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30/05/2023 | FRANCE | N°21BX04738

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 30 mai 2023, 21BX04738


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'ordonner la pleine application par la Région Guadeloupe de l'arrêté du 10 novembre 2017 portant reconnaissance de l'imputabilité au service d'un accident de trajet du 11 octobre 1990, de condamner la Région Guadeloupe au versement d'une rente d'incapacité permanente d'un montant annuel de 3 260,47 euros, au versement d'un rattrapage de la rente pour un montant de 97 814,40 euros et d'une somme de 30 000 euros en réparation de son préjudic

e moral.

Par un jugement n° 1901444 du 30 septembre 2021, le tribunal...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'ordonner la pleine application par la Région Guadeloupe de l'arrêté du 10 novembre 2017 portant reconnaissance de l'imputabilité au service d'un accident de trajet du 11 octobre 1990, de condamner la Région Guadeloupe au versement d'une rente d'incapacité permanente d'un montant annuel de 3 260,47 euros, au versement d'un rattrapage de la rente pour un montant de 97 814,40 euros et d'une somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1901444 du 30 septembre 2021, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné la Région Guadeloupe à verser à Mme A... la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 29 décembre 2021 et un mémoire en réplique du 10 janvier 2023, Mme B... A..., représentée par Me Tacita, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1901444 du 30 septembre 2021 ;

2°) de condamner la Région Guadeloupe à l'indemniser des frais médicaux supportés à la suite de son accident de travail et restés à sa charge ; de condamner la région à lui verser une somme de 3 260,47 euros au titre de la rente d'incapacité permanente perdue, et la somme de 97 814,10 euros au titre du rattrapage de cette rente dont elle a été privée ; enfin, de condamner la Région Guadeloupe à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge de la Région Guadeloupe la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Mme A... soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :

- le jugement a soulevé à tort un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité de ses conclusions tendant à l'exécution de l'arrêté du 10 novembre 2017.

Mme A... soutient, au fond, que :

- la Région Guadeloupe a commis une faute de nature à engager sa responsabilité pour avoir omis de déclarer à la caisse de sécurité sociale son accident de travail ; cette omission l'a privée de la possibilité de bénéficier du régime protecteur des accidents de travail prévu par la législation sur la sécurité sociale ;

- la Région Guadeloupe est tenue de l'indemniser de son préjudice constitué par la privation de son droit à bénéficier d'une rente d'incapacité permanente et du rattrapage de cette rente ;

- la faute de la région l'a contrainte à engager de longues démarches administratives en vue d'obtenir la reconnaissance de son accident, lui occasionnant un stress et des angoisses à l'origine de son préjudice moral ; le tribunal n'a pas suffisamment pris en compte l'étendue réelle de son préjudice en l'évaluant à 12 000 euros seulement.

Par des mémoires en défense enregistrés le 26 octobre 2022 et le 30 janvier 2023, la Région Guadeloupe, représentée par Me Richer, conclut au rejet de la requête, à l'annulation partielle du jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe en tant qu'il l'a condamnée à verser la somme de 12 000 euros, et au versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, en ce qui concerne la recevabilité de l'appel, que :

- la requête d'appel de Mme A... est dépourvue de moyens de droit.

Elle soutient, en ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance, que :

- la demande indemnitaire n'a pas été précédée d'une demande préalable liant le contentieux ; le préjudice dont la réparation est demandée n'a pas été chiffré ; la contestation de l'arrêté du 10 novembre 2017 est tardive dès lors qu'elle a été soulevée postérieurement au délai de deux mois à compter de sa notification.

Elle soutient, au fond, que :

- la demande de Mme A..., qui est fondée sur une faute qu'aurait commise la région, pour ne pas avoir déclaré à la caisse de sécurité sociale son accident de trajet du 10 octobre 1990, est prescrite en application de la loi du 31 décembre 1968 sur la prescription quadriennale ;

- les moyens soulevés par Mme A... doivent être écartés comme infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Faïck, président-assesseur ;

- les conclusions de Mme Madelaigue, rapporteure publique ;

- les observations de Me Brard représentant la Région Guadeloupe.

Une note en délibéré a été présentée pour la région Guadeloupe le 15 mai 2023.

