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29/03/2023 | FRANCE | N°21BX01238

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 29 mars 2023, 21BX01238


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ris'k (société à responsabilité limitée) a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner la collectivité territoriale de Martinique à lui verser la somme de 102 800, 64 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de l'insuffisance des commandes passées pour l'exécution des lots n° 1, 2 et 3 du marché à bons de commande de sensibilisation des foyers martiniquais face aux risques majeurs / Plan familial de mise en sûreté et fourniture et kits d'

urgence, conclu le 22 avril 2015.

Par un jugement n° 1900672 du 22 décembre 2020...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ris'k (société à responsabilité limitée) a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner la collectivité territoriale de Martinique à lui verser la somme de 102 800, 64 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de l'insuffisance des commandes passées pour l'exécution des lots n° 1, 2 et 3 du marché à bons de commande de sensibilisation des foyers martiniquais face aux risques majeurs / Plan familial de mise en sûreté et fourniture et kits d'urgence, conclu le 22 avril 2015.

Par un jugement n° 1900672 du 22 décembre 2020, le tribunal administratif de la Martinique a condamné la collectivité territoriale de Martinique à verser à la société Ris'k la somme de 2 028,35 euros et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés, le 23 mars 2021 et le 17 juin 2022, la société Ris'k, représentée par Me Yang-Ting Ho, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 22 décembre 2020 en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) de condamner la collectivité territoriale de Martinique à lui verser la somme de 102 800, 64 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de l'insuffisance des commandes passées pour l'exécution des lots n° 1, 2 et 3 du marché à bons de commande de sensibilisation des foyers martiniquais face aux risques majeurs / Plan familial de mise en sûreté et fourniture et kits d'urgence, conclu le 22 avril 2015, assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation à compter du 19 juillet 2019 ;

3°) de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Martinique la somme de 3 500 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- il est insuffisamment motivé dès lors que les premiers juges ne justifient pas du mode de calcul des différentes sommes qu'ils retiennent pour établir le montant de son préjudice ;

- en outre, les premiers juges n'indiquent pas le fondement juridique leur permettant d'exclure l'année 2016 du calcul du montant du préjudice retenu, entachant le jugement d'une erreur de droit ;

Sur le bien-fondé du jugement :

- elle est titulaire des lots n° 1, 2 et 3 du marché du marché à bons de commande de sensibilisation des foyers martiniquais face aux risques majeurs/Plan familial de mise en sûreté et fourniture et kits d'urgence conclu avec la collectivité territoriale de Martinique le 22 avril 2015 ; ce marché, conclu pour une année, a été tacitement reconduit à deux reprises pour deux nouvelles périodes d'une année, faute de dénonciation tacite ;

- la collectivité territoriale de Martinique n'ayant pas respecté les montants minimaux de commandes de 30 000 euros HT annuels prévus pour chacun des trois lots au titre des années au cours desquelles le marché devait être exécuté, elle est en droit d'obtenir l'indemnisation du préjudice correspondant à la marge bénéficiaire dont elle a été privée ;

- en retenant comme base de calcul de son préjudice, son taux de marge nette au titre des années 2016 et 2017, le tribunal a commis une erreur de droit dès lors que c'est le taux de marge brute qui devait être retenu ; en outre, il est incohérent de se fonder sur les données comptables relatives à ses deux années au cours desquelles son co-contractant a été défaillant dans l'exécution de ses obligations contractuelles, cette défaillance ayant eu un impact direct sur la rentabilité de la société ; par ailleurs, le changement dans les conditions d'exécution du marché intervenu le 1er décembre 2015 consistant à sélectionner cinq communes pour signer un partenariat a eu pour conséquence des surcoûts résultant de l'exécution de demandes dans des délais rapprochés qui devaient trouver compensation dans l'exécution du marché dans sa totalité ; la collectivité a ainsi imposé des conditions d'exécution du marché non prévues initialement (article 5 du CCP) ; il en résulte que la base du taux de marge calculé devait être celui d'un exercice antérieur à l'exploitation du marché.

