La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/05/2023 | FRANCE | N°21BX01876

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 31 mai 2023, 21BX01876


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 7 mai 2021, 15 février, 25 août, 17 octobre, 7 novembre 2022 et un mémoire récapitulatif du 23 février 2023, la société à responsabilité limitée (SARL) Champs Freesia, représentée par Me Deldique, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 8 mars 2021 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a rejeté sa demande d'autorisation environnementale relative à une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécaniqu

e du vent, comprenant quatre éoliennes et deux postes de livraison, sur le territoire de la co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 7 mai 2021, 15 février, 25 août, 17 octobre, 7 novembre 2022 et un mémoire récapitulatif du 23 février 2023, la société à responsabilité limitée (SARL) Champs Freesia, représentée par Me Deldique, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 8 mars 2021 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a rejeté sa demande d'autorisation environnementale relative à une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, comprenant quatre éoliennes et deux postes de livraison, sur le territoire de la commune de Puy-du-Lac (Charente-Maritime) ;

2°) de délivrer l'autorisation sollicitée ou d'enjoindre au préfet, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de délivrer l'autorisation sollicitée dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet, sur le fondement de l'article L. 911-2 du même code, de procéder au réexamen de sa demande d'autorisation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'intervention du département de la Charente-Maritime est irrecevable ; d'une part, le département ne justifie pas d'un intérêt à intervenir dès lors que la décision en litige n'a pas une incidence sur sa situation ou sur les intérêts dont il a la charge ; d'autre part, la présidente ne justifie pas d'une habilitation régulière du conseil départemental ;

- la décision n'est pas suffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- les prétendues insuffisances de l'étude écologique sont matériellement infondées ; elle a produit l'intégralité des compléments sollicités par l'inspection lors de la procédure d'instruction ainsi que des compléments pour tenir compte des préconisations de la mission régionale d'autorité environnementale ; les prétendues insuffisances relevées par le préfet dans son arrêté n'ont jamais été évoquées lors de l'instruction de la demande ; la mission régionale d'autorité environnementale avait validé la qualité et la suffisance de l'étude d'impact ; l'étude d'impact était suffisante en ce qui concerne la description de l'état initial, l'analyse des risques d'impacts du projet et les mesures ERC proposées ;

- l'impact paysager est acceptable ; aucun intérêt paysager particulier ne s'attache à la zone d'implantation du projet ; au vu de la covisibilité très limitée avec les parcs existants, le préfet ne pouvait considérer que le projet contribue à une saturation paysagère de la zone ; la caractérisation du prétendu risque de saturation visuelle est uniquement fondée sur des indices théoriques et n'est pas confirmée par l'étude paysagère ; si l'impact sur le hameau de la Jarrie est plus important, il reste néanmoins acceptable compte-tenu de l'absence de covisibilité impactante avec les parcs existants, de l'absence d'effet d'écrasement, et des mesures de compensation proposées ;

- le motif tiré de l'opposition au projet de certains participants à l'enquête publique est entaché d'erreur de droit ;

- aucune dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées n'était requise, aucun impact résiduel significatif n'étant caractérisé.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 5 janvier 2022, le département de la Charente-Maritime, représenté par Me Izembard, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- son intervention est recevable ; le département est compétent en matière d'aménagement du territoire et de protection de l'environnement en vertu de l'article L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales ; en vertu de l'article L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales, le département est le chef de file pour assurer la solidarité des territoires et la cohésion territoriale sur le territoire départemental, or l'implantation des projets éoliens sur le territoire du département pose un grave problème de cohésion territoriale ; la concentration d'éoliennes dans un périmètre restreint constitue une atteinte à la commodité du voisinage et un problème d'utilisation rationnelle de l'énergie, ces intérêts étant au nombre de ceux visés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement ; la saturation d'éoliennes pose un problème en termes de paysage et de préservation des espaces naturels et porte atteinte tant au patrimoine qu'à l'image du département de la Charente-Maritime ; le département est responsable des espaces naturels sensibles sur son territoire et le site d'implantation des éoliennes se situe au cœur d'un ensemble d'espaces naturels sensibles dont certains sont déjà actifs et d'autres en cours de classement ; ces préoccupations ont conduit le département à voter en octobre 2018 la création d'un observatoire de l'éolien et le 22 mars 2019, un moratoire de deux ans quant à l'implantation d'éoliennes sur le territoire du département ;

- les moyens développés par la société appelante ne sont pas fondés ;

- le projet en litige et celui porté par le même groupe destiné à s'implanter dans la même commune auraient dû faire l'objet d'une même demande d'autorisation.