Une note en délibéré a été présentée pour Mme A... le 24 mai 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Le 11 octobre 1990, Mme A..., alors employée par la Région Guadeloupe comme agent contractuel, a été victime d'un accident de trajet alors qu'elle se trouvait pendant son travail dans un véhicule de service conduit par un chauffeur de la collectivité. Estimant que la région Guadeloupe avait commis une faute en omettant de déclarer à la caisse de sécurité sociale son accident de trajet, Mme A... a, le 20 septembre 2020, adressé à la région une demande préalable tendant à la réparation de ses préjudices résultant de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée, du fait de cette omission, de bénéficier de la prise en charge, par la caisse de sécurité sociale, des conséquences dommageables de son accident de trajet. Mme A... a saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe d'un recours indemnitaire dirigé contre la région Guadeloupe. Par un jugement rendu le 30 septembre 2021, le tribunal a condamné la région à verser à Mme A... une somme de 12 000 euros en réparation de son préjudice moral et a rejeté le surplus de la demande. Mme A... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande tandis que la région sollicite de la cour, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser la somme précitée de 12 000 euros.

Sur la recevabilité de l'appel :

2. Contrairement à ce que soutient la région Guadeloupe, la requête d'appel de Mme A... expose des moyens et contient une critique du jugement attaqué. Elle satisfait ainsi aux prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative. La fin de non-recevoir tirée de l'absence de motivation de la requête doit être écartée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Il ressort de ses écritures de première instance que Mme A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de procéder à l'exécution de l'arrêté du président du conseil régional du 10 novembre 2017 portant reconnaissance de l'imputabilité au service de son accident de trajet et faisant prendre en charge, par la région, les conséquences dommageables de cet accident entre le 15 et le 18 octobre 1990. Toutefois, il n'appartient pas au juge administratif d'adresser à l'administration des injonctions à titre principal. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejetés comme irrecevables les conclusions précitées de Mme A....

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a, le 20 septembre 2020, soit au cours de l'instance devant le tribunal, adressé à la région Guadeloupe une demande chiffrée d'indemnisation de ses préjudices qu'elle imputait à une faute de cette collectivité. Ainsi, la fin de non-recevoir tirée de l'absence de demande préalable liant le contentieux à la date du jugement attaqué manque en fait.

5. Par ailleurs, la requête présentée par Mme A... devant le tribunal tendait à la mise en jeu de la responsabilité de la région Guadeloupe sur le terrain de la faute. Elle n'avait ainsi nullement pour objet de contester la légalité de l'arrêté précité du 10 novembre 2017. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la contestation de cet arrêté ne peut être opposée à la demande de Mme A....

6. Il résulte de ce qui précède que la demande de première instance de Mme A... est recevable.

Sur la prescription quadriennale :

7. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur les personnes publiques : " Sont prescrites (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption (...) ". Aux termes de l'article 3 de la loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir (...) ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance (...) ".

8. En application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, le délai de la prescription quadriennale dont se prévaut la région a, en principe, couru à compter du 1er janvier de l'année suivant celle au cours de laquelle est survenu le fait générateur de la créance invoquée par Mme A....

9. En vertu des dispositions des articles L. 441-2 et R. 441-3 du code de la sécurité sociale, dans leur version en vigueur au 10 octobre 1990, il appartenait à la région, en sa qualité d'employeur, de déclarer à la caisse de sécurité sociale l'accident survenu à Mme A... dans un délai de 48 heures. Cette déclaration aurait permis à Mme A... de bénéficier de l'application des dispositions des articles L. 431-1, L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale relatives à la prise en charge, par l'organisme d'assurance maladie, des frais médicaux liés à l'accident et à l'octroi, au profit de la victime de l'accident du travail, d'une indemnité ou d'une rente selon son taux d'incapacité. Dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'elle se soit acquittée de cette obligation dans le délai légal, la région Guadeloupe a commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité vis-à-vis de Mme A.... Cette faute constituant le fait générateur de la créance en litige, le délai de prescription quadriennale a couru, en principe, à compter du 1er janvier 1991 pour expirer le 31 décembre 1994.

