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06/04/2023 | FRANCE | N°22BX00055

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 06 avril 2023, 22BX00055


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C..., M. F... C... et Mme G... E... ont demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de Schœlcher a rejeté leur demande de retrait pour fraude du permis de construire délivré le 24 janvier 2020 à la société SCCV Arc-en-Ciel en vue de la construction d'un immeuble de vingt-trois logements.

Par un jugement n° 2100124 du 9 décembre 2021, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande.

Procédure devant la c

our :

Par une requête enregistrée le 7 janvier 2022 et des mémoires enregistrés les 3 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C..., M. F... C... et Mme G... E... ont demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de Schœlcher a rejeté leur demande de retrait pour fraude du permis de construire délivré le 24 janvier 2020 à la société SCCV Arc-en-Ciel en vue de la construction d'un immeuble de vingt-trois logements.

Par un jugement n° 2100124 du 9 décembre 2021, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 janvier 2022 et des mémoires enregistrés les 3 février 2022 et 5 juillet 2022, Mme D... C..., M. F... C... et Mme G... E..., représentés par Me Especel, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 9 décembre 2021 ;

2°) d'annuler la décision implicite du maire de Schœlcher rejetant leur demande de retrait du permis de construire délivré le 24 janvier 2020 à la société SCCV Arc-en-Ciel ;

3°) d'enjoindre au maire de Schœlcher de retirer le permis de construire en litige dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Schœlcher et de la société SCCV Arc-en-Ciel la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est entaché de dénaturation des faits ; le service instructeur a sollicité du pétitionnaire de produire un document contractuel et non pas seulement de compléter son dossier en précisant les conditions d'évacuation des eaux pluviales dans le réseau public existant ; le visa par le permis de construire de l'existence d'un acte de servitude ne procède pas d'une erreur matérielle mais constitue une irrégularité ; contrairement à ce qu'affirme le jugement, la parcelle H 233 ne leur appartient pas mais constitue le terrain d'assiette du projet immobilier et il n'existait aucun pourparlers en cours sur la servitude mais seulement une demande du notaire qui n'a jamais reçu leur accord ;

- le tribunal a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne tirant pas les conclusions qui s'imposaient au regard des faits ;

- le dépôt en mairie le 4 novembre 2019 du projet d'attestation établi par le notaire alors qu'ils avaient manifesté leur désaccord et que cette attestation n'avait même pas été portée à leur connaissance à l'état de projet est constitutif d'une fraude justifiant le retrait du permis de construire ; la fraude est d'autant plus caractérisée que le document produit ne correspondait pas à ce que la mairie avait exigé ; l'attestation établie par le notaire est un faux alors au demeurant que ce dernier fait l'objet d'un jugement de destitution en mai 2022 en raison de manquements à diverses obligation déontologiques et professionnelles ;

- cette fraude eu égard à sa gravité ne peut être régularisée par un permis modificatif ;

- la commune ayant expressément exigé une évacuation des eaux pluviales par l'utilisation de leur terrain, aucune alternative n'était envisageable ;

- c'est à tort que le tribunal a considéré qu'ils étaient la partie perdante à l'instance et les a condamnés sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative alors que le permis modificatif a pour objet de régulariser le permis initial.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 février 2022, la commune de Schœlcher, représentée par Me Gil-Fourrier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge des appelants en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la demande de première instance était irrecevable dès lors que le recours tendant au retrait du permis de construire introduit le 10 mars 2021 avait perdu son objet à la suite de la délivrance du permis de construire modificatif du 21 février 2021 ;

- les autres moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er avril 2022, la société SCCV Arc-en-Ciel, représentée par Me Yang-Ting Ho, conclut rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge des appelants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les requérants ne justifient pas d'un intérêt à agir ;

- la demande de première instance était tardive ;

- les autres moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... H...,

- les conclusions de M. Romain Roussel Cera, rapporteur public,

- et les observations de Me Especel, représentant Mme D... C..., M. F... C... et Mme G... E....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 24 janvier 2020, le maire de Schœlcher a délivré à la société SCCV Arc-en-Ciel un permis de construire un bâtiment de vingt-trois logements sur quatre niveaux, sur la parcelle cadastrée section H n° 233. Par un courrier du 18 décembre 2020, M. et Mme C... et A... E..., propriétaires indivis d'une maison située sur une parcelle contigüe au terrain d'assiette du projet ont demandé au maire de Schœlcher de procéder au retrait pour fraude de cet arrêté. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par le maire sur cette demande. Par un arrêté du 12 février 2021, le maire de Schœlcher a délivré à la société SCCV Arc-en-Ciel, un permis de construire modificatif. M. et Mme C... et A... E... relèvent appel du jugement du 9 décembre 2021, par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le maire de Schœlcher a rejeté leur demande de retrait de l'arrêté du 24 janvier 2020.

