Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Les sociétés Groupe Loisier, Poly Rythmic et Yac Ingénierie ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le département de la Gironde à leur verser une somme 651 177,38 euros au titre des travaux supplémentaires et de l'allongement des délais d'exécution du marché de réhabilitation de l'immeuble " Croix du Palais ", à Bordeaux, et, à titre subsidiaire, de condamner le département de la Gironde à leur verser la somme de 150 754,46 euros en application du taux de rémunération de la maîtrise d'œuvre au surcoût global du montant des travaux, non pris en compte par le maître d'ouvrage.
Par un jugement n° 1905252 du 27 avril 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire récapitulatif, enregistrés le 17 juin 2021 et le 10 mars 2023, les sociétés Groupe Loisier, Poly Rythmic et Yac Ingénierie, représentées par Me Drouineau, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 27 avril 2021 ;
2°) de condamner le département de la Gironde à leur verser la somme 651 177,38 euros toutes taxes comprises et, à titre subsidiaire, de condamner cette collectivité à leur verser la somme de 150 754,46 euros toutes taxes comprises, avec intérêts au taux légal et pénalités de droit ;
3°) d'enjoindre au département de la Gironde d'établir le décompte général et définitif du marché de maîtrise d'œuvre du chantier de réhabilitation de l'immeuble " Croix du Palais " ;
4°) de mettre à la charge du département de la Gironde la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a accueilli la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de leur demande indemnitaire fondée sur le défaut d'envoi d'un mémoire en réclamation au sens de l'article 40.1 du CCAG-PI applicable au marché ;
- le désaccord entre les parties est né de la décision du maître de l'ouvrage qui, le 8 novembre 2018, a informé le maître d'œuvre de la réception du marché de maîtrise d'œuvre avec réfaction pour des manquements au titre des missions DET et assistance aux opérations de réception et au titre de la période de parfait achèvement (AOR) et qui l'a mis en demeure d'établir son projet de décompte dans un délai de 45 jours, décision contestée par courrier du 19 décembre 2018 sur lequel le maître de l'ouvrage a gardé le silence ; dans ce contexte, la société Groupe Loisier, mandataire, a adressé le 22 décembre 2018 son mémoire en réclamation qui mentionnait expressément les montants des sommes dues, les motifs de ses demandes et le détail de ses calculs ; ce mémoire fait état de chaque poste de rémunération supplémentaire en lien avec l'allongement de la durée de la phase des études, la mobilisation des équipes pendant 24 mois supplémentaires et la perte de marge en résultant ; par courrier du 29 janvier 2019, le département de la Gironde a d'ailleurs assimilé son courrier du 22 décembre 2018 à un mémoire en réclamation, l'ayant intitulé comme tel, et l'a rejeté ;
- l'article 17 du CCAG-PI ne subordonne pas le droit du maître d'œuvre à l'augmentation de sa rémunération à une réclamation préalable ; à plusieurs reprises depuis 2011, le mandataire du groupement a sollicité et obtenu, par voie d'avenants, la prise en compte des prestations supplémentaires exécutées ; l'objet de l'avenant n° 3 est de lui permettre de présenter une réclamation pour des honoraires complémentaires ;
- le CCAG-PI n'impose pas que le maître d'œuvre mette en demeure le maître de l'ouvrage d'établir le décompte ;
- le maître de l'ouvrage est débiteur de la somme de 312 542,51 euros HT correspondant aux honoraires complémentaires au titre de prestations supplémentaires liées à la modification du programme, au non-respect par le maître de l'ouvrage de son délai d'approbation des documents, à des défaillances dans l'organisation du chantier, et au titre des prestations décidées par le maître de l'ouvrage et de nature à justifier l'augmentation de la rémunération forfaitaire du maître d'œuvre, qui portaient notamment sur la capacité du bâtiment, le mobilier, la construction d'une parcelle et d'un bureau témoin ;
- le maître de l'ouvrage est débiteur d'honoraires supplémentaires résultant du dépassement des délais d'exécution à hauteur de 230 601,14 euros HT ; s'agissant de la phase études, la durée prévue était de 12 mois et a été en réalité de trois ans; cet allongement est exclusivement lié à des modifications de programme décidées par le maître de l'ouvrage ; s'agissant de la phase travaux, le délai est passé de 16 mois à 24 mois, contraignant la maîtrise d'œuvre à mobiliser ses équipes pendant une période supplémentaire ; les avenants n°1 et 3 n'ont pris en compte ni l'allongement du délai études, porté de 12 à 36 mois, ni la mobilisation de la maîtrise d'œuvre en phase travaux pour un délai supplémentaire de 6 mois et demi ; l'avenant n°3 mentionnait expressément que la maîtrise d'œuvre se réservait le droit de présenter une demande d'honoraires supplémentaires pour les études, plans et missions non compris dans le marché de base et liés aux demandes du maître de l'ouvrage ;
