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06/06/2023 | FRANCE | N°20BX00898

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 06 juin 2023, 20BX00898


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les communes de Saint-Joseph et du Lamentin ont saisi le tribunal administratif de la Martinique de deux requêtes tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 novembre 2018 par lequel le préfet de la Martinique a procédé, sur le fondement de l'article L. 511-25-1 du code général des collectivités territoriales, à la répartition des ouvrages de production d'eau du Directoire et de Rivière-Blanche.

Par un jugement n° 1900012 et 1900013 du 6 décembre 2019, le tribunal administratif de la Martinique a

rejeté les requêtes.

Procédure devant la cour :

I) Sous le n° 20BX00898, par un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les communes de Saint-Joseph et du Lamentin ont saisi le tribunal administratif de la Martinique de deux requêtes tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 novembre 2018 par lequel le préfet de la Martinique a procédé, sur le fondement de l'article L. 511-25-1 du code général des collectivités territoriales, à la répartition des ouvrages de production d'eau du Directoire et de Rivière-Blanche.

Par un jugement n° 1900012 et 1900013 du 6 décembre 2019, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté les requêtes.

Procédure devant la cour :

I) Sous le n° 20BX00898, par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 mars 2020, 21 octobre 2021 et 28 février 2023, la commune de Saint-Joseph, représentée par Me Keïta Capitolin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 6 décembre 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Martinique du 5 novembre 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Martinique d'opérer une nouvelle répartition des ouvrages de production d'eau du Directoire et de Rivière-Blanche en procédant, soit à un partage de propriété de ces ouvrages, soit à leur mise à disposition partielle à son profit ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sous couvert d'une répartition des ouvrages de production d'eau, l'arrêté procède au transfert de propriété de ces ouvrages ; cet arrêté ne permet ainsi pas d'éviter une solution de continuité, ni encore de garantir un partage équilibré ; ce transfert de propriété conduit à la spoliation des communes, qui ont participé au financement des ouvrages ;

- le transfert litigieux fait obstacle à ce qu'elles puissent bénéficier de ces ouvrages de production d'eau, qu'elles auraient pu mettre à disposition de la communauté du centre d'agglomération de la Martinique (CACEM) en application de l'article L. 1321-1 du code général des collectivités territoriales ; la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique (CAESM) et son fermier, la société martiniquaise des eaux (SME), deviennent ainsi les utilisateurs exclusifs des ouvrages en cause, de sorte que la SME peut abuser de sa position dominante en imposant à la CACEM l'achat de l'eau en gros ; un tel partage n'est pas équilibré ; la CACEM, dont elles sont membres, ne peut pas couvrir leurs besoins en eau et, dans le même temps, la CAESM a vu ses besoins de distribution d'eau baisser ; l'eau achetée par l'opérateur de la CACEM à la SME aux fins de les alimenter provient, à 98 %, des ouvrages en cause ; la répartition ainsi opérée a pour unique finalité de préserver la rente économique de la SME ; une répartition sous forme de mise à disposition partielle serait de nature à répondre aux besoins des communes et revêtirait ainsi un caractère équitable ;

- il n'est pas établi que les ouvrages en cause présentaient une valeur nette comptable nulle au 31 décembre 2014 ;

- les collectivités locales et leurs groupements bénéficiant du droit de l'Union européenne, c'est à tort que le tribunal a écarté comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance du principe de confiance légitime ;

- l'arrêté a méconnu les articles 6 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; l'article L. 5211-25-1 du code général des collectivités territoriales ne fixant pas le contenu des arrêtés des arrêtés de répartition, ces dispositions législatives ne font pas écran.

Par une ordonnance du 1er mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 avril 2023.

II) Sous le n° 20BX00899, par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 mars 2020, 21 octobre 2021 et 28 février 2023, la commune du Lamentin, représentée par Me Keïta Capitolin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 6 décembre 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Martinique du 5 novembre 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Martinique d'opérer une nouvelle répartition des ouvrages d'eau du Directoire et de Rivière-Blanche en procédant, soit à un partage de propriété de ces ouvrages, soit à leur mise à disposition partielle à son profit ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sous couvert d'une répartition des ouvrages de production d'eau, l'arrêté procède au transfert de propriété de ces ouvrages ; cet arrêté ne permet ainsi pas d'éviter une solution de continuité, ni encore de garantir un partage équilibré ; ce transfert de propriété conduit à la spoliation des communes, qui ont participé au financement des ouvrages ;