Par un mémoire enregistré le 29 août 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la société Champs Freesia ne sont pas fondés ;

- le projet nécessitait une dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées et une demande en ce sens aurait dû être présentée par le pétitionnaire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ;

- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Nathalie Gay;

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public ;

- et les observations de Me Sauret, représentant la société Champs Freesia.

Une note en délibéré a été enregistrée le 17 mai 2023, présentée pour la société Champs Freesia par Me Deldique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Champs Freesia a déposé le 31 juillet 2018 une demande d'autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien composé de quatre éoliennes d'une hauteur en bout de pale de 150 mètres et de deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Puy-du-Lac. Par un arrêté du 8 mars 2021, le préfet de la Charente-Maritime a rejeté sa demande d'autorisation environnementale. La société Champs Freesia demande l'annulation de cet arrêté.

Sur l'intervention du département de la Charente-Maritime :

2. Aux termes de l'article L. 3221-10-1 du code général des collectivités territoriales : " Le président du conseil départemental intente les actions au nom du département en vertu de la décision du conseil départemental et il peut, sur l'avis conforme de la commission permanente, défendre à toute action intentée contre le département. / Il peut, par délégation du conseil départemental, être chargé pour la durée de son mandat d'intenter au nom du département les actions en justice ou de défendre le département dans les actions intentées contre lui, dans les cas définis par le conseil départemental. Il rend compte à la plus proche réunion du conseil départemental de l'exercice de cette compétence ".

3. D'une part, il résulte de l'instruction que par délibération n° 104 du 1er juillet 2021, le conseil départemental de la Charente-Maritime a donné délégation à sa présidente, " pour intenter toute action en justice au nom du département ou pour défendre dans une action, avec ou sans avocat, lorsque le litige n'excède pas la somme de 55 000 euros HT, frais et dépens compris, étant précisé qu'il sera rendu compte, également de l'exercice de cette compétence ". Cette délibération est conforme aux dispositions précitées du code général des collectivités territoriales qui autorisent le conseil départemental à donner délégation générale pour intenter ou défendre au nom du département, sans qu'il soit besoin de confirmer cette décision par une délégation propre à chaque litige. Par suite, la présidente du conseil départemental de la Charente-Maritime disposait d'une délégation l'habilitant à intervenir dans la présente instance.

4. D'autre part, le département de la Charente-Maritime justifie d'un intérêt suffisant au maintien de l'arrêté attaqué. Son intervention est, par suite, admise.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

5. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 7° Refusent une autorisation (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

6. Il résulte des termes de l'arrêté contesté que pour refuser l'autorisation environnementale sollicitée par la société appelante, le préfet de la Charente-Maritime s'est fondé, en premier lieu, sur le caractère insuffisant de l'étude d'impact, en ce qui concerne l'insuffisance des écoutes, le caractère incomplet de l'inventaire des chiroptères, l'impact du gabarit des éoliennes, la distance d'implantation des éoliennes par rapport aux lisières boisées ou haies, la détermination erronée de la zone inventoriée, le défaut d'actualisation des référentiels utilisés, l'absence de démonstration de l'efficacité des seules mesures de réduction proposées pour réduire les risques de collision de l'avifaune et des chiroptères avec les pales des éoliennes et l'insuffisance de l'analyse des effets cumulés. L'arrêté ajoute, en second lieu, que le projet présente un effet de saturation visuelle de plusieurs lieux de vie et que l'impact visuel résiduel reste fort malgré les mesures annoncées pour limiter les effets de saturation et d'encerclement. Contrairement à ce que soutient la société appelante, cette motivation, qui se réfère par ailleurs aux dispositions des articles L. 511-1 et L. 512-1 du code de l'environnement, et qui permet de comprendre les éléments de droit et de fait sur lesquels la décision est fondée, est suffisante.

