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31/05/2023 | FRANCE | N°21BX04131

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 31 mai 2023, 21BX04131


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 24 novembre 2020 par lequel le préfet de la Réunion a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai d'un mois et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2100318 du 21 juin 2021, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 octob

re 2021, Mme C... D..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 24 novembre 2020 par lequel le préfet de la Réunion a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai d'un mois et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2100318 du 21 juin 2021, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 octobre 2021, Mme C... D..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 21 juin 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 24 novembre 2020 ;

3°) d'enjoindre au préfet de La Réunion de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande dès la notification de l'arrêt à intervenir et de prendre une décision dans un délai de deux mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour durant l'instruction de son dossier ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le jugement est irrégulier en ce que les premiers juges ont omis de répondre au moyen tiré du défaut de motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'arrêté pris dans son ensemble :

- l'arrêté n'est pas suffisamment motivé ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation ;

- l'arrêté est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a pas été mis à même de présenter ses observations préalablement à son édiction en méconnaissance du droit d'être entendu, principe général du droit de l'Union européenne et de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 ;

En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :

- la décision de refus de titre de séjour méconnait l'article 6 § 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision méconnait le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision méconnait l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste quant à l'appréciation de sa situation personnelle ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- la décision est privée de base légale en ce qu'elle se fonde sur une décision de refus de titre de séjour illégale ;

- la décision méconnait l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision méconnait l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

En ce qui concerne la décision fixant le délai de départ volontaire :

- la décision est privée de base légale en ce qu'elle se fonde sur une décision de refus de titre de séjour illégale ;

- la décision méconnait le II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le préfet a fait une application automatique de ces dispositions, méconnaissant ainsi l'étendue de sa compétence ; compte tenu de la nature de ses liens personnels et familiaux et du contexte sanitaire, la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire enregistré 17 avril 2023, le préfet de La Réunion conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens développés par Mme D... ne sont pas fondés.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 septembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique a été entendu le rapport de Mme Nathalie Gay.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... D..., née le 20 mars 1990, de nationalité comorienne, est entrée à La Réunion le 14 août 2017 munie d'un visa étudiant valable jusqu'au 8 août 2018 et a bénéficié de titres de séjour sur le fondement de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile jusqu'au 12 septembre 2019. En juillet 2019, elle a déposé une demande de titre de séjour en tant que parent d'enfant français sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du même code. Par un arrêté du 24 novembre 2020, le préfet de La Réunion a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai d'un mois et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Mme D... relève appel du jugement du 21 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. Si Mme D... a soulevé en première instance, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, le tribunal y a répondu au point 2 du jugement. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué doit être écarté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne l'arrêté pris dans son ensemble :

3. En premier lieu, la décision par laquelle le préfet de La Réunion a refusé la délivrance d'un titre de séjour mentionne l'état civil de Mme D..., ses conditions d'entrée et de séjour sur le territoire français et le fondement de sa demande de titre de séjour. L'arrêté indique les raisons pour lesquelles Mme D... ne pouvait prétendre à la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. L'arrêté ajoute qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressée à sa vie familiale. Ainsi, l'arrêté qui vise notamment le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles la décision de refus de titre de séjour est fondée. En deuxième lieu, la décision d'obliger Mme D... à quitter le territoire français est fondée sur le 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors que le refus de titre de séjour est suffisamment motivé, la mesure d'éloignement n'avait donc pas à faire l'objet d'une motivation spécifique. En troisième lieu, dès lors que le délai de trente jours accordé à un étranger pour exécuter une obligation de quitter le territoire français constitue un délai équivalent au délai de droit commun le plus long susceptible d'être accordé en application de l'article 7 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, l'absence de prolongation de ce délai n'a pas à faire l'objet d'une motivation spécifique, distincte de celle du principe même de ladite obligation, à moins que l'étranger ait expressément demandé le bénéfice d'une telle prolongation ou justifie d'éléments suffisamment précis sur sa situation personnelle susceptibles de rendre nécessaire, au sens desdites dispositions de l'article 7, une telle prolongation. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme D... ait demandé au préfet à bénéficier d'une prolongation dudit délai. Par suite, celle-ci n'est pas fondée à soutenir que la décision du préfet de La Réunion ne lui accordant qu'un délai de départ volontaire d'un mois n'est pas suffisamment motivée. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté doit être écarté.

4. Il ne ressort ni de la motivation de la décision attaquée, ni des autres pièces du dossier que le préfet de La Réunion, qui n'était pas tenu d'indiquer l'ensemble des éléments de la situation personnelle de Mme D..., n'aurait pas procédé à un examen complet de sa situation avant de refuser la délivrance d'un titre de séjour et de l'obliger à quitter le territoire français dans un délai d'un mois.

5. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union et qu'il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales.

6. En l'espèce, il appartenait à Mme D..., à l'occasion du dépôt de sa demande de titre de séjour, de préciser à l'administration les motifs pour lesquels elle estimait devoir être admise au séjour et de produire tous les éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Par ailleurs, il lui était loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir toute observation complémentaire utile quant à sa situation. Dès lors, la seule circonstance que Mme D... n'a pas été invitée par le préfet de La Réunion à formuler des observations avant le refus de l'admettre au séjour n'est pas de nature à permettre de la regarder comme ayant été privée de son droit à être entendue. Le droit de l'intéressée d'être entendue est ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de titre de séjour, l'obligation de quitter le territoire français, la décision lui accordant un délai de départ volontaire et la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement. Par suite, le moyen tiré de ce qu'en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, en l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai d'un mois et en fixant le pays de renvoi, le préfet de La Réunion aurait porté atteinte au principe général du droit de l'Union européenne, selon lequel toute personne a le droit d'être entendue préalablement à l'adoption d'une mesure individuelle l'affectant défavorablement, doit être écarté.

7. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Selon l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix (...) ". Il résulte des termes mêmes de ces dispositions qu'elles ne peuvent être utilement invoquées à l'encontre d'une décision de refus de titre de séjour, qui est prise en réponse à une demande formulée par l'intéressée. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de La Réunion n'aurait pas respecté la procédure contradictoire prévue par les articles précités du code des relations entre le public et l'administration avant de refuser à Mme D... la délivrance d'un titre de séjour est inopérant.

8. Il ressort des dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à un étranger l'obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français. Dès lors, l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 codifié à l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, imposant de façon générale le respect d'une procédure contradictoire en préalable aux décisions individuelles soumises à l'exigence de motivation, ne peut être utilement invoqué à l'encontre d'une telle mesure d'éloignement et de la décision lui accordant un délai de départ d'un mois.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés à l'appui des conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus de titre de séjour :

9. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ; / Lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent, en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, justifie que ce dernier contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du même code, ou produit une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant (...) ".

10. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec, même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ses compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application de ces principes. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

11. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... est arrivée en France le 14 août 2017 et a donné naissance, le 29 avril 2018 à Saint-Pierre, à une fille qui a été reconnue le 2 mai 2018 par un ressortissant français, M. E... A.... Pour établir que la reconnaissance de paternité avait été effectuée dans le but de permettre à Mme D... d'obtenir un titre de séjour, le préfet de La Réunion s'est fondé sur l'absence d'élément permettant de confirmer qu'elle a rencontré M. A... avant la date de son entrée en France, le 14 août 2017 et qu'ils auraient entretenu une relation et sur le fait qu'elle a logé, dès son arrivée, à la même adresse que son concubin actuel M. B.... Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'appelante produit une attestation de voyage de la compagnie Air Austral du 24 décembre 2020 indiquant que M. E... A... a voyagé sur le vol du 24 juillet 2017 au départ de La Réunion et à destination de Moroni et sur le vol retour le 18 septembre 2017, ainsi que deux témoignages établis les 15 octobre 2021 et 25 octobre 2021, qui ne sont pas contestés, par lesquels la nièce de M. A... ainsi qu'un des amis de ce dernier attestent de la relation entre Mme D... et M. A..., et de la présence de ce dernier aux Comores pendant la période de conception de l'enfant. Dans ces conditions, en se fondant sur l'absence de vie commune avec M. A... et sur la circonstance que Mme D... vivait en couple avec M. B... à la date de la naissance de l'enfant, le préfet de la Réunion ne peut être regardé comme faisant état d'éléments précis et concordants établissant le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité souscrite par M. A... à l'égard de l'enfant de Mme D....

12. Cependant, pour justifier son refus de délivrance du titre de séjour sollicité, le préfet s'est également fondé sur l'absence de contribution du père à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. A cet égard, la requérante produit une attestation de prise en charge financière établie le 23 juillet 2018 par M. A..., une attestation d'accord amiable du 9 décembre 2019, soit environ dix-huit mois après la naissance de l'enfant, prévoyant le versement par M. A... d'une contribution financière mensuelle de 50 euros, un certificat d'un pédiatre daté du 5 juillet 2019 attestant de la présence du père de l'enfant à une consultation du même jour, deux témoignages établis les 9 et 23 mars 2021, par un ami de M. A... et une voisine de Mme D... mentionnant les liens affectifs entre M. A... et l'enfant, ainsi que des factures d'achat de quelques articles pour enfant datées de décembre 2019, janvier et août 2020, les autres documents étant postérieurs à la date de la décision contestée. Au vu de ces seuls éléments, Mme D... ne justifie pas de la contribution du père à l'entretien et à l'éducation de son enfant.

