Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La collectivité d'outre-mer de Saint-Martin a demandé au tribunal administratif de Saint-Martin de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 71 233 713 euros, assortie des intérêts de droit à compter du 25 avril 2017 ainsi que de la capitalisation des intérêts, à raison des erreurs dans le calcul des dotations globales de compensation qui lui étaient dues.
Par un jugement n°1700095 du 9 mars 2020, le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 8 juin 2020, le 24 juin 2020 et le 5 avril 2022, la collectivité territoriale de Saint-Martin, représentée par Me Benjamin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Saint-Martin du 9 mars 2020 ;
2°) de condamner l'Etat, d'une part, à établir de nouvelles dotations globales de compensation en tenant compte des erreurs révélées par la chambre territorialedes comptes et des calculs qu'elle a établis et, d'autre part, à lui verser une indemnité de 71 233 713 euros, assortie des intérêts de droit à compter du 25 avril 2017 ainsi que la capitalisation des intérêts, à raison des erreurs dans le calcul des dotations globales de compensation qui lui étaient dues ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le tribunal administratif a omis de statuer sur sa demande tendant à ce que l'Etat établisse de nouvelles dotations globales de compensation purgées de toute erreur de calcul ;
- sa demande tendant à ce que l'Etat rétablisse de nouvelles dotations globales de compensation est recevable, dès lors qu'elle n'est pas nouvelle en appel ; la sous-évaluation des charges transférées au titre de l'action sanitaire et sociale est tellement importante qu'elle s'apparente à une fraude, dont elle pouvait, sans condition de délai, demander l'abrogation ou le retrait ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ses prétentions indemnitaires comme irrecevables, au motif que l'arrêté du 22 avril 2011 était devenu définitif faute d'avoir été contesté, alors qu'elle a saisi le Conseil d'Etat d'une requête tendant à l'annulation de cet arrêté dans le délai de recours contentieux, transmis au tribunal administratif de Paris, dont elle s'est désistée à la suite du rejet par le conseil constitutionnel de sa question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des 1° à 3° du I de l'article 104 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 dans sa rédaction issue du 1° du I de l'article 6 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 qui prévoit la suppression de l'octroi de mer ;
- les premiers juges n'ont pas tiré les conséquences du désistement d'instance dont le tribunal administratif de Paris lui a donné acte par ordonnance du 1er décembre 2016 ; ce désistement d'instance a conservé les délais de recours contentieux ;
- son recours indemnitaire était recevable ; la jurisprudence Commune de Faa'a n'est pas transposable au présent litige ; elle est recevable à fonder son action indemnitaire sur la faute de l'Etat tenant aux erreurs commises dans le décompte des dépenses sociales à prendre en compte ;
- la jurisprudence Lafon ne saurait lui être opposée ; un recours pour excès de pouvoir serait inefficace eu égard aux graves fautes commises par l'Etat et qui n'étaient pas décelables, l'ampleur de la sous-estimation du montant des charges transférées ne lui ayant été révélée qu'à la lecture du rapport d'observations provisoires de la chambre territoriale des comptes de janvier 2017 ;
- la créance dont elle se prévaut n'est pas prescrite ;
- sa demande indemnitaire est fondée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 février 2021, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête de la collectivité territoriale de Saint-Martin et à ce qu'il soit mis à la charge de cette dernière la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la requête indemnitaire de la collectivité territoriale de Saint-Martin était irrecevable compte tenu du caractère définitif de l'arrêté du 22 avril 2011 dont l'objet est de fixer le montant des charges transférées, et est par suite exclusivement pécuniaire, et dès lors que cette requête indemnitaire était fondée exclusivement sur l'illégalité de cet arrêté ; le moyen tiré de ce que les agissements fautifs de l'Etat résultant de la carence des services de l'Etat seraient détachables de la fixation du montant des charges transférées est inopérant ;
- sa demande tendant à ce que l'Etat établisse de nouvelles dotations globales de compensation purgées de toute erreur de calcul est nouvelle en appel et, par suite, irrecevable ;
- la créance dont la collectivité se prévaut est partiellement prescrite ; le bien-fondé de la créance alléguée, fondé sur un document provisoire et confidentiel, n'est pas établi ;
- les autres moyens soulevés par la collectivité territoriale de Saint-Martin ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 8 avril 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 9 mai 2022 à 12 heures.
