Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Lamarque a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le syndicat mixte du bassin versant des Jalles du Cartillon et de Castelnau (SMBVJCC) à lui verser la somme de 113 998,80 euros en réparation des préjudices causés à un ouvrage de confortement des berges du chenal du port de Lamarque par l'ouverture d'une écluse dont le syndicat assure la gestion.
Par un jugement n° 1804553 du 15 décembre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le SMBVJCC à verser à la commune de Lamarque la somme
de 56 999,40 euros et mis à la charge du syndicat mixte et de la commune, à hauteur de la moitié chacun, les dépens d'un montant de 7 286,93 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 février 2021 et 11 février 2022,
le SMBVJCC, représenté par la SELAS J. Ph. Magret, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux
du 15 décembre 2020 ;
2°) de rejeter la demande de la commune de Lamarque ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Lamarque la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.
Il soutient que :
- la requête est recevable, son président ayant été autorisé à intenter les actions en justice en son nom ;
- le dommage est entièrement imputable à la commune de Lamarque en sa qualité de maître d'ouvrage du rideau de palplanches et de propriétaire de la parcelle à compter
du 22 juin 2017, ainsi que cela ressort du rapport d'expertise judiciaire qui retient comme causes exclusives le sous-dimensionnement de l'ouvrage réalisé en 2000, sa mauvaise construction et son mauvais état ; alors même qu'aucun désordre n'a été à déplorer en 2009
et 2010, les tirants fatigués n'ont pas résisté à une troisième agression en 2014 ;
- l'existence d'un lien de causalité entre l'ouverture des vannes de l'écluse d'une part, et la détérioration du rideau de palplanches et l'effondrement de la berge d'autre part, n'est pas établie ; c'est l'eau de l'estuaire qui, par effet de submersion, est passée par derrière les palplanches et, lorsque la jalle s'est vidée et n'a plus exercé de pression, le rideau de palplanches a été déstabilisé ;
- l'action du syndicat est rendue indispensable du fait des inondations en amont de l'écluse, car si le syndicat n'ouvre pas les vannes, l'ensemble des quartiers urbanisés va être inondé ; c'est à tort que le tribunal a écarté cette cause d'exonération ; d'ailleurs, les vannes étant ouvertes depuis le mois de décembre, il n'y a pas eu d'arrivée d'eau massive et brutale ;
- à la suite de la réfection de l'ouvrage par la commune, aucun désordre n'a été constaté malgré les crues historiques de la Garonne et de la Dordogne en 2021, démontrant ainsi que ce sont bien les défauts de conception et de réalisation des ouvrages qui sont la cause exclusive du dommage.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 10 septembre 2021 et 8 novembre 2021, la commune de Lamarque, représentée par la SELARL cabinet Caporale, Maillot, Blatt, conclut au rejet de la requête et à ce que soient mis à la charge du requérant la somme
de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.
Elle fait valoir que :
- la requête d'appel est irrecevable faute de délibération ou de pouvoir du président du syndicat mixte pour ester en justice ;
- le dommage résulte de l'importance des lâchers d'eau effectués par le syndicat qui a déstabilisé les palplanches, comme l'avait retenu le rapport d'expertise amiable ; l'expertise judiciaire retient également une telle cause, et si elle conclut en la responsabilité exclusive de la commune, il ressort du rapport que l'affaiblissement des tirants par la corrosion est une cause secondaire de l'effondrement des palplanches ; c'est donc à raison que le tribunal a retenu un partage de responsabilité ;
- le syndicat mixte ne peut utilement se prévaloir de l'absence de faute de sa part dès lors que la responsabilité du maître d'ouvrage est une responsabilité de plein droit ;
- l'action conjuguée des pressions exercées par l'eau d'un côté en partie haute, de l'autre en partie basse, ont contribué au basculement du rideau vers le chenal, et non l'effet de submersion de l'estuaire ;
- contrairement à ce qu'affirme le syndicat, l'examen des tirants n'a révélé aucun défaut majeur ; leur rupture est due aux conséquences des efforts exceptionnels qu'ils ont subis ;
- l'absence de dommage en 2009 et 2010, alors que la commune a été classée en état de catastrophe naturelle en raison d'évènements climatiques majeurs, démontre que c'est une surcharge exceptionnelle provoquée par une ouverture des vannes qui est à l'origine du dommage ;
- les désordres excèdent largement, par leur nature et leur importance, les troubles susceptibles d'être imposés aux voisins des ouvrages publics ;
- les frais exposés pour un montant de 113 998 euros, bien moindre que celui retenu par l'expert, sont justifiés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Magret, représentant le SMBVJCC et de Me Kremers, représentant la commune de Lamarque.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de la tempête de 1999, la commune de Lamarque, riveraine de l'estuaire de la Gironde, a entrepris, au cours de l'année 2000, de renforcer les berges du chenal du port de Lamarque par la pose d'un rideau de palplanches métalliques, dont une partie longeait la propriété des époux A.... En raison des pluies abondantes et de forts coefficients de marée au cours de l'hiver 2013-2014, le syndicat mixte du bassin versant des Jalles du Cartillon et de Castelnau (SMBVJCC), chargé notamment de la gestion de l'écoulement des eaux, a procédé à l'ouverture de l'écluse située en amont du chenal et à l'extrémité de la propriété des époux A.... Ces derniers ont par la suite constaté l'effondrement du rideau de palplanches et des berges situées au droit de leur propriété. Après avoir obtenu de la commune la tenue d'une expertise amiable le 18 août 2014, ils ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux pour obtenir une expertise judiciaire. L'expert, désigné par une ordonnance
du 11 février 2015, a déposé son rapport le 20 octobre 2015. Les époux A... ont alors demandé au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'enjoindre à la commune de Lamarque de procéder à la réparation du rideau de palplanches, mais leur requête a été rejetée par ordonnance du 21 janvier 2016 au motif que le coût des travaux, évalués par l'expert à 810 910,80 euros, était excessif. La commune a toutefois réalisé des travaux, pour un montant de 84 000 euros, afin de créer un talus incliné par enrochement reposant sur le rideau de palplanches, puis a acquis la propriété des époux A... le 22 juin 2017. De nouveaux travaux ont été entrepris à des fins de terrassement, pour un montant de 29 998,80 euros.
