Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 43 800 euros avec intérêts au taux légal au titre de son préjudice financier, et de 10 000 euros au titre de son préjudice moral, en réparation de l'absence
de versement à l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat
et des collectivités publiques (IRCANTEC) de ses cotisations d'assurance vieillesse et prévoyance.
Par un jugement n° 1701073 du 27 novembre 2019, le tribunal a condamné l'Etat
à lui verser une indemnité de 1 000 euros et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une décision n° 437951 du 26 octobre 2021, enregistrée le 1er février 2022 au greffe de la cour, le Conseil d'Etat a transmis à la cour administrative de Bordeaux la requête présentée pour Mme B....
Par une requête sommaire et un mémoire ampliatif enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 24 janvier et 21 avril 2020, et un mémoire enregistré au greffe de la cour le 23 mai 2022, Mme B..., représentée par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 53 800 euros assortie des intérêts
au taux légal et de la capitalisation, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en l'absence de procédure contradictoire ;
- le rejet de sa demande d'indemnisation d'un préjudice financier est insuffisamment motivé dès lors que les premiers juges ne pouvaient se borner à relever qu'elle ne pouvait être affiliée à l'IRCANTEC, mais devaient tenir compte du manque à gagner résultant de l'absence d'affiliation à tout régime de retraite complémentaire ;
- l'Etat a commis une première faute en s'abstenant de l'informer de ce que son affectation à Mayotte mettrait fin à son affiliation à l'IRCANTEC, et par voie de conséquence de la nécessité de changer de régime de retraite complémentaire, et une seconde faute en lui laissant croire, par le prélèvement de cotisations au profit de l'IRCANTEC, que son séjour à Mayotte serait pris en compte dans la liquidation de sa retraite complémentaire ;
- le tribunal a commis une erreur de droit en s'abstenant de rechercher si la faute commise en lui laissant penser qu'elle était régulièrement affiliée à un régime de retraite complémentaire lui avait fait perdre une chance de bénéficier d'une pension de retraite complémentaire incluant ses années de service à Mayotte ; aucune imprudence ne peut lui être reprochée dès lors qu'elle ne pouvait anticiper que les prélèvements effectués au titre
de l'IRCANTEC ne seraient pas versés à ce régime de retraite complémentaire ; sur la base
des points qu'elle aurait cumulés d'octobre 2014 à février 2017, sa perte annuelle de retraite complémentaire s'élève à 1 459,60 euros, soit une perte de pension de 43 800 euros
durant 30 ans ; à titre subsidiaire, si elle avait investi auprès de l'UMR COREM la somme
de 4 876 euros correspondant aux cotisations à l'IRCANTEC prélevées à tort durant son affectation à Mayotte, elle aurait perçu une retraite complémentaire de 315 euros par an, soit un manque à gagner de 9 450 euros sur une période de 30 ans ;
- la perte d'une part substantielle de sa pension lui a causé un important préjudice d'anxiété et un préjudice moral ; le rejet par l'IRCANTEC de sa première demande
de liquidation a retardé de huit mois le versement de toute pension de retraite ; elle a multiplié sans succès les démarches auprès de l'administration pour obtenir des explications sur les cotisations prélevées à tort ; la perte de la somme de 43 800 euros a généré un sentiment d'insécurité financière ; ainsi, la somme de 1 000 euros allouée par le tribunal est insuffisante et doit être portée à 10 000 euros.
Par des mémoires en défense enregistrés le 3 novembre 2020 et le 15 février 2022,
le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut à sa mise hors de cause.
Il fait valoir que le litige ne relève pas de la compétence du service des retraites
de l'Etat.
Par ordonnance du 10 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée
au 15 septembre 2022.
Un mémoire présenté par le ministre de la transition écologique et de la cohésion
des territoires a été enregistré le 23 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale :
- l'ordonnance n° 2011-1923 du 22 décembre 2011 ;
- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 ;
- le décret n° 70-1277 du 23 décembre 1970 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Laffargue, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., agente contractuelle de l'Etat recrutée à compter du 7 septembre 1981 par le ministère de l'environnement, a été nommée en dernier lieu cheffe de l'unité biodiversité de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Mayotte à compter
du 1er septembre 2014, et a été admise à faire valoir ses droits à la retraite à compter
du 1er mars 2017. Lors de la communication de son bulletin de compte récapitulatif par l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (IRCANTEC), elle a constaté que les cotisations à ce régime de retraite complémentaire figurant sur ses bulletins de salaire n'avaient pas été prises en compte depuis son affectation à Mayotte. Sa demande d'intégration de ces cotisations aux bases de liquidation de sa pension a été rejetée par l'IRCANTEC au motif que ce régime complémentaire n'était pas applicable aux agents affiliés à la Caisse de sécurité sociale de Mayotte, ce qui a conduit l'Etat à rembourser à l'intéressée, en avril 2018, la somme de 4 876,11 euros correspondant aux prélèvements indûment effectués sur sa rémunération.