Par lettre du 16 mars 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de la collectivité de Saint-Martin en tant qu'elles tendent à l'annulation du refus de l'Etat de procéder à l'abrogation de l'arrêté du 22 avril 2011 et à ce qu'il lui soit enjoint de procéder à un nouveau calcul de la dotation globale de compensation, ces conclusions étant nouvelles en appel.
Par un mémoire enregistré le 16 mars 2023, la collectivité de Saint-Martin a répondu au moyen d'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A... B...,
- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,
- et les observations de Me Liebeaux, représentant la collectivité territoriale de Saint-Martin.
Considérant ce qui suit :
1. A compter du 15 juillet 2007, date d'entrée en vigueur de la loi organique
n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, complétée par la loi ordinaire du même jour, la commune de Saint-Martin, qui dépendait jusqu'alors de la Guadeloupe, est devenue une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution. La nouvelle collectivité d'outre-mer, dont le statut est codifié au livre III de la sixième partie du code général des collectivités territoriales, s'est substituée sur le territoire de la partie française de l'Ile de Saint-Martin et de ses îlots aux trois collectivités préexistantes : la commune de Saint-Martin, le département de la Guadeloupe et la région de la Guadeloupe. La création de cette nouvelle collectivité s'est accompagnée, d'une part, d'un transfert complet de compétences de la commune, du département et de la région et, d'autre part, d'un transfert partiel des compétences de l'Etat. Les modalités financières de ces transferts de compétence sont régies par les articles L.O. 6371-1 et suivants du code général des collectivités territoriales, en particulier l'article L.O. 6371-4, qui dispose que : "Tout accroissement net de charges résultant des transferts de compétences effectués entre l'Etat, la région ou le département de la Guadeloupe ou la commune de Saint-Martin et la collectivité de Saint-Martin est accompagné du transfert concomitant à la collectivité de Saint-Martin des ressources nécessaires à l'exercice normal de ces compétences.". L'article L.O. 6371-5 du même code a prévu quatre instruments de compensation des charges transférées : le transfert d'impôts, la dotation globale de fonctionnement, la dotation globale de construction et d'équipement scolaire et, pour le solde, une dotation globale de compensation inscrite au budget de l'Etat et dont la loi de finances précise chaque année le montant. Un arrêté conjoint du ministre chargé du budget et du ministre chargé de l'outre-mer du 22 avril 2011 a fixé le montant des charges et le droit à compensation des compétences transférées à la collectivité de Saint-Martin. Cette dernière a formé un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation de cet arrêté devant le Conseil d'Etat qui, par une décision n°350581 du 26 décembre 2013, a relevé que cet arrêté ne revêtait pas un caractère règlementaire et a en conséquence attribué le jugement de la requête au tribunal administratif de Paris. Par une ordonnance du 1er décembre 2016, le président de la 2nde section dutribunal administratif de Paris a donné acte à la collectivité de son désistement.
2. Après avoir vainement formé une réclamation préalable, la collectivité de Saint-Martin a demandé au tribunal administratif de Saint-Martin de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 71 233 713 euros en réparation du préjudice subi, selon elle, de 2008 à 2016 en raison d'erreurs qu'auraient commises les services de l'Etat dans le calcul de la dotation globale de compensation, liées à une sous-évaluation du transfert des charges au titre de l'action sociale et sanitaire qui aurait été révélée par le rapport d'observations provisoires de la chambre territoriale des comptes de Saint-Martin du 17 janvier 2017. Par un jugement du 9 mars 2020, le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté cette demande comme irrecevable. La collectivité de Saint-Martin relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. La collectivité de Saint-Martin soutient que le tribunal administratif a omis de statuer sur ses conclusions tendant au retrait ou, à tout le moins, à l'abrogation de l'arrêté du 22 avril 2011. Elle fait valoir que sa demande de première instance, qui tendait notamment à ce que " l'Etat établisse de nouvelles dotations globales de compensation ", devait être interprétée comme tendant à ce que le tribunal, non seulement condamne l'Etat à l'indemniser, mais encore prononce le retrait ou l'abrogation dudit arrêté. Toutefois, eu égard à la formulation de ces conclusions, et alors en outre que la collectivité ne sollicitait une indemnisation qu'au titre de la période allant de 2008 à 2016, les premiers juges ne se sont pas mépris sur le sens des conclusions dont ils étaient saisis. La collectivité de Saint-Martin n'est dès lors pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'une omission à statuer sur une partie de ses conclusions.