7. Si l'arrêté attaqué souligne " la forte participation de la population lors de l'enquête publique, dont 501 défavorables au projet, traduisant une forte opposition essentiellement à cause de la saturation visuelle du secteur et de l'empreinte paysagère forte sur ce paysage ", cette considération ne peut être regardée comme un motif de refus de l'autorisation sollicitée et constitue un argument au soutien du motif lié à l'impact visuel du projet et aux inconvénients pour la commodité du voisinage. Ainsi, le moyen tiré de l'erreur de droit commise par le préfet est inopérant.

8. D'une part, aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement : " I. Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. / II. En application du 2° du II de l'article L. 122-3, l'étude d'impact comporte les éléments suivants, en fonction des caractéristiques spécifiques du projet et du type d'incidences sur l'environnement qu'il est susceptible de produire : (...) / 3° Une description des aspects pertinents de l'état actuel de l'environnement, dénommée "scénario de référence", et de leur évolution en cas de mise en œuvre du projet ainsi qu'un aperçu de l'évolution probable de l'environnement en l'absence de mise en œuvre du projet, dans la mesure où les changements naturels par rapport au scénario de référence peuvent être évalués moyennant un effort raisonnable sur la base des informations environnementales et des connaissances scientifiques disponibles ; / 4° Une description des facteurs mentionnés au III de l'article L. 122-1 susceptibles d'être affectés de manière notable par le projet : la population, la santé humaine, la biodiversité, les terres, le sol, l'eau, l'air, le climat, les biens matériels, le patrimoine culturel, y compris les aspects architecturaux et archéologiques, et le paysage ; / 5° Une description des incidences notables que le projet est susceptible d'avoir sur l'environnement résultant, entre autres : / a) De la construction et de l'existence du projet, y compris, le cas échéant, des travaux de démolition ; / b) De l'utilisation des ressources naturelles, en particulier les terres, le sol, l'eau et la biodiversité, en tenant compte, dans la mesure du possible, de la disponibilité durable de ces ressources ; / c) De l'émission de polluants, du bruit, de la vibration, de la lumière, la chaleur et la radiation, de la création de nuisances et de l'élimination et la valorisation des déchets ; / d) Des risques pour la santé humaine, pour le patrimoine culturel ou pour l'environnement ; / e) Du cumul des incidences avec d'autres projets existants ou approuvés, en tenant compte le cas échéant des problèmes environnementaux relatifs à l'utilisation des ressources naturelles et des zones revêtant une importance particulière pour l'environnement susceptibles d'être touchées. Ces projets sont ceux qui, lors du dépôt de l'étude d'impact : / - ont fait l'objet d'une étude d'incidence environnementale au titre de l'article R. 181-14 et d'une enquête publique ; / - ont fait l'objet d'une évaluation environnementale au titre du présent code et pour lesquels un avis de l'autorité environnementale a été rendu public. / Sont exclus les projets ayant fait l'objet d'un arrêté mentionnant un délai et devenu caduc, ceux dont la décision d'autorisation est devenue caduque, dont l'enquête publique n'est plus valable ainsi que ceux qui ont été officiellement abandonnés par le maître d'ouvrage ; / (...) 8° Les mesures prévues par le maître de l'ouvrage pour : / - éviter les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine et réduire les effets n'ayant pu être évités ; / - compenser, lorsque cela est possible, les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine qui n'ont pu être ni évités ni suffisamment réduits. S'il n'est pas possible de compenser ces effets, le maître d'ouvrage justifie cette impossibilité. / La description de ces mesures doit être accompagnée de l'estimation des dépenses correspondantes, de l'exposé des effets attendus de ces mesures à l'égard des impacts du projet sur les éléments mentionnés au 5° ; / 9° Le cas échéant, les modalités de suivi des mesures d'évitement, de réduction et de compensation proposées (...) ".