2. Après avoir présenté au ministre chargé de l'environnement une réclamation restée sans réponse, Mme B... a saisi le tribunal administratif de Mayotte d'une demande de condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant total de 53 800 euros en réparation de ses préjudices, en invoquant des fautes dans la gestion de ses cotisations et de ses bulletins de salaire, gestion qui relève par nature de la compétence de la juridiction administrative, contrairement à ce que soutenait le ministre devant le tribunal. Elle relève appel du jugement du 27 novembre 2019 par lequel le tribunal a seulement condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de son préjudice moral, en ce qu'il a rejeté le surplus de sa demande.
Sur la régularité du jugement :
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier de première instance que les mémoires et les pièces produits par les parties ont été communiqués. Le moyen tiré de l'absence de procédure contradictoire, invoqué dans la requête sommaire et non explicité ultérieurement, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
4. En second lieu, Mme B... a seulement demandé devant le tribunal la réparation d'un préjudice financier correspondant au montant de pension capitalisé qu'elle estimait avoir perdu du fait de l'absence de cotisation à l'IRCANTEC durant son affectation à Mayotte, sans se prévaloir d'un manque à gagner à raison d'une perte de chance de cotisation auprès de tout régime de retraite complémentaire. En relevant que son affiliation au régime local géré par la Caisse de sécurité sociale de Mayotte ne lui permettait pas d'être affiliée à l'IRCANTEC, les premiers juges ont suffisamment motivé le rejet relatif à ce chef de préjudice.
Sur la responsabilité :
5. Comme le fait valoir Mme B..., l'Etat a commis des fautes en s'abstenant de l'informer de ce que son affectation à Mayotte mettrait fin à son affiliation à l'IRCANTEC, et en lui laissant croire, par des bulletins de salaire faisant apparaître des cotisations à l'IRCANTEC, qu'elle continuait à acquérir des droits à pension complémentaire.
Sur les préjudices :
6. En premier lieu, Mme B..., qui ne conteste pas que le régime de retraite complémentaire géré par l'IRCANTEC n'était pas applicable à Mayotte au cours de la période en litige, n'est pas fondée à demander une indemnité correspondant au montant capitalisé de la pension qu'elle aurait perçue si elle avait cotisé à ce régime durant son affectation à Mayotte.
7. En deuxième lieu, Mme B... se prévaut pour la première fois en appel de ce que l'absence d'information sur l'impossibilité d'être affiliée à l'IRCANTEC lui a fait perdre une chance de cotiser à un autre régime complémentaire, et sollicite à titre subsidiaire la réparation d'un préjudice financier correspondant à la pension qu'elle aurait perçue en ayant investi dans un plan épargne retraite (PER) les sommes correspondant aux prélèvements indûment effectués sur sa rémunération, soit 4 876,11 euros au total. Toutefois, à supposer même qu'une épargne inférieure à 5 000 euros puisse ouvrir droit au versement d'une pension sous forme de rente, la somme de 9 450 euros sollicitée à titre subsidiaire repose sur l'affirmation que le placement de la somme de 4 876,11 euros sur un PER ouvrirait droit à une rente annuelle de 315 euros,
ce qui n'est assorti d'aucun commencement de preuve, et sur l'hypothèse d'une espérance de vie de 92 ans, supérieure à celle d'une femme actuellement âgée de 62 ans. Ainsi, Mme B... ne démontre pas qu'elle aurait pu prétendre à un complément de pension supérieur à la somme
de 4 876,11 euros qui lui a été remboursée. Par suite, l'existence du préjudice financier allégué n'est pas établie.
8. En troisième lieu, eu égard aux multiples démarches infructueuses que Mme B... a été contrainte d'engager du fait des fautes du ministère chargé de l'environnement, il y a lieu de porter l'indemnisation de son préjudice moral de 1 000 euros à 2 000 euros.
9. En l'absence de toute difficulté alléguée quant à l'exécution du jugement, les conclusions tendant à ce que la condamnation soit assortie d'une astreinte, réitérées en appel, ne peuvent qu'être rejetées.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme que l'Etat a été condamné à verser à Mme B... est portée
de 1 000 euros à 2 000 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Mayotte n° 1701073 du 27 novembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 avril 2023.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX00378