La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/06/2023 | FRANCE | N°21BX00021

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 08 juin 2023, 21BX00021


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 5 janvier 2021, le 29 novembre 2021 et le 21 octobre 2022, l'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou (ADEVB), M. A... et Mme B... C..., M. M... J..., M. K... et Mme D... F..., M. N... et Mme E... H... et M. L... et Mme I... G..., représentés par Me Cadro, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 10 septembre 2020 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a délivré à la société Gourvillette Énergies une autorisation unique pour l'exploitation d'une i

nstallation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du ven...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 5 janvier 2021, le 29 novembre 2021 et le 21 octobre 2022, l'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou (ADEVB), M. A... et Mme B... C..., M. M... J..., M. K... et Mme D... F..., M. N... et Mme E... H... et M. L... et Mme I... G..., représentés par Me Cadro, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 10 septembre 2020 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a délivré à la société Gourvillette Énergies une autorisation unique pour l'exploitation d'une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent constituée de quatre aérogénérateurs sur le territoire de la commune de Gourvillette ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'étude d'impact est insuffisante en ce qui concerne le volet acoustique ; l'étude acoustique a été réalisée entre le 10 et le 30 décembre 2015 pour seulement quatre points d'écoute ; la seule campagne de mesure du vent de vingt jours n'a pas permis de définir correctement l'état sonore initial ;

- le traitement des zones réglementaires Natura 2000 est lacunaire ; aucun élément au dossier ne fait mention du projet d'extension de la zone Natura 2000 " Plaine de Néré à Bresdon " initié en 2014, qui concernera en partie la site d'implantation des éoliennes ;

- l'étude d'impact est insuffisante en ce qui concerne le traitement de l'état initial des chiroptères ; seules sept nuits d'écoutes ont été réalisées depuis deux points d'écoute, qui correspondent en réalité à seulement six nuits au regard des problèmes techniques rencontrés, ce qui est insuffisant au regard des enjeux ; aucune écoute en altitude n'a été réalisée ;

- le site d'implantation est insuffisamment justifié dès lors qu'il s'inscrit dans une zone présentant de fortes contraintes écologiques ;

- l'étude d'impact est insuffisante en ce qui concerne le traitement de l'impact visuel du projet ; aucun photomontage n'a été réalisé depuis les abords des monuments historiques les plus proches ;

- le projet porte atteinte à la biodiversité ; la zone de protection spéciale " Plaine de Néré à Bresdon ", fréquentée par 17 espèces d'oiseaux d'intérêt communautaire, dont l'outarde canepetière, est située seulement à 500 mètres au nord du projet et fait l'objet d'un projet d'extension sur le site même d'implantation ; la zone spéciale de conservation " Vallée de l'Antenne ", qui abrite de nombreux chiroptères au statut patrimonial, est située à 540 mètres au sud ; plusieurs zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique et zones importantes pour la conservation des oiseaux sont présentes aux alentours du site ;

- le projet porte atteinte aux chiroptères ; les quatre éoliennes seront implantées à proximité immédiate de haies ou de boisements ; les mesures de bridage prévues par l'arrêté ne sont pas suffisantes ;

- l'atteinte à l'avifaune est trop importante ; 45 espèces sont présentes sur le site d'implantation en période de nidification, dont 5 s'avèrent à fort statut patrimonial ; le site est situé dans un couloir de migration diffuse ; 19 espèces ont été recensées en période prénuptiale et 17 en période postnupiale ; le site est à seulement 500 mètres de la zone de protection spéciale Plaine de Néré à Bresdon, qui est un haut lieu de rassemblement postnuptiaux ;

- la société pétitionnaire n'a pas demandé de dérogation aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1 du code de l'environnement ;

- le projet porte atteinte au paysage, au patrimoine bâti et au cadre de vie des habitants ; le paysage est caractérisé par l'absence de relief marqué ; dix monuments historiques sont situés à moins de 6 kilomètres de l'aire d'implantation immédiate, dont six à moins de 3 kilomètres ; des covisibilités existent depuis un certain nombre de monuments historiques, notamment l'église Notre-Dame de l'Assomption de Villards-les-Bois, l'église Saint Hérie, l'église Saint Symphorien et l'église de Gourvillette ;

- les éoliennes seront visibles depuis Louzignac, Le Gicq, les hauteurs de Massac, les hauteurs de Haimps, l'entrée et la sortie de Beauvais-sur-Matha et le village de Gourvillette ; le parc en cause créera un effet de saturation visuelle et doit en particulier être mis en corrélation avec les projets de Haimps-Massac et des Touches-de-Périgny.