9. Il résulte de l'instruction que le site du projet qui consiste en l'implantation de quatre éoliennes et deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Puy-du-Lac, se situe à proximité de grandes entités écologiques formant un grand complexe fonctionnel, la vallée et estuaire de la Charente et son affluent principal, la Seugne, l'Anse de Fouras et Marais de Rochefort, les Marais de Brouage et l'île d'Oléron, auxquelles s'ajoute le Marais Poitevin, situé au nord. L'étude d'impact est commune à celle réalisée pour la demande d'autorisation du parc éolien projeté par la société Champs Echeveria de quatre éoliennes de de deux postes de livraison situé plus au sud sur le territoire de la commune de Puy-du Lac. L'aire d'étude rapprochée comporte deux sites Natura 2000 à 0,9 km de la zone d'implantation potentielle : une zone spéciale de conservation (ZSC) " Vallée de la Charente (basse vallée) " présentant un intérêt chiroptérologique fort en termes d'habitat de chasse et en raison de la proximité de gîtes d'hibernation et de reproduction, et une zone de protection spéciale (ZPS) " Estuaire et basse vallée de la Charente ", constituant des habitats essentiels pour diverses espèces de l'annexe I de la directive Oiseaux, une zone importante pour la conservation des oiseaux (ZICO), une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) de type I et une ZNIEFF de type II qui concernent l'estuaire et la basse vallée de la Charente. Dans l'aire d'étude intermédiaire, ont été identifiés six sites Natura 2000. Deux d'entre eux présentent un intérêt ornithologique : l'" Anse de Fouras, baie d'Yves, marais de Rochefort " et la " Vallée de la Charente moyenne et Seugne ", et par ailleurs, les " Carrières de Saint-Savinien ", à 8 km de la zone d'implantation potentielle, sont un réseau de salles et de galeries de 6 anciennes carrières souterraines qui constitue un des sites régionaux majeurs pour l'hivernage des chiroptères. Deux ZICO, deux ZNIEFF de type II et douze ZNIEFF de type I sont également répertoriées dans cette aire. Enfin, l'aire d'étude éloignée comprend trois sites Natura 2000, dont le site " Marais de Brouage, île d'Oléron " qui présente un intérêt ornithologique et revêt une importance internationale pour les oiseaux ainsi qu'un intérêt pour les chiroptères et le site de la " carrière de Fief de Foye " à 11 km de la zone d'implantation potentielle avec une présence significative d'espèces importantes de chauve-souris. Dans cette zone, sont recensés également deux arrêtés de protection de biotope, une ZICO, deux ZNIEFF de type II et 31 ZNIEFF de type I. Alors même que les cartes de localisation des zonages règlementaires et d'inventaires sont représentées à une échelle très éloignée, l'étude d'impact a souligné l'intérêt naturel exceptionnel des vastes zones humides situées à proximité du projet et a pris en compte la présence de ces ensembles écologiques constituant un environnement naturel de grande qualité.

10. L'étude d'impact précise sans que cela soit contesté que, pour la définition des aires d'études, les préconisations du Guide de l'étude d'impact des parcs (MEEDDM, 2016) ont été prises en compte. Il résulte de l'étude écologique que, concernant l'avifaune, quatre points d'écoute sur quinze et, concernant les chiroptères, quatre points d'écoute sur dix ont été placés en dehors de la zone d'implantation potentielle. Elle précise également que les cinq points d'écoute passive ont été positionnés au niveau d'éléments paysagers caractéristiques de l'aire d'étude rapprochée et dans des habitats potentiellement favorables à l'activité des chiroptères et les cinq points d'écoute active l'ont été afin d'affiner la compréhension de l'utilisation des habitats par les chiroptères ainsi que leurs déplacements. En complément des relevés à ces points d'écoute, des observations ont été réalisées dont les parcours vont au-delà de la seule zone d'implantation potentielle et suivent pour certains le ruisseau de l'Aubrée. En outre, il résulte de l'instruction que le cours d'eau de La Boutonne se situe à plus d'un km de la limite sud et est de la zone d'implantation potentielle et il ne résulte pas de l'instruction que les installations projetées auraient une influence directe et permanente sur la zone retenue par le préfet dans l'arrêté attaqué. Par suite, le préfet ne pouvait refuser l'autorisation au motif que la zone inventoriée aurait dû comprendre les zones de marais et de bocages situées aux abords du ruisseau de l'Aubrée et du cours d'eau la Boutonne, au sud et à l'est de la ZIP, jusqu'au lieu-dit la Belle Assise au nord de la zone.

