs de son licenciement, il est fondé à soutenir que la décision en litige, qui n'expose pas les raisons qui ont conduit l'Opéra de Limoges à ne pas le maintenir dans son poste, est insuffisamment motivée, et à en demander l'annulation pour ce seul motif.
7. Il résulte de ce qui précède que l'Opéra de Limoges n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a annulé la décision de son directeur du 25 avril 2018 et par voie de conséquence le rejet du recours gracieux.
8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'Opéra de Limoges est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. B... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Opéra de Limoges et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 23 mai 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 juin 2023.
La rapporteure,
Florence Rey-Gabriac
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la préfète de la Haute-Vienne en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
21BX00422 2