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30/05/2023 | FRANCE | N°23BX00197

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 30 mai 2023, 23BX00197


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2022 par lequel la préfète de la Gironde a prononcé son transfert aux autorités néerlandaises responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2206379 du 21 décembre 2022, la magistrate désignée du tribunal a annulé cet arrêté et prescrit à la préfète d'enregistrer la demande d'asile de M. A... D....

Procédure devant la cour :

I - Par une requête enregistrée le 2

0 janvier 2023 sous le n° 23BX00197, la préfète de la Gironde demande à la cour d'annuler ce jugement...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2022 par lequel la préfète de la Gironde a prononcé son transfert aux autorités néerlandaises responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2206379 du 21 décembre 2022, la magistrate désignée du tribunal a annulé cet arrêté et prescrit à la préfète d'enregistrer la demande d'asile de M. A... D....

Procédure devant la cour :

I - Par une requête enregistrée le 20 janvier 2023 sous le n° 23BX00197, la préfète de la Gironde demande à la cour d'annuler ce jugement n° 2206379 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Bordeaux.

Elle soutient que :

- c'est à tort que la magistrate désignée a considéré que l'arrêté de transfert était entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; la seule circonstance que son cousin ait bénéficié d'une protection internationale ne suffit pas pour lui permettre d'invoquer les mêmes motifs à son bénéfice ; il appartient seulement à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à la Cour nationale du droit d'asile de se prononcer sur l'octroi d'une telle protection ;

- la magistrate désignée ne pouvait en tirer la conséquence que les autorités néerlandaises n'étaient pas en mesure d'examiner avec les garanties requises sa demande d'asile ;

- les demandeurs d'asile ne peuvent utilement invoquer les risques qu'ils soutiennent encourir dans leur pays d'origine pour refuser de regagner l'Etat membre responsable de l'examen de leur demande d'asile qui présente les garanties requises pour examiner celle-ci ; tel est le cas des Pays-Bas, Etat partie à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la circonstance que deux des trois frères et le cousin du requérant vivent en France ne suffit pas à entacher l'arrêté de transfert d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2103 ; ainsi, M. A... D... a quitté son pays d'origine en 2022 et était donc séparé depuis plus de dix ans de ses frères, l'un d'entre eux étant arrivé en France en 2011 tandis que l'autre a obtenu la nationalité espagnole ; il n'y a pas d'éléments établissant l'intensité des liens que M. A... D... soutient avoir noués avec ces personnes ;

- la magistrate désignée a méconnu les dispositions de l'article L. 572-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en enjoignant à la préfète d'enregistrer la demande d'asile de M. A... D... en procédure normale.

II - Par une requête enregistrée le 20 janvier 2023 sous le n° 23BX00198, la préfète de la Gironde demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2203679 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Bordeaux.

Elle soutient que :

- elle soulève des moyens sérieux de nature à lui permettre d'obtenir le sursis à exécution du jugement attaqué ;

- c'est à tort que la magistrate désignée a considéré que l'arrêté de transfert était entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; la présence en France des frères et du cousin de M. A... D... ne pouvait être prise en compte dès lors qu'ils ne sont pas considérés comme des proches au sens du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- la magistrate désignée a méconnu les dispositions de l'article L. 572-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en enjoignant à la préfète d'enregistrer la demande d'asile de M. A... D... en procédure normale.

Par une décision en date du 25 mai 2023, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck ;

- et les observations de Mme C..., représentant la Préfecture de Gironde.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... D..., ressortissant pakistanais né le 10 octobre 1977, est entré irrégulièrement sur le territoire français le 4 juillet 2022 selon ses déclarations. Le 4 août 2022, il a déposé une demande d'asile en préfecture de Gironde. Un relevé de ses empreintes décadactylaires a montré que M. A... D... avait déjà déposé une demande d'asile aux Pays-Bas. A la demande des autorités françaises, les Pays-Bas ont donné leur accord pour reprendre en charge M. A... D... le 24 août 2022. Par un arrêté du 21 novembre 2022, la préfète de la Gironde a prononcé le transfert de M. A... D... à destination des Pays-Bas, considérés comme responsables de l'examen de la demande d'asile. A la demande de M. A... D..., la magistrate désignée du tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 21 novembre 2022 par un jugement rendu le 21 décembre 2022 dont la préfète de la Gironde relève appel.