11. Si l'un des motifs de refus réside dans l'absence d'actualisation de nombreux référentiels utilisés dans l'étude d'impact, il résulte de l'instruction que l'étude d'impact a été complétée par la liste rouge des mammifères Poitou-Charentes de 2018. Si le ministre évoque l'absence de prise en compte des protections de la liste rouge européenne, il ne précise pas en quoi l'appréciation de la sensibilité des chiroptères aurait été différente en fonction de cette prise en compte. Enfin, la seule circonstance que l'étude écologique n'ait pas mentionné de recherches auprès des associations locales de protection de la nature possédant une forte connaissance du tissu territorial naturel n'entache pas cette étude d'irrégularité, en l'absence de texte imposant une telle collaboration et ne traduit par elle-même aucune insuffisance. Ainsi, le motif tiré de l'absence d'actualisation des données bibliographiques existantes ne pouvait justifier un refus d'autorisation.

12. Il résulte de l'étude d'impact que les éoliennes E5, E6, E7 et E8 sont implantées respectivement à 250 m, plus de 250, m 159 m et 96 m des haies. L'étude écologique justifie l'implantation des éoliennes en deçà de la distance de 200 mètres des haies par des études scientifiques notamment les travaux réalisés par Kelm en 2014, Iwata et al. (2003) ainsi que par une collecte de données engagée en 2014 par le bureau d'études et non encore publiée aux termes desquelles le taux d'activité ne décroissait plus significativement au-delà de 50 mètres des haies et lisières, où se trouvent les disponibilités alimentaires utiles aux chiroptères et qui jouent un rôle de corridor structurant leurs déplacements. L'étude conclut que les implantations proposées, bien qu'étant situées à moins de 200 m des lisières et linéaires boisés pour certaines éoliennes, se situent dans un contexte de moindres enjeux et impact vis-à-vis des chiroptères eu égard aux dernières connaissances acquises. Par suite, l'étude d'impact ne peut être regardée comme étant insuffisante sur ce point.

13. Il résulte de l'instruction que pour élaborer le volet écologique de l'étude d'impact, le bureau d'études a procédé à des écoutes actives et passives au sol en 2016, à raison de deux nuits d'écoute au printemps et en été et trois nuits durant le transit automnal, ainsi qu'une nuit d'écoutes à l'automne pour évaluer l'effet des lisières. L'inventaire a été complété par des écoutes en canopée réalisées à une quinzaine de mètres de hauteur du 26 mars 2019 au 14 octobre 2019. La société appelante fait valoir que les écoutes à hauteur de canopée permettent de décrire de manière représentative et efficace l'activité des chiroptères chassant dans le feuillage ou au-dessus de la canopée et ce jusqu'à 30 à 40 mètres du micro, ce qui inclut la hauteur du bas des pales des éoliennes prévues par le projet. Toutefois, cette explication ne suffit pas à justifier l'absence d'écoutes en altitude à hauteur de rotor, alors que, ainsi qu'il a été indiqué au 9, le site présente une richesse écologique importante. Par ailleurs, il résulte de l'instruction ainsi que l'indique le préfet, que l'inventaire de l'étude d'impact ne tient pas compte de l'arrêté du 27 mai 2009 portant désignation du site Natura 2000, Carrières de Saint-Savinien, qui mentionne en son annexe, notamment le petit murin et le rhinolophe euryale. Dans ces circonstances, aucun élément ne permet d'estimer que la réalisation d'écoutes en altitude n'aurait pas modifié le recensement des espèces présentes et, par suite, l'appréhension de l'impact du projet sur les chiroptères.