Par des mémoires en défense enregistrés le 27 juillet 2021 et le 26 avril 2022, la société Gourvillette Énergies, représentée par Me Versini-Campinchi conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de l'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou et autres la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens des requérants ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 novembre 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens des requérants ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Charlotte Isoard,

- les conclusions de M. Romain Roussel Cera, rapporteur public,

- les observations de Me Cadro, représentant l'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou et autres, et les observations de Me Duclercq, représentant la société Gourvillette Énergies.

Une note en délibéré présentée par Me Versini-Campinchi, pour la société Gouvillette Energies, a été enregistrée le 30 mai 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 10 septembre 2020, le préfet de la Charente-Maritime a délivré à la société Gourvillette Énergies, une autorisation unique portant sur une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent comprenant quatre éoliennes située sur le territoire de la commune de Gourvillette. L'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou et autres demandent l'annulation de cet arrêté.

2. Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 20 mars 2014 : " L'autorisation unique ne peut être accordée que si les mesures que spécifie l'arrêté préfectoral permettent de prévenir les dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement et, le cas échéant, de : 1° Garantir la conformité des travaux projetés avec les exigences fixées à l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme, lorsque l'autorisation unique tient lieu de permis de construire (...) 3° Respecter les conditions de délivrance de la dérogation mentionnée au 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, lorsque l'autorisation unique tient lieu de cette dérogation (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ". Aux termes de l'article L. 512-1 de ce code : " Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1. L'autorisation ne peut être accordée que si ces dangers ou inconvénients peuvent être prévenus par des mesures que spécifie l'arrêté préfectoral ".

3. Il résulte de l'instruction que le parc éolien envisagé par la société Gourvillette Énergies s'implantera à proximité de deux zones Natura 2000, dont notamment la zone de protection spéciale " Plaine de Néré à Bresdon ", située à 500 mètres au nord, laquelle accueille environ 10 % des effectifs de l'ancienne région Poitou-Charentes de l'outarde canepetière, espèce patrimoniale classée en danger critique d'extinction par la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature, et faisant l'objet d'un plan national d'action mis en œuvre par le ministère de la transition écologique, visant à éviter sa disparition et à favoriser son rétablissement en bon état de conservation, ainsi que 16 autres espèces d'oiseaux d'intérêt communautaire. L'étude de la biodiversité réalisée dans le cadre de l'étude d'impact relève que 45 espèces d'oiseaux nicheurs sont présentes sur le site d'implantation du projet en cause, dont cinq espèces à fort statut patrimonial, au nombre desquelles l'outarde canepetière et l'œdicnème criard. Par ailleurs, s'agissant de l'avifaune migratrice, 19 espèces ont été recensées en période prénuptiale, parmi lesquelles des espèces de rapaces protégés tels que le milan noir, le busard des roseaux et le busard Saint-Martin, ainsi que 17 espèces en période postnuptiale, et 31 espèces sont présentes en période hivernale. Enfin, les éoliennes s'implantent dans un couloir de migration diffuse de l'avifaune. Il résulte en outre de l'instruction que, dans cette zone d'implantation, une sensibilité forte a été identifiée à proximité immédiate de l'éolienne E2 en raison de la contiguïté d'une place de chant de l'outarde canepetière, élément clef pour la reproduction de cette espèce.