- le transfert litigieux fait obstacle à ce qu'elles puissent bénéficier de ces ouvrages de production d'eau, qu'elles auraient pu mettre à disposition de la communauté du centre d'agglomération de la Martinique (CACEM) en application de l'article L. 1321-1 du code général des collectivités territoriales ; la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique (CAESM) et son fermier, la société martiniquaise des eaux (SME), deviennent ainsi les utilisateurs exclusifs des ouvrages en cause, de sorte que la SME peut abuser de sa position dominante en imposant à la CACEM l'achat de l'eau en gros ; un tel partage n'est pas équilibré ; la CACEM, dont elles sont membres, ne peut pas couvrir leurs besoins en eau et, dans le même temps, la CAESM a vu ses besoins de distribution d'eau baisser ; l'eau achetée par l'opérateur de la CACEM à la SME aux fins de les alimenter provient, à 98 %, des ouvrages en cause ; la répartition ainsi opérée a pour unique finalité de préserver la rente économique de la SME ; une répartition sous forme de mise à disposition partielle serait de nature à répondre aux besoins des communes et revêtirait ainsi un caractère équitable ;

- il n'est pas établi que les ouvrages en cause présentaient une valeur nette comptable nulle au 31 décembre 2014 ;

- les collectivités locales et leurs groupements bénéficiant du droit de l'Union européenne, c'est à tort que le tribunal a écarté comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance du principe de confiance légitime ;

- l'arrêté a méconnu les articles 6 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; l'article L. 5211-25-1 du code général des collectivités territoriales ne fixant pas le contenu des arrêtés des arrêtés de répartition, ces dispositions législatives ne font pas écran.

Par une ordonnance du 1er mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 avril 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,

- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,

- et les observations de Me Keïta Capitolin, représentant les communes de Saint-Joseph et du Lamentin.

Considérant ce qui suit :

1. Les communes de Saint-Joseph et du Lamentin étaient, avec 14 autres communes, membres du syndicat intercommunal de centre et du sud de la Martinique (SICSM), en charge de l'eau et de l'assainissement. Par un arrêté du préfet de la Martinique du 30 septembre 2003, les compétences de la communauté d'agglomération du centre de la Martinique (CACEM) ont été étendues au secteur de l'eau à compter du 1er janvier 2004 sur le territoire de ces communes. Les communes de Saint-Joseph et du Lamentin, qui faisaient partie de la CACEM, se sont en conséquence retirées à cette date du SICSM. La CACEM et le SICSM ont créé en avril 2004 un syndicat mixte chargé de la distribution de l'eau potable, en lieu et place de la CACEM, sur le territoire de ces communes. Puis, par une convention de gestion conclue le 12 juin 2009, la CACEM a confié au SICSM la gestion du service public d'eau potable sur ces communes jusqu'au 31 décembre 2014. En vertu d'un arrêté préfectoral du 29 décembre 2016, la communauté d'agglomération de l'espace sud Martinique (CAESM) s'est substituée au SICSM. Par des délibérations des 25 juin et 2 octobre 2018, les communes de Saint-Joseph et du Lamentin ont sollicité la répartition entre elles et la CAESM des ouvrages de production d'eau du Directoire et de Rivière-Blanche, situés sur leurs territoires. Par un arrêté du 5 novembre 2018, le préfet de la Martinique a décidé du transfert en pleine propriété de ces ouvrages à la CAESM. Les communes de Saint-Joseph et du Lamentin relèvent appel du jugement du 6 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de cet arrêté. Il y a lieu de joindre ces requêtes pour y statuer par un seul arrêt.