14. L'étude d'impact décrit et localise les projets d'éoliennes dont 15 éoliennes construites et exploitées ainsi que six accordées dans un périmètre de dix kilomètres et 43 éoliennes construites et exploitées, 21 accordées et 24 en instruction dans le rayon entre 10 et 20 km autour de la zone d'implantation potentielle. Cette étude contient une partie relative aux effets cumulés du projet tant dans le volet paysager que dans le volet faune-flore. Cependant, cette partie n'évoque que succinctement les effets cumulés sur les oiseaux, les chiroptères ainsi que les effets cumulés liés aux réserves de substitution présentes à proximité. D'ailleurs, la mission régionale d'autorité environnementale, dans son avis du 21 avril 2020 indiquait que " l'analyse du porteur de projet sur les effets cumulés reste assez superficielle, dans un contexte où la présence d'autres parcs éoliens justifierait une approche plus détaillée, tant pour le milieu naturel (impact sur les corridors de déplacement) que pour le milieu humain (bruit et paysage) " et mettait en exergue que cette étude " ne présent[ait] pas de méthodologie concernant sa réalisation, ce qui affaibliss[ait] l'analyse présentée et donc ses conclusions ". Pour autant, dans ses observations de novembre 2020 en réponse à cet avis, le pétitionnaire n'apporte pas davantage d'éléments permettant de justifier les conclusions de l'étude d'impact aux termes desquelles aucun effet cumulé biologiquement significatif sur le milieu naturel n'est attendu au cours du cycle écologique de l'avifaune et des chiroptères. Par suite, le préfet était fondé à refuser l'autorisation sollicitée au motif de l'insuffisance de l'étude d'impact quant au cumul des incidences avec d'autres projets existants ou approuvés.

15. D'autre part, aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'environnement : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ".

16. Dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative d'assortir l'autorisation d'exploiter délivrée en application de l'article L. 512-1 du code de l'environnement des prescriptions de nature à assurer la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du même code, en tenant compte des conditions d'installation et d'exploitation précisées par le pétitionnaire dans le dossier de demande, celles-ci comprenant notamment les engagements qu'il prend afin d'éviter, réduire et compenser les dangers ou inconvénients de son exploitation pour ces intérêts. Ce n'est que dans le cas où il estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation d'exploitation est sollicitée, que même l'édiction de prescriptions ne permet pas d'assurer la conformité de l'exploitation aux dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, qu'il ne peut légalement délivrer cette autorisation.

17. Il résulte de l'instruction que le pétitionnaire prévoyait comme mesures de réduction, en premier lieu, l'adaptation du calendrier d'exécution des travaux, un bridage des éoliennes du coucher du soleil à 3 heures du matin, effectif lorsque les conditions météorologiques suivantes sont réunies : vents inférieurs à 5,5 m/s, température supérieure à 13° et absence de précipitation, un suivi de la mortalité sur la période des semaines 18 à 43 et un suivi d'activité à hauteur de nacelle. Compte tenu de la richesse de l'environnement naturel dans lequel le projet s'inscrit, de la forte patrimonialité des espèces de chiroptères susceptibles d'être présentes dans l'aire d'étude immédiate et des caractéristiques des éoliennes projetées, les éléments lacunaires de la demande d'autorisation ne permettaient pas au préfet de vérifier que les mesures prévues par le pétitionnaire et les prescriptions éventuellement imposées seraient de nature à assurer le respect des intérêts de la protection de l'environnement ainsi que l'impose l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