- subsidiairement, ces modifications, par leur ampleur, constituent des sujétions imprévues qui ont bouleversé l'économie du contrat ;
- la maîtrise d'œuvre est fondée à solliciter le versement d'une somme correspondant au taux de rémunération de la maîtrise d'œuvre de 10,50 % au surcoût global du montant de travaux, non pris en compte par le maître de l'ouvrage dans l'avenant n°3.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2022, le département de la Gironde, représenté par la SELARL Cabinet Coudray, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'attente du rapport de l'expert judiciaire, et à ce qu'il soit mis à la charge des sociétés requérantes la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la demande de première instance présentée par la société Groupe Loisier et autres était irrecevable en l'absence de mémoire en réclamation ;
- en outre, la demande résultant du non-paiement de prestations supplémentaires est irrecevable dès lors que la maîtrise d'œuvre est réputée avoir accepté l'ensemble des modifications de programme induites par ordres de service, sur lesquels elle n'a jamais émis de réserves ;
- l'article 5 du marché contient une clause de renonciation à toute réclamation liée à la prolongation de la mission du groupement de maîtrise d'œuvre, insérée par voie d'avenant n°3 du 23 septembre 2016 ;
- la demande d'établissement du décompte général est irrecevable dès lors qu'il appartenait à la société mandataire de le mettre en demeure avant la saisine du juge du contrat ;
- à supposer que les demandes de la société Groupe Loisier et autres soient regardées par la cour comme recevables, les autres moyens invoqués par les sociétés requérantes ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 16 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 avril 2023 à 12 heures.
Un mémoire présenté pour le département de la Gironde a été enregistré le 11 mai 2023, postérieurement à la clôture d'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le décret n° 78-1306 du 26 décembre 1978 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Agnès Bourjol,
- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,
- et les observations de Me Le Lain, représentant la société Groupe Loisier, la société Poly Rythmic et la société Yac Ingénierie, et celles de Me Geffroy, représentant le département de la Gironde.
Considérant ce qui suit :
1. Le département de la Gironde a décidé en 2010 de lancer une opération de réhabilitation et d'extension de l'immeuble " Croix du Palais ", à Bordeaux. Le groupement composé de la société Groupe Loisier, mandataire commun, de la société Poly Rythmic Architecture, de la société Yac Ingénierie, de la société Cube Ingénieurs, de la société Le Sommier Environnement et de M. A... B... a, par un acte d'engagement du 10 novembre 2010, été désigné maître d'œuvre de l'opération pour un prix global et forfaitaire de 912 154,40 euros hors taxes, ultérieurement porté à la somme de 1 474 776,59 euros hors taxes en vertu d'avenants au contrat. Par courrier du 8 novembre 2018, reçu le 13 novembre suivant, le département de la Gironde, maître de l'ouvrage, a notifié à la société Groupe Loisier, mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, sa décision de réception du marché. Par ce même courrier, il l'a informé de ce qu'une réfaction serait opérée en raison des manquements du groupement dans l'exécution de ses missions DET et AOR et l'a mis en demeure d'établir son projet de décompte. Par un courrier du 19 décembre 2018, la société Groupe Loisier a contesté la décision du département d'opérer une réfaction sur le prix du marché. Par un courrier du 22 décembre 2018, cette société a notifié au maître de l'ouvrage son projet de décompte final, qui incluait une demande d'honoraires complémentaires au titre des prestations supplémentaires et, en annexe, les éléments de justification de ces honoraires complémentaires. Le maître de l'ouvrage a rejeté cette demande le 29 janvier 2019 et indiqué à la société qu'il avait décidé de sursoir à l'établissement du décompte général. La société Groupe Loisier, en sa qualité de mandataire du groupement de maitrise d'œuvre, a saisi le comité consultatif interrégional de règlement amiable de Bordeaux de son différend avec le maître de l'ouvrage qui, par un avis du 11 octobre 2019, a considéré que les réclamations du groupement de maîtrise d'œuvre étaient partiellement fondées et a proposé le versement d'un supplément de rémunération de 178 781 euros au titre de prestations complémentaires résultant des modifications de programme et des prestations supplémentaires.