La requête a été communiquée à la collectivité territoriale de Martinique laquelle n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A... B...,

- et les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence, le conseil régional de Martinique a mis en œuvre une procédure d'appel d'offres le 6 mai 2014. La société Ris'k a été déclarée attributaire des lots n° 1 " Secteur Nord ", n° 2 " Secteur Centre " et n° 3 " Secteur Sud " du marché à bons de commande de sensibilisation des foyers martiniquais face aux risques majeurs / Plan familial de mise en sûreté et fourniture et kits d'urgence et le marché a été conclu le 22 avril 2015. La collectivité territoriale de Martinique a succédé à la région Martinique dans l'exécution des trois lots de ce marché. Estimant que les commandes émises en exécution des trois lots de ce marché étaient insuffisantes, la société Ris'k a formé auprès de la collectivité territoriale de Martinique une demande indemnitaire préalable par un courrier du 11 juillet 2019 qui est resté sans réponse. La société Ris'k a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner la collectivité territoriale de Martinique à lui verser une indemnité de 102 800,67 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi. Elle relève appel du jugement du tribunal en tant qu'il a limité le montant de son indemnité à hauteur de la somme de 2 028,35 euros. Elle demande en outre que le montant de son indemnité soit assortie des intérêts et de leur capitalisation.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, la circonstance que le tribunal aurait commis une erreur de droit en excluant à tort l'année 2016 du calcul de l'indemnité à laquelle peut prétendre la société Ris'k, relève du bien-fondé du jugement et non de sa régularité. Par suite, un tel moyen ne peut qu'être écarté.

3. En second lieu, il résulte du point 6 du jugement attaqué que, pour calculer le montant du préjudice subi par la société Ris'k, le tribunal s'est fondé sur les différentes attestations de présentation des comptes annuels produites par la société requérante à la suite de la mesure d'instruction du 19 septembre 2020, ainsi que sur les bilans comptables, également produits par la société, qui ont été soustraits au contradictoire en application de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative. Dans ces circonstances, la société Ris'k ne saurait soutenir que les premiers juges, en indiquant le montant du bénéfice net escompté par la société si elle avait obtenu les minima de commande sur la seconde période de reconduction pour chacun des trois lots, auraient insuffisamment précisé le calcul du montant de son préjudice. Par suite, ce moyen doit être écarté.

Sur les conclusions indemnitaires :

4. D'une part, aux termes de l'article 77 du code des marchés publics, applicable au litige : " I. - Un marché à bons de commande est un marché conclu avec un ou plusieurs opérateurs économiques et exécuté au fur et à mesure de l'émission de bons de commande (...) / Dans ce marché le pouvoir adjudicateur a la faculté de prévoir un minimum et un maximum en valeur ou en quantité, ou un minimum, ou un maximum (...) ". Aux termes de l'article 38 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de fournitures courantes et de services, approuvé par arrêté ministériel du 19 janvier 2009, auquel renvoie l'article 4.B du cahier des clauses particulières commun aux trois lots : " Lorsqu'au terme de l'exécution d'un marché à bons de commande le total des commandes du pouvoir adjudicateur n'a pas atteint le minimum fixé par le marché, en valeur ou en quantités, le titulaire a droit à une indemnité, égale à la marge bénéficiaire qu'il aurait réalisée sur les prestations qui restaient à exécuter pour atteindre ce minimum (...) ".

5. D'autre part, il résulte des articles 3.1. des trois actes d'engagement que les trois lots du marché en litige ont été conclus pour une durée initiale d'un an reconductible de façon tacite par période d'un an dans la limite de trois années. Les articles 2.1 des mêmes actes d'engagement prévoient un montant minimum de commandes égal à 30 000 euros HT pour la période initiale, ainsi que deux nouveaux montants minimums de commandes de 30 000 euros HT par chacune des deux périodes de reconduction.

6. Le bénéfice net dont le cocontractant a été privé du fait de l'insuffisance des commandes doit s'apprécier au regard du montant dont ce cocontractant était assuré de bénéficier en exécution du marché. Il doit être calculé par rapport au résultat net avant impôt sur les sociétés.