Sur la régularité du jugement :

2. Le moyen tiré de la dénaturation des pièces du dossier par les premiers juges ne relève pas de l'office du juge d'appel mais de celui du juge de cassation. Si les requérants ont entendu, en invoquant une telle dénaturation, contester l'erreur de fait qu'auraient commise les premiers juges dans l'analyse des pièces du dossier un tel moyen se rapporte au bien-fondé du jugement et non à sa régularité.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". Aux termes de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme : " Le délai de recours contentieux à l'encontre d'une décision de non opposition à une déclaration préalable ou d'un permis de construire, d'aménager ou de démolir court à l'égard des tiers à compter du premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l'article R. 424-15 ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 424-5 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " La décision de non-opposition à une déclaration préalable ou le permis de construire ou d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peuvent être retirés que s'ils sont illégaux et dans le délai de trois mois suivant la date de ces décisions. Passé ce délai, la décision de non-opposition et le permis ne peuvent être retirés que sur demande expresse de leur bénéficiaire. ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Par dérogation aux dispositions du présent titre, un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré ".

4. Un tiers justifiant d'un intérêt à agir est recevable à demander, dans le délai du recours contentieux, l'annulation de la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie d'une demande à cette fin. Dans un tel cas, il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de vérifier la réalité de la fraude alléguée puis, en cas de fraude, de contrôler que l'appréciation de l'administration sur l'opportunité de procéder ou non à l'abrogation ou au retrait n'est pas entachée d'erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l'acte litigieux soit de son abrogation ou de son retrait.

5. La caractérisation de la fraude résulte de ce que le pétitionnaire a procédé de manière intentionnelle à des manœuvres de nature à tromper l'administration sur la réalité du projet dans le but d'échapper à l'application d'une règle d'urbanisme. Une information erronée ne peut, à elle seule, faire regarder le pétitionnaire comme s'étant livré à l'occasion du dépôt de sa demande à des manœuvres destinées à tromper l'administration.

6. Il ressort des pièces du dossier et notamment des échanges de courriels entre les consorts C... et le cabinet de notaire, que des pourparlers étaient engagés au sujet du rachat de la maison d'habitation des requérants par la société SCCV Arc-en-ciel et qu'une servitude de passage pour l'évacuation des eaux de pluie du projet en litige était envisagée dans le cadre de ces négociations, lesquelles ont été finalement suspendues à l'initiative des consorts C... le 19 novembre 2019. Il ressort par ailleurs de ces échanges que par un courriel du 4 novembre 2019, le cabinet de notaire a soumis à l'approbation des consorts C... " un projet d'attestation contenant le projet de constitution de servitude ", ledit projet d'attestation établi le 25 octobre 2019 mentionnant qu'" il sera constaté un acte de constitution de servitude d'écoulement des eaux pluviales dont les termes sont littéralement reproduits ci-après ". S'il n'est pas contesté que le pétitionnaire a déposé cette attestation à la mairie le 4 novembre 2019 sans avoir obtenu au préalable l'accord des requérants, il ressort des termes de cette attestation, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, que la convention de servitude n'était encore qu'à l'état de projet et restait à être recueillie par acte authentique. Dans ces conditions, le dépôt d'une telle attestation ne saurait être regardée à elle seule comme une manœuvre destinée à obtenir une autorisation d'urbanisme. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que le permis de construire était assorti d'une prescription imposant au pétitionnaire de constituer " une servitude d'écoulement des eaux pluviales par un droit de passage d'une canalisation souterraine sur la parcelle I 159, cédé par autorisation des propriétaires consorts C... ", démontrant ainsi que le service instructeur n'avait pas été induit en erreur sur le caractère non effectif de la servitude. Par suite, la fraude n'est pas établie.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande de première instance et les fins de non-recevoir opposées en défense, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation des requérants, n'appelle pas de mesure d'exécution. Il s'ensuit que les conclusions à fin d'injonction de la requête doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

En ce qui concerne les frais liés à la demande de première instance :

9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens (...) ". Il résulte de ces dispositions que le paiement des sommes exposées et non comprises dans les dépens ne peut être mis à la charge que de la partie qui perd pour l'essentiel. En l'absence de preuve sur l'existence d'une fraude, la circonstance que le recours introduit par les requérants serait à l'origine de la régularisation du permis de construire intervenue en cours d'instance, ne saurait à elle seule, leur ôter la qualité de partie perdante pour l'essentiel. Par suite, en mettant à la charge des requérants une somme de 2 000 euros à verser à la société pétitionnaire et à la commune de Schœlcher, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

En ce qui concerne les frais liés à l'instance d'appel :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Schœlcher, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge des requérants le versement d'une somme de 1 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la commune de Schœlcher et la même somme au titre des frais exposés par la société SCCV Arc-en-Ciel.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... C..., de M. F... C... et de Mme G... E... est rejetée.

Article 2 : Mme D... C..., M. F... C... et Christiane E... verseront, à la commune de Schœlcher d'une part, et à la société Arc-en-Ciel d'autre part, une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C..., à M. F... C..., à Mme G... E..., à la commune de Schœlcher et à la société SCCV Arc-en-Ciel.

Délibéré après l'audience du 16 mars 2023 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Claude Pauziès, président,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.

La rapporteure,

Birsen H...Le président,

Jean-Claude PauzièsLa greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX00055


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00055
Date de la décision : 06/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PAUZIÈS
Rapporteur ?: Mme Birsen SARAC-DELEIGNE
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : ESPECEL

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-04-06;22bx00055 ?
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