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31/05/2023 | FRANCE | N°20BX02053

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 31 mai 2023, 20BX02053


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 1er juillet 2020, 14 janvier et 3 avril 2021, la société à responsabilité limitée (SARL) Saint Varentais Energies, représentée par Me Bonneau, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 27 février 2020 par lequel le préfet des Deux-Sèvres a rejeté sa demande d'autorisation environnementale relative à une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent, dénommée " parc éolien de Saint-Varent et Saint-Généroux " comprenant

dix éoliennes et quatre postes de livraison, sur le territoire des communes de Saint-Varen...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 1er juillet 2020, 14 janvier et 3 avril 2021, la société à responsabilité limitée (SARL) Saint Varentais Energies, représentée par Me Bonneau, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 27 février 2020 par lequel le préfet des Deux-Sèvres a rejeté sa demande d'autorisation environnementale relative à une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent, dénommée " parc éolien de Saint-Varent et Saint-Généroux " comprenant dix éoliennes et quatre postes de livraison, sur le territoire des communes de Saint-Varent et Saint-Généroux (Deux-Sèvres) ;

2°) à titre principal, de délivrer l'autorisation sollicitée et d'enjoindre, si nécessaire, au préfet d'assortir cette autorisation des prescriptions de nature à prévenir tout danger ou inconvénient que pourrait présenter l'installation projetée, dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

3°) subsidiairement, d'enjoindre au préfet de délivrer l'autorisation sollicitée dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le motif de refus tiré de ce que le projet porterait atteinte au paysage est infondé, le préfet a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation de l'atteinte portée aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement : le projet est peu visible depuis les villages des vallées environnantes qui sont encaissées, il est situé dans un site identifié comme favorable à l'éolien par le schéma régional éolien (SRE) de Poitou-Charentes approuvé le 29 septembre 2012, qui ne comporte aucun site remarquable et n'est pas incompatible avec l'orientation d'aménagement et de programmation (OAP) " Paysage Energie " du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) applicable de la communauté de communes de Thouars ; l'analyse de l'impact cumulé avec les autres parcs éoliens situés à proximité démontre qu'il n'y a aucun effet de saturation visuelle autour du bourg de Saint-Généroux, et enfin il n'y a aucune atteinte aux édifices classés ou inscrits ;

- le préfet ne pouvait se fonder, pour refuser l'autorisation sollicitée, sur l'avis défavorable du conseil municipal de la commune de Saint-Généroux dès lors qu'aucune disposition législative ou règlementaire ne subordonne la légalité d'une autorisation environnementale au caractère favorable d'un tel avis ;

- le motif de refus tiré de ce que le projet porterait atteinte à l'avifaune est infondé : s'il existe un enjeu fort pour la protection de l'habitat et de certains individus d'oiseaux protégés, des mesures d'évitement sont prévues ; l'étude d'impact a fait une analyse complète de l'état initial de l'environnement ; la séquence " éviter, réduire, compenser " permet la mise en œuvre de nombreuses mesures permettant de conclure à un impact faible à nul du projet sur l'avifaune et notamment le busard cendré ;

- le motif de refus tiré du respect du principe de précaution posé par le 1°) de l'article L. 110-1 du code de l'environnement est erroné eu égard aux mesures d'évitement et de réduction des risques d'atteinte à l'avifaune ;

- le motif tiré de ce que le projet aurait dû faire l'objet d'une demande de dérogation aux espèces protégées en application des dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement est erroné : une telle demande n'était pas nécessaire après application de la séquence " ERC " et le préfet n'en a d'ailleurs pas fait mention dans sa demande de complément du 11 octobre 2018 ;

- le préfet ne peut se fonder sur l'absence d'alternative, condition qui relève du régime de la dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées lorsqu'une telle dérogation est requise, ce qui n'était pas le cas de l'espèce ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en fondant son refus sur les dispositions de l'article L. 163-1 du code de l'environnement.

Par un mémoire enregistré le 23 février 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive n° 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Héloïse Pruche-Maurin;

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public ;

- et les observations de Me Descubes représentant la SARL Saint Varentais Energies.

Une note en délibéré a été enregistrée le 12 mai 2023, présentée pour la SARL Saint Varentais Energies par Me Descubes.