7. Il résulte de l'instruction que les lots n° 1 " Secteur Nord ", n° 2 " Secteur Centre " et n° 3 " Secteur Sud " du marché à bons de commande de fournitures litigieux d'une durée initiale d'un an, ont été reconduits à deux reprises faute de dénonciation expresse par les parties. Il résulte également de l'instruction que, au cours de la période initiale du marché, qui a couru entre le 22 avril 2015 et le 21 avril 2016, l'administration a émis pour chacun des trois lots un bon de commandes daté du 1er septembre 2015 portant sur des fournitures d'un montant supérieur au montant minimal de commande prévu par les actes d'engagement. La société Ris'k n'est donc pas fondée à demander réparation de son préjudice au titre de cette première période.

8. En revanche, il est constant que pour ces trois lots, l'administration n'a procédé à aucune commande au cours de la première période de reconduction, qui a couru entre le 22 avril 2016 et le 21 avril 2017, et que pour la seconde période de reconduction qui a couru entre le 22 avril 2017 et le 21 avril 2018, l'administration n'a émis pour le lot n°1 qu'un bon de commande daté du 30 novembre 2017 et portant sur des fournitures d'un montant de 26 614 euros HT, inférieur au montant minimal de commande fixé à 30 000 euros HT et n'a procédé à aucune commande au titre des lots n° 2 et n° 3.

9. Ainsi, au titre du lot n°1, la société Ris'k est fondée à demander l'indemnisation de son bénéfice net sur les sommes respectives de 30 000 euros HT, pour la première période de reconduction, et de 3 386 euros HT (30 000 euros HT - 26 614 euros HT), pour la seconde période de reconduction. Au titre des lots n° 2 et 3, la société Ris'k est fondée à demander l'indemnisation de son bénéfice net sur la somme de 30 000 euros HT pour chacune des deux périodes de reconduction du marché, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la perte de bénéfice net qui en est résulté pour la requérante n'a pas été compensée par d'autres évènements tels que l'exécution d'un autre marché. Le chiffre d'affaires qui aurait été celui de la société Ris'k en l'absence d'insuffisance des commandes pour ce marché doit ainsi être fixé à la somme de 153 386 euros HT. Il résulte des éléments comptables non contestés, produits par la société Ris'k, que cette dernière a dégagé sur les deux exercices antérieurs (2014 et 2015), au cours desquels elle a eu une activité normale, l'année 2015 correspondant à la première année d'exécution du présent marché, un résultat net moyen avant impôt sur les sociétés, égal à 11,6 % du chiffre d'affaires annuel. Dès lors, il sera fait une juste appréciation de son manque à gagner sur la période du 22 avril 2016 au 21 avril 2018 en le fixant à la somme globale de 17 792 euros. (153 386 x 11,6 %).

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ris'k est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a limité le montant de son préjudice, d'un montant de 17 792 euros ainsi qu'il a été dit au point précédent, à la somme de 2 028,35 euros.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

11. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. Pour l'application des dispositions de l'article 1154 du même code, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière.

12. Il résulte de ce qui précède que la société Ris'k a droit aux intérêts au taux légal de la somme de 17 792 euros à compter du 19 juillet 2019, date de réception de sa demande par la collectivité territoriale de Martinique. La société Ris'k a demandé dans un mémoire du 17 juin 2022 la capitalisation des intérêts. A cette date il était dû au moins une année d'intérêt. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de celle-ci.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Martinique une somme de 1 500 euros à verser à la société Ris'k au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En l'absence de dépens, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la société Ris'k tendant au versement des dépens.

DECIDE :

Article 1er : La collectivité territoriale de Martinique est condamnée à verser à la société Ris'k une indemnité d'un montant de 17 792 euros en réparation de son préjudice.

Article 2 : La collectivité territoriale de Martinique est condamnée à verser à la société Ris'k les intérêts légaux sur cette indemnité de 17 792 euros à compter du 19 juillet 2019. Les intérêts échus le 19 juillet 2020 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1er et 2 du présent arrêt.

Article 4 : La collectivité territoriale de Martinique versera à la société Ris'k une somme de 1500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la Sarl Ris'k et à la collectivité territoriale de Martinique.

Délibéré après l'audience du 6 mars 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Florence Demurger, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 mars 2023.

La rapporteure,

Caroline B...

La présidente,

Florence DemurgerLa greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX01238


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01238
Date de la décision : 29/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : CATOL

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-03-29;21bx01238 ?
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