La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/05/2023 | FRANCE | N°21BX00384

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 31 mai 2023, 21BX00384


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Les Vignobles Réunis - Roullet a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 en 2014 et le rétablissement de son déficit constaté au titre de l'exercice clos en 2015 pour un montant de 474 215 euros.

Par un jugement n°1901845, 1901846 du 26 novembre 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses demandes.

Proc

dure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 janvier 2021, 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Les Vignobles Réunis - Roullet a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 en 2014 et le rétablissement de son déficit constaté au titre de l'exercice clos en 2015 pour un montant de 474 215 euros.

Par un jugement n°1901845, 1901846 du 26 novembre 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 janvier 2021, 16 mars 2022 et 27 octobre 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Les Vignobles Réunis - Roullet, société par actions simplifiée représentée par Me Banos, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 26 novembre 2020 ;

2°) de prononcer la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 en 2014 et le rétablissement de son déficit constaté au titre de l'exercice clos en 2015 pour un montant de 474 215 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal fait une application erronée des conditions d'application du dispositif prévu par les dispositions du I de l'article 212 du code général des impôts qui ne s'applique qu'aux intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise par une entreprise liée, directement ou indirectement, au sens du 12 de l'article 39 ; le tribunal n'a pas répondu à la question de savoir si le b du 12 de l'article 39 du code général des impôts s'applique à une personne physique alors que le texte parle d'entreprise ;

- le jugement ne se prononce pas sur l'impossibilité d'appliquer ce dispositif dans le cas d'une détention par des personnes physiques dès lors que la question de l'appréciation du taux d'imposition doit être faite en comparaison avec l'impôt sur les sociétés ;

- le jugement attaqué écarte sans motivation suffisante le moyen tiré de l'inconventionnalité des dispositions du b du I de l'article 212 du code général des impôts ; les dispositions du b du I de l'article 212 du code général des impôts constituent une restriction disproportionnée aux libertés de circulation européennes ;

- la doctrine référencée BOI-IS-BASE-35-50 n° 180 du 5 août 2014 prévoit que lorsqu'un schéma envisage l'interposition d'une société qui relève d'un régime de transparence ou de translucidité fiscale, il convient de vérifier l'existence d'un double lien de dépendance et d'apprécier le taux minimum d'imposition au niveau de l'associé ou actionnaire de l'entité translucide et selon la doctrine référencée BOI-IS-BASE-35-20-20-10 n° 80 du 15 avril 2014, les dispositions de l'article 212 du code général des impôts s'appliquent aux avances faites par des entreprises.

Par des mémoires enregistrés les 6 août 2021 et 19 mai 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens développés par la société Les Vignobles Réunis - Roullet ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Nathalie Gay;

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public ;

- les observations de Me Banos, représentant la société Les Vignobles Réunis - Roullet.

Une note en délibéré a été enregistrée le 15 mai 2023, présentée par Me Banos, représentant la société Les Vignobles Réunis - Roullet.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) Les Vignobles Réunis - Roullet qui exploite un domaine viticole dans la région de Cognac, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013, prolongée jusqu'au 30 juin 2014 en matière de taxe sur la valeur ajoutée, à l'issue de laquelle l'administration l'a informée, par une proposition de rectification du 8 juin 2015, de son intention de rehausser le résultat imposable de l'exercice clos en 2013 en raison de la réintégration de la charge de 224 933 euros comptabilisée au titre des intérêts servis en rémunération d'avances en compte courant d'associé. La société a ensuite fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015 aux termes de laquelle elle a été informée, par une proposition de rectification du 7 novembre 2017, de ce que l'administration envisageait de réintégrer, pour la détermination du résultat imposable des deux exercices vérifiés, des intérêts déduits en raison de la rémunération des avances reçues de son associé unique. La société Les Vignobles Réunis - Roullet relève appel du jugement du 26 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 en 2014 et le rétablissement de son déficit constaté au titre de l'exercice clos en 2015 pour un montant de 477 215 euros.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. D'une part, il ressort notamment des points 6 et 7 du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments développés par les parties, ont expliqué les raisons pour lesquelles le b du I de l'article 212 du code général des impôts était applicable en l'espèce en précisant notamment que la circonstance que le détenteur de parts majoritaire de la société Eurocom West LLP soit une personne physique n'y faisait pas obstacle dès lors que cette dernière était une société de personnes. En second lieu, le jugement attaqué indique, au point 11, que le moyen tiré de ce que les dispositions du b du I de l'article 212 du code général des impôts porteraient atteinte à la liberté de circulation et n'étaient pas conformes aux termes des directives (UE) 2016/1164 du 12 juillet 2016 et (UE) 2017/952 du 29 mai 2017 était dépourvu de précisions suffisantes. Ces indications étaient suffisantes pour permettre à l'intéressé de comprendre et de contester ce jugement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement doit être écarté dans ses deux branches.