Considérant ce qui suit :

1. Le 15 décembre 2017, la société à responsabilité limitée (SARL) Saint Varentais Energies a déposé une demande d'autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien composé de dix éoliennes et quatre postes de livraison, sur le territoire des communes de Saint-Varent et Saint-Généroux (Deux-Sèvres). Par un arrêté du 27 février 2020, le préfet des Deux-Sèvres a rejeté cette demande d'autorisation environnementale. La société Saint Varentais Energies demande l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Il résulte de l'instruction que pour refuser à la société Saint Varentais Energie l'autorisation sollicitée, le préfet des Deux-Sèvres a opposé, d'une part, l'atteinte aux intérêts mentionnés aux articles L. 511-1 et L. 512-1 du code de l'environnement relatifs au paysage, à la commodité du voisinage et à l'avifaune, d'autre part, la méconnaissance du principe de précaution et de prévention posés par l'article L. 110-1 du même code et, enfin, l'absence de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégés prévue par les dispositions de l'article L. 411-1 du même code.

En ce qui concerne le motif tiré de l'atteinte aux intérêts mentionnés aux articles L. 511-1 et L. 512-1 du code de l'environnement :

3. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'environnement : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...), les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ".

4. Dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative d'assortir l'autorisation d'exploiter délivrée en application de l'article L. 512-1 du code de l'environnement des prescriptions de nature à assurer la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du même code, en tenant compte des conditions d'installation et d'exploitation précisées par le pétitionnaire dans le dossier de demande, celles-ci comprenant notamment les engagements qu'il prend afin d'éviter, réduire et compenser les dangers ou inconvénients de son exploitation pour ces intérêts. Ce n'est que dans le cas où il estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation d'exploitation est sollicitée, que même l'édiction de prescriptions ne permet pas d'assurer la conformité de l'exploitation aux dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, qu'il ne peut légalement délivrer cette autorisation.

S'agissant de l'atteinte au paysage et au patrimoine bâti :

5. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

6. Le projet en litige, qui consiste en l'implantation de dix éoliennes, d'une puissance totale comprise entre 42 et 45 MW et d'une hauteur de 125 mètres, s'implante sur un plateau situé entre les vallées du Thouet à l'est et du Thouerat à l'ouest, présentant une altitude régulière de 90 à 100 mètres, occupé pour la majeure partie par des cultures céréalières. Il est séparé en deux groupes, distants d'environ 1,5 km, composés respectivement de six éoliennes implantées sur deux lignes au nord et de quatre éoliennes implantées sur deux lignes au sud. Les bourgs des communes de Saint-Varent et de Saint-Généroux sont distants de 3,5 kilomètres du projet tandis que le village le plus proche, Boucoeur, est situé à 760 mètres. Le secteur, à dominante agricole, est traversé par la route départementale n°938, qui longe le projet à l'est, axe très fréquenté qui permet de relier Thouars à Parthenay et par la route départementale n°147 qui relie Irais à Saint-Généroux et Saint-Varent. La zone d'implantation comprend plusieurs monuments historiques protégés, et notamment le pont et l'église de Saint-Généroux, la chapelle Saint-Pierre de Boucoeur, et le château de Piogé situé à Availles-Thouarsais. Il s'implante dans un secteur identifié comme favorable à l'éolien par le schéma régional éolien (SRE) de Poitou-Charentes et couvert par l'orientation d'aménagement et de programmation (OAP) relative au paysage et à l'énergie, volet éolien, du plan local d'urbanisme intercommunal de la communauté de communes du Thouarsais approuvé le 4 février 2020.

7. Toutefois, et alors que ce paysage à dominante naturelle ne présente pas d'intérêt spécifique, il résulte de l'instruction, que le projet a, de par l'implantation des éoliennes, la distance des édifices et de la topographie des lieux, peu d'impact sur les monuments protégés. Pour ce qui est du motif tiré de la saturation visuelle autour du bourg de Saint-Généroux, le préfet doit être entendu comme ayant opposé un motif tiré de l'atteinte à la commodité du voisinage.

S'agissant de l'atteinte portée à la commodité du voisinage :