2. Aux termes de l'article L. 5211-19 du code général des collectivités territoriales dans sa version applicable à la date de la décision attaquée : " Une commune peut se retirer de l'établissement public de coopération intercommunale, sauf s'il s'agit d'une communauté urbaine ou d'une métropole, dans les conditions prévues à l'article L. 5211-25-1, avec le consentement de l'organe délibérant de l'établissement. A défaut d'accord entre l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale et le conseil municipal concerné sur la répartition des biens ou du produit de leur réalisation et du solde de l'encours de la dette visés au 2° de l'article L. 5211-25-1, cette répartition est fixée par arrêté du ou des représentants de l'Etat dans le ou les départements concernés. (...)". Aux termes de l'article L. 5211-25-1 du même code : " En cas de retrait de la compétence transférée à un établissement public de coopération intercommunale : 1° Les biens meubles et immeubles mis à la disposition de l'établissement bénéficiaire du transfert de compétences sont restitués aux communes antérieurement compétentes et réintégrés dans leur patrimoine pour leur valeur nette comptable, avec les adjonctions effectuées sur ces biens liquidées sur les mêmes bases. Le solde de l'encours de la dette transférée afférente à ces biens est également restituée à la commune propriétaire ; 2° Les biens meubles et immeubles acquis ou réalisés postérieurement au transfert de compétences sont répartis entre les communes qui reprennent la compétence ou entre la commune qui se retire de l'établissement public de coopération intercommunale et l'établissement (...). Il en va de même pour le produit de la réalisation de tels biens, intervenant à cette occasion. Le solde de l'encours de la dette contractée postérieurement au transfert de compétences est réparti dans les mêmes conditions entre les communes qui reprennent la compétence ou entre la commune qui se retire et l'établissement public de coopération intercommunale (...). A défaut d'accord entre l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale et les conseils municipaux des communes concernés, cette répartition est fixée par arrêté du ou des représentants de l'Etat dans le ou les départements concernés. (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions combinées qu'en cas de réduction du périmètre d'un établissement public de coopération intercommunale résultant du retrait d'une commune membre de cet établissement, il appartient aux parties en cause ou, à défaut d'accord, au représentant de l'Etat dans le département, de procéder à la répartition, d'une part, de l'ensemble des actifs dont l'établissement est devenu propriétaire postérieurement au transfert de compétences, à l'exception des disponibilités nécessaires pour faire face aux besoins de financements relatifs à des opérations décidées avant la date de la répartition et non encore retracées au bilan de l'établissement public, d'autre part, de l'encours de la dette contractée postérieurement au transfert de compétences. Cette répartition doit être fixée dans le but, d'une part, d'éviter toute solution de continuité dans l'exercice, par les personnes publiques, de leur compétence, d'autre part, de garantir la continuité du service public pour les usagers en donnant aux personnes publiques concernées les moyens d'exercer leur compétence, enfin, de garantir un partage équilibré compte tenu de l'importance de la participation de la commune dans l'établissement public.

4. Il ressort des éléments versés au dossier que les ouvrages de production d'eau Didier et Durand, dont la CACEM est propriétaire, ne fournissent pas des volumes d'eau suffisants pour alimenter, en sus de la commune de Fort-de-France, les communes du Lamentin et de Saint-Joseph. L'eau potable distribuée aux usagers de ces deux communes est acquise par la société Odyssi, qui exploite en régie le service de distribution d'eau potable de la CACEM, auprès de la société martiniquaise des eaux (SME), délégataire du service de distribution d'eau potable de la CAESM. Il ressort de ces mêmes pièces ainsi que des précisions apportées par les appelantes, qui ne sont pas contredites sur ces points, d'une part, que les ouvrages de production d'eau du Directoire et de Rivière-Blanche produisent des volumes d'eau excédant les besoins des habitants des 12 communes membres de la CAESM, d'autre part, que l'eau potable acquise auprès de la SME aux fins de fournir les habitants du Lamentin et de Saint-Joseph provient, pour l'essentiel, des ouvrages en cause. Dans ces conditions, et eu égard à l'importance que revêtait la participation des communes requérantes dans la CAESM, l'arrêté attaqué, qui décide du transfert en pleine propriété de ces ouvrages à la CAESM, sans même prévoir une mise à disposition partielle au bénéfice des communes de Saint-Joseph et du Lamentin, méconnaît les objectifs rappelés au point 3 et repose ainsi sur une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 5211-25-1 du code général des collectivités territoriales.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, que les communes de Saint-Joseph et du Lamentin sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leurs demandes. Elles sont par suite fondées à demander l'annulation de ce jugement et de l'arrêté en litige.

6. L'annulation de l'arrêté du préfet de la Martinique du 5 novembre 2018 implique seulement, eu égard au motif ci-dessus retenu, que le préfet de la Martinique réexamine les demandes des communes de Saint-Joseph et du Lamentin de répartition entre elles et la CAESM des ouvrages de production d'eau potable du Directoire et de Rivière-Blanche. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au bénéfice de chacune des communes requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1900012 et 1900013 du 6 décembre 2019 du tribunal administratif de la Martinique et l'arrêté du préfet de la Martinique du 5 novembre 2018 sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera aux communes de Saint-Joseph et du Lamentin une somme de 800 euros chacune sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Martinique de procéder à un nouvel examen des demandes des communes de Saint-Joseph et du Lamentin de répartition entre elles et la CAESM des ouvrages de production d'eau potable du Directoire et de Rivière-Blanche dans un délai de trois mois suivant la notation du présent arrêt.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Joseph, à la commune du Lamentin et au préfet de la Martinique

Délibéré après l'audience du 16 mai 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,

Mme Agnès Bourjol, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juin 2023.

L'assesseur le plus ancien,

Manuel Bourgeois

La présidente,

Marie-Pierre Beuve DupuyLe président,

Didier Artus

Le greffier,

Anthony Fernandez

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX00898, 20BX00899


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00898
Date de la décision : 06/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BEUVE-DUPUY
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : KEITA-CAPITOLIN Yasmina;KEITA-CAPITOLIN Yasmina;KEITA-CAPITOLIN Yasmina

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-06-06;20bx00898 ?
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