Sur la requête n° 23BX00197 :

2. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers (...) sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...) La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant (...) l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur (...) vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement (UE) n° 604/2013: " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers (...) même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".

3. La faculté laissée à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

4. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

5. Pour annuler l'arrêté de transfert en litige, la magistrate désignée du tribunal a retenu que M. A... D... avait subi des représailles dans son pays d'origine pour avoir protégé son cousin, lequel a obtenu en France le statut de réfugié en raison de son orientation sexuelle, et que deux de ses trois frères séjournent sur le territoire français en situation régulière. Toutefois, M. A... D..., qui a quitté son pays d'origine en 2022 et qui était séparé de ses frères depuis plus de dix ans à la date de la décision attaquée, ne produit aucun élément de nature à établir qu'il aurait continué d'entretenir des liens réguliers avec ces derniers en dépit de leur séparation géographique. De plus, il résulte des dispositions du g) de l'article 2 du règlement (UE) n° 604/2013 que les frères et les cousins ne sont pas considérés comme des " membres de la famille " de l'étranger. Ainsi, les éléments retenus par la magistrate désignée ne sont pas suffisants pour permettre d'estimer que la préfète aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en œuvre la clause dérogatoire aux règles de compétence pour l'examen des demandes d'asile prévue à l'article 17 précité du règlement (UE) n° 604/2013. Au surplus, l'arrêté en litige a pour objet de renvoyer M. A... D... aux Pays-Bas, Etat membre de l'Union européenne, partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complété par le protocole de New York, ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, où sa demande d'asile sera examinée avec les garanties requises, ce qui n'est d'ailleurs nullement contesté par l'intéressé. Il s'ensuit que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal a annulé l'arrêté en litige au motif qu'il était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

6. Il y a lieu pour la cour, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par M. A... D....

7. En premier lieu, il ressort des dispositions de l'arrêté du 5 octobre 2022 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial n° 33-2022-196, que la cheffe du pôle régional Dublin Nouvelle-Aquitaine s'est vu délivrer, par la préfète de ce département, une délégation à l'effet de signer " toute décision (...) prise en application du livre V (partie législative et réglementaire) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ". Cette délégation inclut, notamment, la signature des décisions de transfert des demandeurs d'asile dans le cadre de la procédure de détermination de l'Etat responsable. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite (...) dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tous les cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

9. Il ressort des pièces du dossier de première instance que, lors du dépôt de sa demande d'asile, M. A... D... s'est vu remettre la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'UE - quel pays sera responsable de ma demande d'asile ' " et la brochure B " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " sur lesquelles sa signature est apposée. Ces documents ont été remis à l'intéressé en langue ourdou, qu'il a déclaré comprendre et parler, et comportent l'ensemble des informations auxquelles il avait droit en sa qualité de demandeur d'asile. Dans ces conditions, M. A... D... a bénéficié d'une information délivrée conformément aux dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, et le moyen tiré de leur méconnaissance doit ainsi être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Gironde est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté de transfert en litige. Dès lors, ce jugement doit être annulé et la demande de première instance de M. A... D... doit être rejetée.

Sur la requête n° 22BX00198 :

11. La cour statuant au fond par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation du jugement attaqué, la demande de la préfète de la Gironde tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement est devenue sans objet. Il n'y a dès lors plus lieu d'y statuer.

DECIDE

Article 1er : Le jugement n° 2206379 du 21 décembre 2022 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 23BX00198.

Article 3 : La demande de première instance de M. A... D... est rejetée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A... D.... Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 9 mai 2023 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président de la cour,

Mme Florence Demurger, présidente de la 6ème chambre,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2023.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

Le président,

Luc DerepasLa greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 23BX00197 / 23BX00198 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00197
Date de la décision : 30/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : LANNE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-05-30;23bx00197 ?
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