8. Si la société pétitionnaire soutient que le motif de refus du préfet tiré de l'atteinte à la commodité du voisinage est erroné, il résulte toutefois de l'instruction, et notamment de l'étude d'impact, que dans un rayon de 20 kilomètres autour du projet, correspondant à l'aire d'étude éloignée, huit parcs éoliens sont en exploitation et 52 éoliennes sont construites, tandis que deux parcs sont autorisés pour 15 éoliennes et trois parcs sont en cours d'instruction pour 16 éoliennes, représentant donc un total de 83 éoliennes construites, autorisées ou en cours d'instruction. L'aire d'étude rapprochée, correspondant à un rayon de 5 kilomètres autour du projet, compte quatre de ces parcs, la ferme éolienne de Glénay comptant 9 éoliennes, en exploitation et située à 1,3 km au sud-ouest du projet, le parc éolien d'Availles-Thouarsais comptant 10 éoliennes, en exploitation et situé à 3,3 km à l'est du projet, le parc éolien de Saint-Généroux et Irais comptant 9 éoliennes, autorisé et situé à 3,2 km à l'est du projet et enfin le parc éolien des Pâtis-Longs comptant 6 éoliennes, en cours d'instruction et situé à 2,7 km au nord du projet. Ainsi à l'est et à l'ouest de la commune de Saint-Généroux, sur une distance d'environ 3,5 km et en comptant le projet en litige, 29 éoliennes seront implantées de part et d'autre de la route départementale n°147. Il résulte de l'étude d'impact, et notamment des photomontages réalisés, que la covisibilité de l'ensemble de ces éoliennes, parcs de Saint-Généroux, d'Availles-Thouarsais et celui en litige, provoque un effet " barrière " et une saturation de l'horizon, correspondant en tout point au schéma repris dans l'étude d'impact pour définir la notion de " saturation ", qu'on se place à l'est du bourg de Saint-Généroux sur la route départementale n° 147 ou au sud, sur les routes départementales n°46 et n°725. Le préfet retient ainsi un indice d'occupation de l'horizon de 195°, qui n'est pas sérieusement contredit, quand le seuil généralement admis se situe en-deçà de 120° et un espace de respiration de 80°, quand il est généralement admis qu'un espace sans éolienne de 160° minimum est nécessaire pour éviter un effet de saturation visuelle. Ainsi, quand bien même la visibilité des éoliennes serait réduite lorsqu'on se place au cœur du bourg de Saint-Généroux du fait de l'encaissement du village, l'effet de sur-occupation de l'horizon, à l'entrée et à la sortie du village, conséquence du cumul du projet aux parcs existants, qui s'impose de manière permanente et incontournable pour les habitats du village de Saint-Généroux, porte une atteinte anormale aux conditions de vie de ces derniers. Dans ces circonstances, et en l'absence d'élément permettant d'estimer que la configuration des lieux, par la présence de filtres visuels, réduirait significativement l'effet de saturation, le préfet des Deux-Sèvres a pu légalement estimer que l'implantation du projet, cumulée avec les autres parcs existants et les projets à prendre en compte, serait de nature à favoriser un phénomène de saturation visuelle pour les habitants de Saint-Généroux, portant ainsi atteinte aux intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, sans que des prescriptions permettent d'éviter de telles atteintes.

En ce qui concerne le motif tiré de l'absence de dérogation aux espèce protégées :

9. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits: / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) A des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; / e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens (...) ". Aux termes de l'article R. 411-6 du même code : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. / Le silence gardé pendant plus de quatre mois par l'autorité administrative sur une demande de dérogation vaut décision de rejet. / Toutefois, lorsque la dérogation est sollicitée pour un projet entrant dans le champ d'application de l'article L. 181-1, l'autorisation environnementale prévue par cet article tient lieu de la dérogation définie par le 4° de l'article L. 411-2. La demande est alors instruite et délivrée dans les conditions prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier pour l'autorisation environnementale et les dispositions de la présente sous-section ne sont pas applicables ". Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 19 février 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et de la ministre de l'écologie et du développement durable fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées : " La demande de dérogation (...) comprend : (...) La description, en fonction de la nature de l'opération projetée : (...) s'il y a lieu, des mesures d'atténuation ou de compensation mises en œuvre, ayant des conséquences bénéfiques pour les espèces concernées (..) ". Aux termes de l'article 4 de cet arrêté, la décision précise, en cas d'octroi d'une dérogation, " la motivation de celle-ci et, en tant que de besoin, en fonction de la nature de l'opération projetée, les conditions de celles-ci, notamment : (...) nombre et sexe des spécimens sur lesquels porte la dérogation " et " s'il y a lieu, mesures de réduction ou de compensation mises en œuvre, ayant des conséquences bénéfiques pour les espèces concernées ainsi qu'un délai pour la transmission à l'autorité décisionnaire du bilan de leur mise en œuvre ". Les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009 des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement fixent, respectivement, la liste des mammifères terrestres et des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection.

10. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d'oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes.

11. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

12. Il résulte de l'instruction que le projet en litige s'implante à 2,8 km du site Natura 2000 " Plaine d'Oiron-Thénezay ", qui participe notamment de manière importante au maintien des populations françaises de busards cendrés et au sein de la zone naturelle d'intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 1 " Plaine de Saint-Varent, Saint-Généroux ", à proximité d'une colonie de busards cendrés, espèce figurant sur la liste des espèces protégées fixée par l'article 3 de l'arrêté du 29 octobre 2009 et mentionnée à l'annexe I de la directive n° 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages. Il résulte de l'étude d'impact que le secteur d'implantation du projet est identifié comme lieu de reproduction de cette espèce, qui a principalement lieu au printemps, puis de nidification et d'envol des jeunes spécimens, qui a lieu au cours de l'été. Cette étude indique que la population de busards cendrés varie d'environ 30 à 50 couples au sein de la ZPS " Plaine d'Oiron-Thénezay " et que " les inventaires effectués en période de reproduction ", au printemps 2016, " permettent d'estimer que le site est fréquenté par 10 à 16 individus, le nombre de couples reproducteurs avoisinant les quatre à six couples ". Les contacts ont été relevés essentiellement dans la partie nord du projet et les inventaires, qui ont été complétés au printemps 2017, ont relevé la présence de nids sur le site d'implantation des éoliennes. Il résulte en outre de l'instruction, et notamment de la contribution du groupe ornithologique des Deux-Sèvres dans le cadre de l'enquête publique relative au projet en litige, qui pour analyser les enjeux, s'appuie sur les données recueillies dans le cadre de différents protocoles d'études et d'inventaires, que la présence de quatre à six nids de busards cendrés au cœur de la zone d'implantation du projet est confirmée et observée sur plusieurs années, que cette colonie est située à 7 km de la colonie reproductrice de la ZPS " Plaine d'Oiron-Thénezay " et que de nombreux échanges sont possibles entre elles. Il résulte par ailleurs de l'étude d'impact que la sensibilité de cette espèce aux risques de collision avec les éoliennes, de 3 sur une échelle de 4, est importante notamment durant la période de parade en mai et la période d'envol de jeunes en été. L'étude d'impact indique ainsi, au titre des incidences potentielles du projet sur la zone de protection spéciale (ZPS) " Plaine d'Oiron-Thénezay ", que le projet entraine " un risque de perturbation et de destruction des individus nichant sur le site ". Elle indique que le secteur utilisé par le busard cendré pour réaliser ses parades, au mois de mai, et pour l'apprentissage du vol des jeunes, de mi-juillet à mi-août, est d'une taille trop importante au sein de la zone d'implantation du projet pour permettre l'application d'une mesure d'évitement du risque de collision à l'éolien et conclut à une sensibilité particulièrement élevée pouvant être qualifiée de forte durant toute la période de nidification. La pétitionnaire propose, au titre des mesures d'évitement et de réduction, de tenir compte des cinq nids découverts en 2017 et d'instaurer une zone tampon de 300 mètres autour de ces derniers. Elle conclut que cet espace laissé libre de toute éolienne permet de considérer le risque comme négligeable. Elle propose en outre la mise en place d'un calendrier de travaux évitant la période d'avril à juillet pour éviter la destruction de nids lors des travaux de terrassement et l'installation d'un dispositif de détection et de régulation automatique des éoliennes pour les six éoliennes situées en plein cœur de la zone de reproduction qui sera actif en période de reproduction. Elle s'engage, enfin, à financer des campagnes de protection des nids. Toutefois, au vu de la particulière sensibilité de la zone d'implantation du projet sur le busard cendré, au cœur d'une zone de reproduction de cette espèce et de la présence certaine de l'espèce, il résulte de l'instruction que les mesures d'évitement et de réduction proposées par le pétitionnaire ne limitent pas suffisamment le risque, notamment de collision, pour cette espèce au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, le dispositif de détection n'étant ainsi prévu que pour six des dix éoliennes et apparaissant peu efficace pour éviter le risque de collision avec les jeunes spécimens, enjeux forts de conservation de l'espèce. Dans ces conditions, et dès lors qu'il résulte de ce qui précède que le risque que le projet comporte pour cette espèce protégée est suffisamment caractérisé, c'est à bon droit que le préfet des Deux-Sèvres a fondé son refus sur le motif tiré de l'absence de présentation par le pétitionnaire d'une demande de dérogation aux " espèces protégées " au titre des dispositions précitées du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

En ce qui concerne le motif tiré de l'absence d'alternative au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement :

13. Comme le soutient à juste titre la requérante, il résulte de l'instruction que le préfet ne pouvait fonder son refus sur l'absence d'alternative au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, dès lors que comme indiqué aux points précédents, le projet n'avait pas fait l'objet d'une demande de dérogation aux espèces protégées. Par suite, ce motif de refus est erroné.