13. Toutefois, en application des dispositions précitées de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le droit au séjour de Mme D... doit s'apprécier au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de son enfant. A cet égard, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté contesté, M. A... avait avec son enfant des liens tels que le refus de séjour qui a été opposé à Mme D... puisse être regardé comme ayant été pris en méconnaissance de l'intérêt supérieur de l'enfant, âgé de deux ans et demi à la date de l'arrêté contesté. En outre, il ressort des pièces du dossier que l'appelante est entrée en France en août 2017 afin d'y poursuivre des études. Si elle a bénéficié d'un titre de séjour en qualité d'étudiante jusqu'au 12 septembre 2019, elle n'a pas vocation à demeurer sur le territoire français. Elle ne justifie en outre d'aucune insertion particulière sur le territoire français. Par ailleurs, si elle fait valoir qu'elle vit en concubinage avec M. B..., ressortissant comorien, ce dernier fait l'objet d'une mesure d'éloignement dont le recours à l'encontre de cette décision a été rejeté par le tribunal, ainsi que par un arrêt de la cour de ce jour. Enfin, Mme D... n'apporte aucun élément permettant de tenir pour établi qu'elle n'aurait aucune attache personnelle et familiale aux Comores, pays dans lequel elle a vécu jusqu'à l'âge de 27 ans. Dans ces conditions, la décision attaquée n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée et n'a pas méconnu l'intérêt supérieur de l'enfant Yasmine. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à soutenir qu'en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, le préfet de La Réunion aurait méconnu le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

14. En vertu de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

15. Ainsi qu'il a été indiqué au point 13, le refus de séjour qui a été opposé à Mme D... ne peut être regardé comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a été pris et comme méconnaissant les stipulations précitées.

16. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

17. Compte tenu de ce qui a été dit au point 12, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté contesté, M. A... avait avec son enfant des liens tels que le refus de séjour qui a été opposé à Mme D... puisse être regardé comme ayant été pris en méconnaissance de ces stipulations.

18. Les pièces du dossier ne font pas ressortir que la décision de refus de titre de séjour serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle de Mme D....

En ce qui concerne les autres moyens soulevés à l'appui des conclusions tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

19. Il résulte des points 3 à 18 que l'appelante n'est pas fondée à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour.

20. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) / 6° l'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans (...) ".

21. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... vit avec son enfant né le 29 avril 2018 à Saint-Pierre et qu'elle participe ainsi nécessairement à son éducation et à son entretien depuis sa naissance. Par suite, elle est fondée à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire a méconnu les dispositions précitées du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicables. La décision lui accordant un délai de départ d'un mois et fixant le pays de renvoi sont, par conséquent, privées de base légale.

22. Il résulte de tout ce qui précède que l'appelante est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 24 novembre 2020 lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai d'un mois et fixant le pays de renvoi. Par suite, elle est également fondée à demander l'annulation, dans cette seule mesure, du jugement attaqué ainsi que de ces seules décisions.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

23. Le présent arrêt, qui ne prononce pas l'annulation de la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour, n'implique pas nécessairement la délivrance d'un titre de séjour à la requérante. L'annulation de l'obligation de quitter le territoire implique en revanche, en application des dispositions de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, qu'il soit enjoint au préfet de La Réunion de réexaminer la situation personnelle de Mme D... et de statuer à nouveau sur son cas. Il y lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de délivrer à l'intéressée une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

24. En application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice du conseil de Mme D..., une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés pour l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°2100318 du 21 juin 2021 du tribunal administratif de La Réunion est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme D... tendant à l'annulation des décisions du 24 novembre 2020 lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai d'un mois et fixant le pays de renvoi.

Article 2 : Les décisions du 24 novembre 2020 faisant obligation à Mme D... de quitter le territoire français dans un délai d'un mois et fixant le pays de renvoi sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de La réunion de réexaminer la situation de Mme D..., de statuer à nouveau sur son cas dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : L'Etat versera à Me A... une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de La Réunion.

Délibéré après l'audience du 10 mai 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Nathalie Gay, première conseillère,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2023.

La rapporteure,

Nathalie GayLa présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX04131 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04131
Date de la décision : 31/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : CABINET ALI - MAGAMOOTOO

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-05-31;21bx04131 ?
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