2. La commune de Lamarque a alors saisi le tribunal administratif de Bordeaux afin de demander la condamnation du SMBVJCC à l'indemniser du montant de ses travaux qu'elle estime imputables aux lâchers d'eau auxquels ce dernier a procédé. Par un jugement
du 15 décembre 2020, le tribunal a condamné le syndicat mixte à indemniser la commune de Lamarque à hauteur de 50 % des frais exposés, soit la somme de 56 999,40 euros, et mis à la charge du syndicat mixte et de la commune, à hauteur de la moitié chacun, les dépens d'un montant de 7 286,93 euros. Par la présente requête, le SMBVJCC relève appel de ce jugement.
3. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.
4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise déposé
le 20 octobre 2015, que l'effondrement du rideau de palplanches était dû au phénomène d'érosion de la butée en pied de celui-ci, causé par les importants lâchers d'eau auxquels avait procédé le SMBCJCC en ouvrant les vannes de l'écluse. Cette masse d'eau étant supérieure en volume à la capacité qu'était en mesure d'accueillir le chenal, elle a débordé sur les côtés de l'écluse, provoquant une importante charge hydraulique sur la partie haute du rideau et sur les tirants enterrés, dont certains ont rompu. Ainsi, le lien de causalité entre le fonctionnement de l'écluse et l'effondrement du rideau de palplanches est établi. Les circonstances que le SMBVJCC n'aurait commis aucune faute en procédant à ces lâchers d'eau, rendus nécessaires pour éviter l'inondation de zones urbanisées en amont de l'écluse, et que le rapport d'expertise a exclu sa responsabilité pour ce motif, sont sans incidence, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 3, la responsabilité du maître de l'ouvrage peut être engagée à l'égard des tiers, même en l'absence de faute.
5. S'il résulte de l'expertise que le dommage est dû également au
sous-dimensionnement et à la réalisation défectueuse du rideau de palplanches, du fait de l'utilisation de tirants qui n'étaient pas adaptés et se sont corrodés rapidement, d'un montage à l'envers des liernes, et, enfin, de la fixation des câbles aux liernes dans des conditions non conformes aux règles de l'art, ce défaut de conception de l'ouvrage, qui révèle une faute de la commune à l'origine de sa construction, est seulement de nature à atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage. Dans les circonstances de l'espèce, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu cette faute, non contestée par la commune de Lamarque, pour exonérer le SMBVJCC de sa responsabilité à hauteur de 50 %.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de
non-recevoir opposée par la commune, tirée de l'absence de qualité du président du syndicat mixte pour ester en justice au nom de celui-ci, que le SMBVJCC n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux l'a reconnu responsable pour moitié dans les dommages subis par le rideau de palplanches installé
par la commune de Lamarque et l'a condamné à verser à cette dernière la somme
de 56 999,40 euros.
Sur les frais liés au litige :
7. D'une part, aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".
8. Eu égard au partage de responsabilité retenu entre le SMBVJCC et la commune, les frais et honoraires d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 7 286,93 euros, peuvent être répartis à parts égales entre les deux parties. Par suite, le jugement du tribunal administratif de Bordeaux doit être confirmé sur ce point.
9. D'autre part, les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Lamarque, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le SMBVJCC demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du SMBVJCC une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Lamarque au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du SMBVJCC est rejetée.
Article 2 : Le SMBVJCC versera à la commune de Lamarque la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la commune de Lamarque est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat mixte du bassin versant des Jalles
du Cartillon et de Castelnau et à la commune de Lamarque.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Anne Meyer, présidente,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 mai 2023.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Anne Meyer
Le greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21BX00503