Sur les conclusions à fin de réduction des impositions auxquelles la société Les Vignobles Réunis - Roullet a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 en 2014 et de rétablissement de son déficit constaté au titre de l'exercice clos en 2015 :

4. Aux termes de l'article 212 du code général des impôts : " I. Les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise par une entreprise liée, directement ou indirectement, au sens du 12 de l'article 39, sont déductibles : (...) / b) Et, sous réserve que l'entreprise débitrice démontre, à la demande de l'administration, que l'entreprise qui a mis les sommes à sa disposition est, au titre de l'exercice en cours, assujettie à raison de ces mêmes intérêts à un impôt sur le revenu ou sur les bénéfices dont le montant est au moins égal au quart de l'impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun. / Dans l'hypothèse où l'entreprise prêteuse est domiciliée ou établie à l'étranger, l'impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun s'entend de celui dont elle aurait été redevable en France sur les intérêts perçus si elle y avait été domiciliée ou établie. / Lorsque l'entreprise prêteuse est une société ou un groupement soumis au régime d'imposition prévu à l'article 8 du présent code ou un organisme de placement collectif relevant des articles L. 214-1 à L. 214-191 du code monétaire et financier ou un organisme de même nature constitué sur le fondement d'un droit étranger et situé dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales et qui n'est pas un Etat non coopératif au sens de l'article 238-0 A du présent code, le présent b ne s'applique que s'il existe également des liens de dépendance, au sens du 12 de l'article 39, entre cette société, ce groupement ou cet organisme et un ou plusieurs détenteurs de parts de cette société, de ce groupement ou de cet organisme. Dans cette hypothèse, l'impôt sur ces intérêts est apprécié au niveau de ces détenteurs de parts (...) ". Aux termes de l'article 39 du code général des impôts (la rédaction de ces dispositions n'a pas été modifiée entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2015): " (...) / 12. (...) Des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises : / a - lorsque l'une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l'autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ; / b -lorsqu'elles sont placées l'une et l'autre, dans les conditions définies au a, sous le contrôle d'une même tierce entreprise (...) ".

5. Il résulte de l'instruction qu'en 2012, la société Eurocom West LLP, société de droit britannique et unique associée de la société Les Vignobles Réunis - Roullet, a conclu une convention de crédit avec celle-ci, de plus de 22 millions d'euros, et que cette dernière a comptabilisé en charge les intérêts dus à la société prêteuse en contrepartie des avances consenties pour la détermination de son résultat fiscal au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015. Dès lors que la société Les Vignobles Réunis - Roullet a pour unique associée la société britannique Eurocom West LLP, société de personnes qui est détenue à 99 % par M. B..., résident fiscal en Russie, celui-ci doit être regardé comme détenant, par l'intermédiaire de la société Eurocom West LLP, la majorité du capital de la société Les Vignobles Réunis - Roullet, sans qu'il soit besoin de vérifier si cette détention de parts sociales constitue pour M. A... une activité économique et professionnelle. Ainsi, des liens de dépendance, au sens du 12 de l'article 39, existaient entre la société britannique Eurocom West LLP et M. A... et l'impôt sur ces intérêts devait être apprécié au niveau du détenteur de parts, M. A.... Il résulte de l'instruction et notamment des propositions de rectification des 8 juin 2015 et 7 novembre 2017, que la société Les Vignobles Réunis - Roullet n'a pas démontré, à la demande de l'administration, que la société Eurocom West LLP ou M. A... aurait été assujetti à raison de ces mêmes intérêts à un impôt sur le revenu ou sur les bénéfices dont le montant aurait été au moins égal au quart de l'impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause, au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015, le bénéfice des dispositions du I de l'article 212 du code général des impôts en ce qui concerne les intérêts versés à la société Eurocom West LLP.

6. La société appelante ne peut pas se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la doctrine référencée BOI-IS-BASE-35-50 n° 180 du 5 août 2014 et BOI-IS-BASE-35-20-20-10 n° 80 du 15 avril 2014 qui ne comporte pas d'interprétation de la loi fiscale différente de celle dont fait application le présent arrêt.

7. Aux termes de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites. / (...) ".

8. Les mesures interdites par cet article, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de procéder à des investissements dans un État membre, qu'elles introduisent une différence de traitement entre résidents et non-résidents (" restrictions directes "), ou que, bien qu'indistinctement applicables aux résidents et aux non-résidents, elles défavorisent, de fait, les situations transfrontalières par rapport aux situations purement internes (" restrictions indirectes ").

9. En faisant obstacle à la déduction des intérêts versés par une société débitrice à une société liée imposée à un niveau inférieur au quart de l'impôt de droit commun en France, les dispositions du b) du I de l'article 212 du code général des impôts citées au point 4 prévoient un traitement différent des sociétés concernées selon le niveau d'imposition de leur prêteur, et non selon le siège de ce dernier. Elles n'introduisent dès lors aucune restriction directe à la liberté de circulation des capitaux.

10. Eu égard au niveau d'imposition plancher qu'elles fixent au quart de l'impôt français de droit commun, ces dispositions n'instaurent par elles-mêmes aucune différence de traitement généralement défavorable, de fait, aux situations transfrontalières. Aucun autre critère de distinction fixé par les dispositions du b du I de l'article 212 du code général des impôts ne trouvant à s'appliquer au détriment des assujettis liés à des sociétés ayant leur siège à l'étranger, ces dispositions ne peuvent être regardées comme instituant une restriction indirecte à la liberté de circulation des capitaux contraire à l'article 63 précité du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Les Vignobles Réunis - Roullet n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses conclusions tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014 et au rétablissement de son déficit constaté au titre de l'exercice clos en 2015 pour un montant de 474 215 euros.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Les Vignobles Réunis - Roullet au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête présentée par la société Les Vignobles Réunis - Roullet est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Les Vignobles Réunis - Roullet et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.

Délibéré après l'audience du 10 mai 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Nathalie Gay, première conseillère,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2023.

La rapporteure,

Nathalie GayLa présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX00384 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX00384
Date de la décision : 31/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : FIDAL MERIGNAC

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-05-31;21bx00384 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award