10. Il résulte toutefois de l'article 3 précité de la loi du 31 décembre 1968 que la prescription ne court pas tant que le créancier peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance. Il en résulte, au cas d'espèce, que le délai de la prescription quadriennale n'a commencé à courir qu'à compter du 1er janvier de l'année suivant celle au cours de laquelle Mme A... a su que la région avait omis de transmettre à la caisse la déclaration d'accident de service.

11. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 4 novembre 2015, l'organisme d'assurance maladie a fait savoir à la région Guadeloupe que la demande de Mme A... tendant à la prise en sa charge de son accident de trajet était prescrite en application de l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale, faute pour ses services d'avoir été saisis d'une déclaration d'accident. Cette lettre du 4 novembre 2015 a été portée par la région à la connaissance de Mme A... le 17 février 2016 seulement. Les quelques courriers que la région Guadeloupe avait auparavant adressés à Mme A... informaient celle-ci que des recherches avaient certes été effectuées pour retrouver la trace d'une déclaration, sans reconnaître toutefois que cette déclaration n'avait en réalité jamais été transmise. Dans ces conditions, Mme A... doit être regardée comme ayant légitimement ignoré sa créance envers la région jusqu'au 17 février 2016. Il s'ensuit que la prescription quadriennale a commencé à courir à compter du 1er janvier 2017 et qu'elle n'était pas prescrite le 27 novembre 2019, date à laquelle Mme A... a saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe. Par suite, l'exception de prescription quadriennale doit être écartée.

Sur la réparation :

12. Ainsi qu'il a été dit au point 9, la région Guadeloupe a commis une faute de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis de Mme A.... Cette dernière est en droit d'obtenir, sous la forme d'une indemnité, réparation des préjudices qu'elle a subis et qui présentent un lien de causalité direct avec la faute commise par l'administration. A cet égard, le préjudice subi par Mme A... résulte de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de bénéficier du régime protecteur des accidents du travail prévu aux articles L. 431-1, L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale.

13. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 13 février 2017 produit au dossier, que les lombalgies, cervicalgies et trapézalgies dont souffre Mme A... constituent des séquelles imputables à son accident de trajet survenu le 11 octobre 1990. Toutefois, il résulte du même rapport d'expertise que ces pathologies ne sont pas exclusivement imputables à l'accident dès lors qu'elles trouvent aussi leur origine dans des lésions arthrosiques, dont Mme A... est atteinte, évoluant pour leur propre compte. Dans ces circonstances, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par l'intéressée, depuis l'accident du 11 octobre 1990, et qui est constitué par l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de bénéficier de la prise en charge par l'assurance maladie de ses frais de santé et d'obtenir une indemnité ou un capital en réparation de son incapacité, en l'évaluant à la somme globale de 30 000 euros. Par suite, c'est tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté les conclusions indemnitaires de Mme A... tendant à la réparation de ces chefs de préjudice.

14. En second lieu, il résulte de l'instruction que Mme A... a, en vain, multiplié les courriers à la région et à la caisse de sécurité sociale pour faire valoir ses droits. Les péripéties administratives auxquelles Mme A... a ainsi été exposée pendant plusieurs années lui ont causé un préjudice moral. Toutefois, les premiers juges ont fait une évaluation excessive de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 12 000 euros. Il en sera fait une juste appréciation en retenant, pour ce chef de préjudice, une somme de 5 000 euros.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la région Guadeloupe doit être condamnée à verser à Mme A... la somme globale de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts. Le jugement attaqué du tribunal administratif de la Guadeloupe doit ainsi être réformé en tant qu'il a fixé à 12 000 euros, au titre du seul préjudice moral, le montant de la réparation de Mme A....

Sur les frais de l'instance :

16. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de la région Guadeloupe la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle aux conclusions présentées par la région Guadeloupe à l'encontre de l'appelante.

DECIDE

Article 1er : La région Guadeloupe est condamnée à verser à Mme A... la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Article 2 : Le jugement n° 1901444 du tribunal administratif de la Guadeloupe du 30 septembre 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La région Guadeloupe versera à Mme A... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la région Guadeloupe présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié Mme B... A... et à la région la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 9 mai 2023 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président de la cour,

Mme Florence Demurger, présidente de la 6ème chambre,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2023.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

Le président,

Luc Derepas

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne préfet de la Guadeloupe, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX04738 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04738
Date de la décision : 30/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : TACITA

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-05-30;21bx04738 ?
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