Sur la recevabilité des conclusions d'appel de la collectivité de Saint-Martin :
4. La collectivité de Saint-Martin reprend devant la cour ses conclusions tendant à ce que " l'Etat établisse de nouvelles dotations globales de compensation ", et indique que de telles conclusions doivent être interprétées comme tendant à ce que la cour enjoigne à l'Etat de rapporter l'arrêté du 22 avril 2011. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 3, la demande de première instance ne peut être interprétée comme comportant de telles conclusions, lesquelles sont ainsi nouvelles en appel et, par suite, irrecevables.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
5. L'expiration du délai permettant d'introduire un recours en annulation contre une décision expresse dont l'objet est purement pécuniaire fait obstacle à ce que soient présentées des conclusions indemnitaires ayant la même portée.
6. En l'espèce, l'arrêté interministériel du 22 avril 2011, dont l'objet était de fixer le montant des charges et le droit à compensation des compétences transférées à la collectivité de Saint-Martin, avait un objet purement pécuniaire. S'il ne comportait pas l'indication des voies et délais de recours contentieux, la collectivité de Saint-Martin en a eu nécessairement connaissance au plus tard le 4 juillet 2011, date d'introduction de son recours devant le Conseil d'Etat tendant à l'annulation de cet arrêté. Ainsi qu'il a été dit au point 1, cette dernière a déclaré se désister de ce recours, désistement dont il lui a été donné acte par une ordonnance du 1er décembre 2016 du président de la 2nde section du tribunal administratif de Paris, dont il n'a pas été relevé appel. L'arrêté du 22 avril 2011 est ainsi devenu définitif à la date de cette ordonnance, soit le 1er décembre 2016. Si la collectivité fait valoir qu'il s'agissait, non pas d'un désistement d'action, mais d'un désistement d'instance, son désistement ne saurait avoir eu pour effet de conserver le délai de recours contentieux dont elle disposait pour demander l'annulation de l'arrêté du 22 avril 2011. Enfin, à supposer même que l'illégalité dont était entaché l'arrêté en cause, ainsi que l'étendue du préjudice qu'elle impute à la sous-estimation du coût de l'action sanitaire et sociale du département de la Guadeloupe, ne lui auraient été révélés qu'à la lecture du rapport d'observations provisoires de la chambre territoriale des comptes de Saint-Martin de janvier 2017, une telle circonstance n'est pas de nature à rouvrir le délai de recours contentieux aux fins d'annulation de cet arrêté. Il s'ensuit que, comme l'a relevé le tribunal, à la date à laquelle la collectivité territoriale de Saint-Martin a sollicité l'indemnisation du préjudice résultant, selon elle, des erreurs affectant l'arrêté du 22 avril 2011 quant au calcul de la dotation globale de compensation, le délai permettant d'introduire un recours en annulation contre cet arrêté était expiré.
7. Par ailleurs, les conclusions indemnitaires de la collectivité de Saint-Martin sont fondées sur l'inexacte application, par les auteurs de l'arrêté du 22 avril 2021, des articles L.O. 6371-1 et suivants du code général du code général des collectivités territoriales régissant la détermination de la dotation globale de compensation. Contrairement à ce que soutient l'appelante, ses prétentions indemnitaires ne sont ainsi pas fondées sur une faute de l'Etat indépendante de l'édiction de cet arrêté et qui aurait eu comme conséquence mécanique une minoration du montant de la dotation globale de compensation, mais reposent sur l'illégalité fautive de cet arrêté.
8. En application du principe rappelé au point 5, la demande de première instance de la collectivité de Saint-Martin tendant à l'indemnisation du préjudice résultant de l'illégalité fautive entachant l'arrêté du 22 avril 2011, devenu définitif, était ainsi tardive et, par suite, irrecevable.
9. Il résulte de ce qui précède que la collectivité de Saint-Martin n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté sa demande.
Sur les frais d'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais d'instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du ministre de l'intérieur et de l'outre-mer présentées sur le même fondement.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la collectivité de Saint-Martin est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le ministre de l'intérieur et des outre-mer au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la collectivité de Saint-Martin et au ministre de l'intérieur et de l'outre-mer.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,
Mme Agnès Bourjol, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 avril 2023.
La rapporteure,
Agnès B...La présidente,
Marie Pierre BEUVE DUPUY
La greffière,
Sylvie HAYET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX01832