2. La société Groupe Loisier, la société Poly Rythmic et la société Yac Ingénierie ont alors saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à la condamnation du département de la Gironde à leur verser une somme totale de 651 177,38 euros au titre des travaux supplémentaires et de l'allongement des délais d'exécution du marché. Elles relèvent appel du jugement du 27 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
3. Aux termes de l'article 40.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles (CCAG-PI), approuvé par le décret du 26 décembre 1978, et applicable au marché en vertu de l'article 2 de son cahier des clauses administratives particulières : " Tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'un mémoire de réclamation qui doit être remis à la personne responsable du marché (...) ". Il résulte de ces stipulations que le différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet, préalablement à toute instance contentieuse, d'un mémoire en réclamation de la part du titulaire du marché. Un mémoire du titulaire d'un marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens de l'article 40.1 du CCAG-PI que s'il comporte l'énoncé d'un différend et expose de façon précise et détaillée les chefs de la contestation en indiquant, d'une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d'autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées.
4. Pour rejeter comme irrecevable la demande des sociétés Groupe Loisier, Poly Rythmic et Yac Ingénierie tendant à la condamnation du département de la Gironde à leur verser la somme de 312 542,51 euros au titre de prestations complémentaires de maîtrise d'œuvre et la somme de 230 601,14 euros au titre de l'allongement de la durée du chantier, le tribunal administratif de Bordeaux s'est fondé sur l'absence d'envoi, par ces sociétés, du mémoire en réclamation prévu à l'article 40.1 du CCAG-PI précité. Les premiers juges ont en effet considéré que, dès lors qu'aucun différend n'était alors né entre les parties au contrat, le courrier susmentionné du 22 décembre 2018 du mandataire de groupement de maitrise d'œuvre ne pouvait être qualifié de mémoire en réclamation au sens de l'article 40.1 du CCAG-PI.
5. En premier lieu, les sociétés requérantes soutiennent que le différend avec le maître de l'ouvrage est né de la lettre du 8 novembre 2018, reçue le 13 novembre suivant, par laquelle ce dernier les a mises en demeure de lui adresser le projet de décompte final et les a informées qu'une réfaction de 15 % serait appliquée à raison de défaillances dans l'accomplissement de leurs missions de maîtrise d'œuvre. Toutefois, ce courrier, qui ne portait ni sur le paiement de prestations supplémentaires, ni sur l'indemnisation des sociétés au titre de l'allongement de la durée du chantier, ne peut être regardé comme ayant fait naître un différend entre les parties au contrat portant sur ces points.
6. En deuxième lieu, si la société Groupe Loisier soutient avoir exprimé, dans un courrier du 19 décembre 2018, son désaccord sur la réfaction que le maître de l'ouvrage envisageait d'appliquer au montant de son projet de décompte final, il ne ressort ni de ce courrier ni d'aucun élément que le maître de l'ouvrage aurait, à cette date, pris position sur la question de l'indemnisation des sociétés au titre des prestations supplémentaires et de l'allongement de la durée du chantier.
7. Enfin, si le courrier adressé par le mandataire du groupement de maitrise d'œuvre au maître d'ouvrage le 22 décembre 2018 incluait, notamment, une demande de rémunération complémentaire précisément chiffrée et assortie des bases de calcul du montant de la somme sollicitée à ce titre, ce courrier ne comporte pas l'énoncé d'un différend déjà né sur ce point.
8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 7 que le courrier susmentionné du 22 décembre 2018, date à laquelle aucun différend n'était né entre les parties sur la question de l'indemnisation du groupement de maître d'œuvre au titre des prestations supplémentaires et de l'allongement de la durée du chantier, ne constitue pas un mémoire en réclamation au sens de l'article au sens de l'article 40.1 du CCAG PI. La demande de première instance, faute d'avoir été précédée d'un tel mémoire en réclamation, était dès lors irrecevable.
9. Il résulte de ce qui précède que les sociétés appelantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande. Leurs conclusions à fin d'injonction ne peuvent, par suite, être accueillies.
Sur les frais d'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Gironde, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont les sociétés requérantes demandent le versement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande présentée par le département de la Gironde sur le même fondement.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Groupe Loisier, de la société Poly Rythmic, et de la société Yac Ingénierie est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le département de la Gironde au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Groupe Loisier, à la société Poly Rythmic, à la société Yac Ingénierie et au département de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,
Mme Agnès Bourjol, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juin 2023.
La rapporteure,
Agnès BOURJOLLa présidente,
Marie Pierre BEUVE DUPUYLe greffier,
Anthony FERNANDEZ
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 21BX02605