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30/05/2023 | FRANCE | N°22BX03105

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 30 mai 2023, 22BX03105


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 2 juin 2022 par lequel la préfète de la Haute-Vienne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2200977 du 15 septembre 2022, le magistrat désigné du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Proc

édure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 décembre 2022, Mme D... A... B...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 2 juin 2022 par lequel la préfète de la Haute-Vienne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2200977 du 15 septembre 2022, le magistrat désigné du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 décembre 2022, Mme D... A... B..., représentée par Me Marty, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 15 septembre 2022 ;

2°) d'annuler cet arrêté de la préfète de la Haute-Vienne du 2 juin 2022 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Haute-Vienne de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant à travailler, subsidiairement de réexaminer sa situation, dans un délai de vingt jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, au profit de son conseil, une somme de 2 000 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation par son conseil à la part contributive de l'Etat à l'aide juridique.

Mme A... B... soutient que :

- les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation quant à leurs conséquences sur sa vie privée et familiale et sa situation personnelle ;

- elle remplit les conditions prévues à l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour se voir délivrer de plein droit un titre de séjour en raison de son état de santé ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du même code ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa une vie privée et familiale normale, tant dans son principe que dans sa durée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mars 2023, la préfète de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme A... B... ne sont pas fondés.

Mme A... B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2022/014025 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 10 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique, a été entendu le rapport de M. C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., ressortissante de la République démocratique du Congo, née le 12 février 1977, déclare être entrée en France le 26 juin 2021 pour solliciter l'asile. Sa demande a été rejetée le 29 octobre 2021 par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 13 avril 2022. Par un arrêté du 2 juin 2022, la préfète de la Haute-Vienne a retiré l'attestation de demande d'asile de Mme A... B..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi, et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant un an. Mme A... B... relève appel du jugement du 15 septembre 2022 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. ".

3. D'une part, indépendamment de l'énumération donnée par l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une telle mesure à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse lui être fait légalement obligation de quitter le territoire français.

4. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. / (...) La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...). ".

5. Mme A... B..., qui a entendu lever le secret médical, produit des attestations et certificats médicaux datés des 12 novembre 2020, 16 décembre 2021, 10 juin 2022 et 11 juillet 2022, dont il ressort que l'intéressée, par ailleurs suivie pour une affection gynécologique, a été diagnostiquée en état de stress post-traumatique et de syndrome anxio-dépressif réactionnel, pathologies pour lesquelles elle justifie suivre un traitement dont elle affirme qu'il ne peut être ni interrompu ni assuré dans son pays d'origine. Elle produit également une attestation rédigée le 13 juillet 2022 par des médecins neuropsychiatres d'un centre hospitalier de l'université de Kinshasa sans examen de la patiente, confirmant les indications de deux laboratoires pharmaceutiques quant au défaut de distribution de leurs spécialités brevetées en République démocratique du Congo. Toutefois, ces éléments ne permettent pas d'établir que les molécules qui sont prescrites à la requérante, le cas échéant substituables, et que la prise en charge adéquate à ses pathologies ne seraient pas accessibles dans son pays d'origine, ainsi que l'oppose la préfète en défense qui produit le " répertoire des produits pharmaceutiques enregistrés et autorisés " dans ce pays. Ni les éléments d'ordre général sur l'accès aux soins psychiatriques dans ce pays, ni le certificat médical, produit pour la première fois en appel, établi le 2 septembre 2022, soit postérieurement à l'arrêté attaqué, par le praticien du centre hospitalier de Limoges qui suit la requérante, selon lequel le remplacement de son traitement par une autre molécule " ne paraît pas souhaitable ", ne permettent non plus d'établir l'indisponibilité effective du traitement en République démocratique du Congo. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, saisi par la préfète de la Haute-Vienne dans le cadre de la demande de titre de séjour présentée la requérante le 30 août 2022, a estimé, dans son avis du 21 novembre 2022, que l'état de santé de l'intéressée nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Dans ces conditions, Mme A... B... qui ne remplissait pas les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'est pas fondée à soutenir qu'elle ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement et que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français aurait été prise en méconnaissance des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du même code.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

7. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... B... est entrée sur le territoire français le 26 juin 2021 et se maintient depuis lors en situation irrégulière après le rejet définitif de sa demande d'asile. Si la requérante se prévaut de son engagement bénévole auprès de la banque alimentaire et de son apprentissage de la langue française, ces circonstances ne sauraient en elles-mêmes démontrer une insertion suffisante dans la société française eu égard au caractère récent de sa présence en France. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A... B... serait dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où il n'est pas contesté que résident ses trois enfants et son concubin et où elle a elle-même vécu jusqu'à l'âge de 44 ans. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la préfète de la Haute-Vienne aurait, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts poursuivis. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, doit également être écarté le moyen tiré de ce que les décisions litigieuses seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.

8. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Selon l'article L. 612-10 du même code :

" Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ". Il résulte de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.

9. Il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard notamment à ce qui a été dit au point 7, que la préfète aurait, en faisant interdiction à Mme A... B... de retourner sur le territoire français pendant un an, entaché sa décision d'une erreur d'appréciation ou méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme A... B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 juin 2022. Sa requête doit donc être rejetée dans toutes ses conclusions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... B..., Me Marty et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 9 mai 2023 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président de la cour,

Mme Florence Demurger, présidente de la 6ème chambre,

M. Anthony Duplan, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 mai 2023.

Le rapporteur,

Anthony C...

Le président,

Luc Derepas

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22BX03105


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX03105
Date de la décision : 30/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: M. Anthony DUPLAN
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : MARTY

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-05-30;22bx03105 ?
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