Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 3 septembre 2021 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2106919 du 22 septembre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 décembre 2022, Mme A..., représenté par Me Haas, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 septembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 3 septembre 2021 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de la munir d'une autorisation provisoire de séjour, sous les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- l'arrêté a été édicté au terme d'une procédure irrégulière dès lors que la commission du titre de séjour n'a pas été saisie conformément à l'alinéa 2 de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; cette absence de saisine l'a privée d'une garantie ;
- il a méconnu les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté a méconnu les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale garantie par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 février 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 21 février 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 28 mars 2023 à 12h00.
Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 10 novembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les observations de Me Haas, représentant la requérante.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., ressortissante serbe née le 9 mars 1982 à Leskovac (Serbie), est entrée en France selon ses déclarations en janvier 2009, avec son conjoint et leurs quatre enfants. Elle a formulé une demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides le 4 mai 2010, dont la décision a été confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 14 mars 2011. Ses deux demandes de réexamen déposées les 3 novembre 2016 et 23 janvier 2019 ont également été rejetées. Mme A... a fait l'objet de deux obligations de quitter le territoire français les 1er avril 2011 et 7 juillet 2017, dont les recours exercés à leur encontre ont été définitivement rejetés. Par un arrêté du 3 septembre 2021, la préfète de la Gironde a refusé de l'admettre au séjour. Par un jugement du 22 septembre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de Mme A... tendant à l'annulation de cet arrêté. Mme A... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L.423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".
3. Il ressort des pièces du dossier et notamment des très nombreux courriers, attestations et documents produits pour la période comprise entre 2009 et 2021 que Mme A... a, malgré sa situation de précarité avérée, suivi des cours réguliers de français parlé, oral et écrit à compter de 2013. S'agissant de ses enfants, nés à Palerme en Italie en 2002, 2004, 2006 et 2009, il ressort des pièces du dossier qu'ils ont tous effectué leur scolarité en France dès leur arrivée, de façon régulière et continue, et que, à la date de la décision en litige, l'aîné était inscrit en CAP de charpente au CFA de Gironde, le deuxième en CAP commerce service-hôtel-café-restauration, le troisième dans une formation de peintre en bâtiment, et le plus jeune, âgé de 12 ans, au collège. Au regard de leur jeune âge, ils ont vécu la majeure partie de leur vie en France, avec leurs parents et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils auraient vécu en Serbie, ni même tissé de liens avec ce pays. En outre, l'aîné a eu un enfant avec une ressortissante française le 7 septembre 2020, faisant de Mme A... la grand-mère d'un enfant français. Par ailleurs, s'agissant de M. D..., compagnon de Mme A... depuis 1999 et père de ses enfants, il est constant que celui-ci est atteint d'une grave maladie cardiaque, qui a fait l'objet d'un avis des médecins du collège de l'OFII rendu le 8 janvier 2021, soit antérieurement à la date de la décision en litige, qui a estimé que l'état de santé de M. D... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il ne peut pas bénéficier, dans son pays d'origine, d'un traitement approprié. Il est également constant que M. D... a bénéficié d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, délivré le 6 octobre 2022, certes postérieurement à la date de la décision en litige mais se rapportant à une situation antérieure à celle-ci. La maladie dont il est atteint, qui oblige M. D... à porter en permanence un défibrillateur automatique cardiaque et à effectuer un suivi cardiologique régulier auprès du CHU de Bordeaux, rend nécessaire, selon son médecin traitant, la " présence quotidienne de Mme A..., de façon permanente et durable ". En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A..., dont les parents sont décédés, disposerait encore d'attaches familiales en Serbie, ni même qu'elle serait retournée dans son pays d'origine depuis son arrivée en France. Enfin, si la préfète de la Gironde fait valoir en défense que la famille se serait rendue en Belgique en 2016, elle n'apporte aucun élément de nature à corroborer ses allégations. Dans ces conditions, Mme A... doit être regardée comme établissant résider en France de façon habituelle avec son compagnon et leurs quatre enfants depuis 2009. Ainsi, et alors même que Mme A... séjournait irrégulièrement sur le territoire français et avait fait l'objet de mesures d'éloignement, la préfète de la Gironde a, en refusant le titre de séjour sollicité par Mme A..., porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a pris cette décision et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 3 septembre 2021 de la préfète de la Gironde.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Haas, avocat de Mme A..., d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation de ce dernier à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 22 septembre 2022 et l'arrêté de la préfète de la Gironde du 3 septembre 2021 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Haas, avocat de Mme A..., une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié Mme B... A..., au préfet de la Gironde et au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Haas.
Délibéré après l'audience du 9 mai 2023, à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président de la Cour,
Mme Florence Demurger, présidente de chambre,
M. Fréderic Faïck, président-assesseur,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 mai 2023.
La présidente-rapporteure,
Florence C...
Le président de la Cour,
Luc Derepas
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX03093