En ce qui concerne le motif tiré de la méconnaissance des principes de précaution et de prévention posés par l'article L. 110-1 du code de l'environnement :

14. Aux termes de l'article L. 110-1 du code de l'environnement : " (...) On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants. (...) II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants : 1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ; 2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ; (...) ". Aux termes de l'article 5 de la charte de l'environnement : " Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ". Aux termes de l'article 3 de la même charte : " Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences. ".

15. Contrairement à ce qu'a opposé le préfet pour refuser l'autorisation sollicitée, il ne résulte pas de l'instruction qu'il n'existerait à ce jour pas de moyens techniques reconnus efficaces pour réduire le risque de perte d'habitat par effarouchement et le risque de destruction directe par collision. Par suite, en fondant son refus sur ces principes généraux, alors qu'au demeurant des techniques de réduction des impacts de l'éolien sur l'environnement existent, tels que les dispositifs de détection ou de bridage qui permettent, même s'ils ne le rendent pas inexistant, de réduire le risque d'atteinte grave et irréversible à l'avifaune, le préfet a commis une erreur d'appréciation.

En ce qui concerne le motif tiré de l'insuffisance des mesures " éviter, réduire, compenser " de nature à compenser l'atteinte du projet sur son environnement :

16. Aux termes de l'article L. 163-1 du code de l'environnement : " I. - Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité sont les mesures prévues au 2o du II de l'article L. 110-1 et rendues obligatoires par un texte législatif ou réglementaire pour compenser, dans le respect de leur équivalence écologique, les atteintes prévues ou prévisibles à la biodiversité occasionnées par la réalisation d'un projet de travaux ou d'ouvrage ou par la réalisation d'activités ou l'exécution d'un plan, d'un schéma, d'un programme ou d'un autre document de planification. (...) Si les atteintes liées au projet ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, celui-ci n'est pas autorisé en l'état. ".

17. Il résulte de ce qui a été dit au point 12 que les mesures d'évitement et de réduction proposées par la pétitionnaire ne permettent pas d'éviter les atteintes à l'espèce busard cendré. S'agissant des mesures de compensation, la pétitionnaire propose une participation à des actions de façon à améliorer l'état de conservation des populations d'oiseaux de plaines et a fait parvenir au groupe ornithologique des Deux-Sèvres un courrier d'intention en ce sens. Toutefois, cette mesure apparaît, en l'état, insuffisante pour pallier l'atteinte portée par le projet à l'espèce concernée. Par suite, le préfet a fait une exacte application des dispositions précitées de l'article L. 163-1 du code de l'environnement en fondant son refus sur ces dispositions.

En ce qui concerne l'avis défavorable des conseils municipaux :

18. Il résulte des termes de l'arrêté contesté que, pour rejeter la demande d'autorisation environnementale de la société requérante, le préfet s'est également fondé sur l'opposition de plusieurs communes concernées par le projet. Toutefois, un tel motif ne se rattache à aucun des intérêts mentionnés par les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Par ailleurs, il ne résulte d'aucun texte que l'avis des communes environnantes aurait le caractère d'un avis conforme. Dès lors, ce motif est insusceptible de fonder le rejet d'une demande d'autorisation environnementale.

19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet ne pouvait légalement fonder son refus sur les motifs exposés aux points 7, 13, 15 et 18. Toutefois, il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision de refus s'il ne s'était fondé que sur les autres motifs opposés et exposés aux points 8, 12 et 17, qui suffisent à justifier légalement le refus de l'autorisation sollicitée.

20. Il résulte de ce qui précède que la société Saint Varentais Energies n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 27 février 2020 du préfet des Deux-Sèvres.

Sur les conclusions tendant à la délivrance d'une autorisation ou au prononcé d'une injonction :

21. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions présentées par la société Saint Varentais Energies, n'implique ni la délivrance de l'autorisation sollicitée, ni qu'il soit enjoint au préfet compétent de délivrer cette autorisation ou de réexaminer la demande. Les conclusions à ces fins doivent ainsi être rejetées.

Sur les frais d'instance :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que demande la société Saint Varentais Energies au titre des frais d'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Saint Varentais Energies est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Saint Varentais Energies et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Une copie en sera adressée pour information à la préfète des Deux-Sèvres.

Délibéré après l'audience du 10 mai 2023 où siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Nathalie Gay, première conseillère,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2023.

La rapporteure,

Héloïse Pruche-Maurin

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°20BX02053


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX02053
Date de la décision : 31/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Héloïse PRUCHE-MAURIN
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : RIVIERE AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-05-31;20bx02053 ?
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