18. Ainsi qu'il a été indiqué au point 14, il résulte de l'étude d'impact que 21 éoliennes existantes, approuvées ou en instruction se situaient dans un rayon de dix kilomètres autour de la zone d'implantation potentielle et 88 dans le rayon entre 10 et 20 km. Pour refuser l'autorisation environnementale, le préfet de la Charente-Maritime a indiqué que " le calcul des indices des espaces de respiration fournis dans l'étude d'impact du projet montre que le projet présente un effet de saturation visuelle de plusieurs lieux de vie (6 hameaux sur les 10 étudiés) avec un espace de respiration inférieur à 160° pour les hameaux de La Ragoterie (100°), l'Abbatis (116°), La Jarrie (117°), Saint-Crépin (114°), Tonnay-Boutonne (55°), Archingeay (94°) ". Il résulte de l'étude d'impact que pour les six hameaux cités par l'arrêté attaqué, l'indice de densité est supérieur à 0,1 et l'indice de respiration est inférieur à 160°. Cependant, il résulte des photomontages que s'agissant des hameaux de Saint-Crépin, Tonnay-Boutonne et Archingeay, les éoliennes sont éloignées ou masquées par la topographie des lieux, des bâtiments, haies ou murets, qui permettent d'exclure la qualification de saturation visuelle. S'agissant du hameau de La Ragoterie, alors même qu'aucun photomontage ne montre la perception du nouveau projet, il résulte de l'instruction et notamment des photomontages produits que les parcs éoliens de Saint-Crépin et Archingeay sont éloignés et donc peu perceptibles, et que seul le parc projeté, dont la position ne peut pas générer d'encerclement, sera visible. Ainsi, pour ces hameaux, le phénomène de saturation relevé par les indices théoriques n'est pas confirmé par la topographie des lieux. En revanche, il résulte de l'instruction et notamment du photomontage 34 que, depuis la route qui mène au hameau l'Abattis, il existe une vue plongeante sur la totalité du parc éolien. Compte tenu des distances et de la faible prégnance du relief, les éoliennes apparaitront au-dessus du hameau, créant un effet de surplomb. Par ailleurs, le hameau de La Jarrie est entouré de terres agricoles avec un relief plat, et se situe entre le parc éolien projeté et celui de la société Champs Echeveria au sud. Il résulte de l'instruction que les seuls filtres permettant de masquer une partie des éoliennes seront constitués par le hameau et sa végétation. Depuis l'entrée nord de La Jarrie, sont ainsi visibles outre les quatre éoliennes projetées, les parcs éoliens de Saint-Crépin, de Nachamps-Courrant, de la Benate, de Chantemerle-Torxié, de Bignay-Mazeray et des Nouillers. Ainsi, pour ce hameau, pour lequel l'indice d'occupation de l'horizon est supérieur à 120° et dont l'étude d'impact concluait à un impact paysager fort, dès lors que ni le relief, ni la végétation ne pourraient masquer les éoliennes prévues par le projet, le phénomène de saturation visuelle apparait caractérisé. Par suite, pour les hameaux de l'Abattis et celui de La Jarrie, et alors même que le paysage des lieux ne présente pas d'intérêt remarquable, le préfet était fondé à refuser l'autorisation sollicitée au motif que le projet présentait des inconvénients excessifs pour la commodité du voisinage auxquels aucune mesure de réduction, ni celles envisagées par la société pétitionnaire, ni celles qu'il aurait pu prescrire, ne permettait de remédier.

19. Il résulte de ce qui précède qu'en refusant de délivrer l'autorisation sollicitée, le préfet a fait une exacte application des intérêts protégés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il résulte enfin de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision de refus s'il s'était fondé sur les seuls motifs exposés aux points 13, 14, 17 et 18 qui suffisent à justifier légalement l'arrêté attaqué.

20. Il résulte de tout ce qui précède que la société Champs Freesia n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté en litige du 8 mars 2021. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention du département de la Charente-Maritime est admise.

Article 2 : La requête présentée par la société Champs Freesia est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Champs Freesia, au département de la Charente-Maritime et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Charente-Maritime.

Délibéré après l'audience du 10 mai 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Nathalie Gay, première conseillère,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2023.

La rapporteure,

Nathalie GayLa présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX01876 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01876
Date de la décision : 31/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : CABINET GREENLAW AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-05-31;21bx01876 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award