4. Dans ce cadre, le pétitionnaire a prévu de mettre en œuvre des mesures d'évitement ou de suppression afin d'atténuer l'impact des éoliennes sur l'avifaune, telles qu'un éloignement minimum de 200 mètres entre les aérogénérateurs, l'installation des lignes d'éoliennes de manière parallèle aux axes de migration et de déplacement local, la mise en arrêt des éoliennes en cas de danger de collision grâce au module " Stop Control " du système DT Bird sur l'éolienne E2, ainsi que l'absence de végétation attractive sous les pales des machines, un balisage de forte intensité la nuit, et la dissuasion de l'approche de ces machines par les oiseaux via le système DT Bird. Malgré ces mesures, l'impact du parc éolien demeure fort en ce qui concerne l'outarde canepetière en raison de la perte de son territoire de reproduction, qui est d'une particulière importance pour la préservation de cette espèce menacée, par effet d'effarouchement. L'impact du parc reste également modéré en ce qui concerne l'œdicnème criard, qui perdra aussi son territoire de reproduction, modéré en ce qui concerne le busard Saint-Martin en raison des risques de collision en période de reproduction, modéré en ce qui concerne la bondrée apivore qui perdra des territoires de chasse et de reproduction par effet d'effarouchement, et modéré en ce qui concerne le milan noir en raison des risques de collision. Au regard de cet impact résiduel, le projet de la société Gourvillette Énergies comporte une mesure compensatoire de mise en place de couverts agricoles d'une surface de 10 hectares, selon elle propices au développement de l'outarde canepetière et notamment à la localisation d'une place de chant pour les mâles en période nuptiale. Cette zone, située à la limite inférieure Sud du périmètre de la zone Natura 2000 " Plaine de Néré à Bresdon " aurait été contractualisée avec les propriétaires terriens, et pourrait, selon l'étude d'impact, bénéficier à d'autres espèces telles que l'œdicnème criard et le busard Saint-Martin. Toutefois, malgré la mise en œuvre de l'ensemble de ces mesures, il résulte de l'instruction que le parc éolien envisagé conservera un impact significatif sur des espèces patrimoniales faisant l'objet de protections fortes, en particulier l'outarde canepetière, dont la population a diminué de 94 % entre 1978 et 2000, et qui encourt un risque d'extinction à court terme. A cet égard, l'impact du parc après la mise en œuvre des mesures de compensation ne peut sérieusement être regardé, ainsi que le suggère l'étude d'impact, de " neutre à positif " pour l'outarde canepetière , alors que la sauvegarde de cette espèce implique de conserver un noyau dynamique de population pour permettre la dispersion des individus vers les autres zones favorables du centre-ouest et que la mission régionale d'autorité environnementale de Nouvelle-Aquitaine a estimé dans son avis du 25 septembre 2018 que " les mesures prises, y compris de compensation, ne permettent pas de s'assurer d'un niveau d'impact résiduel acceptable concernant l'outarde canepetière ". Ainsi, même en tenant compte des mesures de compensation prévues, le projet de société Gourvillette Énergies aura un impact significatif sur la conservation de l'avifaune présente, en particulier pour l'outarde canepetière, mais également pour d'autres espèces d'oiseaux telles que l'œdicnème criard, le busard Saint-Martin et la bondrée apivore. Par ailleurs, il résulte de l'instruction qu'il existe un projet d'extension de la zone de protection spéciale Natura 2000 de la " Plaine de Néré à Bresdon " à proximité immédiate de ce site d'implantation, précisément en raison de la présence de l'outarde canepetière dans cette zone. Dans ces conditions, l'autorisation unique délivrée par le préfet de la Charente-Maritime porte une atteinte significative à l'avifaune, et ainsi à l'un des intérêts protégés par l'article L. 511-11 du code de l'environnement.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que l'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou et autres sont fondés à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 10 septembre 2020.

Sur les frais liés au litige :

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme 1 500 euros à verser à l'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge des requérants, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Gourvillette Énergies demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 10 septembre 2020 est annulé.

Article 2 : L'État versera à l'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Gourvillette Énergies au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou, désignée en tant que représentante unique en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société Gourvillette Énergies.

Délibéré après l'audience du 17 mai 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente,

Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juin 2023.

La rapporteure,

Charlotte IsoardLa présidente,

Christelle Brouard-Lucas

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX00021 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21BX00021
Date de la décision : 08/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BROUARD-LUCAS
Rapporteur ?: Mme Charlotte ISOARD
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : CABINET FCA;MARAS BILLARD AVOCATS (SELARL);SCP BOUYSSOU et ASSOCIES;CABINET FCA

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-06-08;21bx00021 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award