La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/03/2023 | FRANCE | N°21BX01666

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 28 mars 2023, 21BX01666


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SELARL Pharmacie du Château a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2014 et 2015.

Par un jugement n° 1903157 du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 avril 2021, et des mémoires enregistrés les 7 décembre 20

22 et 13 janvier 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas fait l'objet de communication, la société d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SELARL Pharmacie du Château a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2014 et 2015.

Par un jugement n° 1903157 du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 avril 2021, et des mémoires enregistrés les 7 décembre 2022 et 13 janvier 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas fait l'objet de communication, la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Pharmacie du Château, représentée par Me Nicolaou et Me Belouis, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1903157 du 11 mars 2021 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 septembre 2014 et 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été privée d'une garantie substantielle, dès lors que le vérificateur a adressé sa proposition de rectification le 29 septembre 2017, sans que l'entretien demandé avec le chef de brigade avant la clôture du contrôle sur place et de l'envoi de la proposition de rectification n'ait pu avoir lieu ; cette demande a été expressément refusée ; la procédure est irrégulière, au regard de la charte du contribuable ;

- les provisions en cause ont été comptabilisées sur la base d'une dépréciation effective, appréciée à partir d'éléments objectifs; la constatation des deux provisions pour dépréciation du fonds de commerce en 2014 et 2015 est motivée par le constat qu'elle a connu une baisse significative de 17,43 % de son chiffre d'affaires HT ; son estimation a été confortée par les publications d'un cabinet d'expertise indépendant, dont les études démontrent une baisse du taux de chiffre d'affaires retenu pour le calcul de la valeur de cessions des officines ; le secteur de la pharmacie est en crise profonde ; elle a dû prendre des décisions radicales, notamment de licenciements, afin d'éviter la cessation des paiements et la procédure collective, de maintenir une rentabilité conforme aux exigences posées par ses partenaires bancaires ; le fait que la rentabilité ne se soit pas fortement dégradée n'est pas due à une valorisation stable de son fonds de commerce, et à une exploitation conforme au passé, mais aux mesures exceptionnelles prises par le dirigeant.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 octobre 2021 et 5 janvier 2023, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Pharmacie du Château ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 1er décembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 1er février 2023 à 12 heures.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... A...,

- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Pharmacie du Château, qui exerce l'activité de vente au détail de produits pharmaceutiques dans une officine à Jarnac (Charente), a fait l'objet d'une vérification de comptabilité sur la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2015, à l'issue de laquelle le service a remis en cause, au titre des exercices clos les 30 septembre 2014 et 2015, la déductibilité de provisions pour dépréciation du fonds de commerce d'un montant respectif de 137 000 euros et de 291 000 euros. La société Pharmacie du Château relève appel du jugement du 11 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mis à sa charge, pour un montant total de 61 093 euros, au titre des exercices clos les 30 septembre 2014 et 2015.

Sur la procédure d'imposition :

2. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, : " Les dispositions contenues dans la charte des droits et obligations du contribuable vérifié mentionnée au troisième alinéa de l'article L. 47 sont opposables à l'administration. ". La charte remise au contribuable prévoit que : " En cas de difficultés, vous pouvez vous adresser à l'inspecteur divisionnaire ou principal et ensuite à l'interlocuteur désigné par le directeur. Leur rôle vous est précisé plus loin (...). Vous pouvez les contacter pendant le contrôle ". Elle précise qu'en cas de désaccord avec le vérificateur, le contribuable peut saisir l'inspecteur divisionnaire ou principal. Elle énonce, à cet égard : " Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les rectifications envisagées, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur divisionnaire ou principal ", puis, " Si, après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur ".

3. La possibilité pour le contribuable de s'adresser, dans les conditions précisées par les passages précédemment cités de la charte, au supérieur hiérarchique du vérificateur puis, le cas échéant, à l'interlocuteur départemental ou régional constitue une garantie substantielle ouverte à l'intéressé à deux moments distincts de la procédure de rectification, en premier lieu, au cours de la vérification et avant l'envoi de la proposition de rectification ou la notification des bases d'imposition d'office pour ce qui a trait aux difficultés affectant le déroulement des opérations de contrôle et, en second lieu, pour les contribuables faisant l'objet d'une procédure de rectification contradictoire, après la réponse faite par l'administration fiscale à leurs observations sur la proposition de rectification en cas de persistance d'un désaccord sur le bien-fondé des rectifications envisagées.

4. Il résulte de l'instruction que la vérification de comptabilité de la société appelante s'est déroulée du 8 juin 2016 au 27 septembre 2017 et a fait l'objet d'une réunion de synthèse le 27 septembre 2017. Par son courrier du 27 septembre 2017, transmis par courriel le même jour à l'inspecteur des finances publiques, la société Pharmacie du Château, par le biais de son conseil, a sollicité un entretien avec le chef de brigade " dans les meilleurs délais (...) pour exposer ces difficultés dans le déroulement de cette procédure ". Cette demande, dont il a été accusé réception le 28 septembre 2017, a été formulée avant que le vérificateur n'adresse la proposition de rectification en date du 28 septembre 2017, distribuée le 30 septembre suivant. Le 2 octobre 2017, l'inspecteur principal des finances publiques a proposé au contribuable, pour faire suite à sa demande, émise le 27 septembre 2017, deux dates d'entrevue les 13 ou 16 octobre 2017. Par courriel du même jour, le conseil de la société Pharmacie du Château a répondu que le vérificateur ayant entretemps adressé la proposition de rectification, il allait y répondre prochainement et demanderait une prorogation de délai. Aucune disposition légale ni aucune énonciation de la charte du contribuable vérifié n'impose que l'entretien avec le supérieur hiérarchique du vérificateur, demandé par le contribuable, intervienne avant la réception de la proposition de rectification. Il résulte de l'instruction que la société Pharmacie du Château doit ainsi être regardée comme ayant expressément renoncé à la demande d'entretien formée le 27 septembre 2017. Dès lors que la société appelante n'a pas été irrégulièrement privée de l'une des garanties procédurales offertes par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'imposition doit être écarté.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

5. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 206 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : (...) / 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) ". Aux termes de l'article 38 sexies de l'annexe III au code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'imposition en litige : " La dépréciation des immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, notamment les terrains, les fonds de commerce, les titres de participation, donne lieu à la constitution de provisions dans les conditions prévues au 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts ".

6. Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par l'entreprise, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent en outre comme probables eu égard aux circonstances de fait constatées à la date de clôture de l'exercice, et qu'enfin, elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise. Il appartient au contribuable, indépendamment des règles qui régissent la charge de la preuve pour des raisons de procédure, d'établir le bien-fondé et de justifier du montant d'une telle provision au regard des caractéristiques de l'exploitation au cours de la période en litige.

7. Il résulte de l'instruction que le 15 janvier 2010, la société Pharmacie du Château a acquis le fonds de commerce de pharmacie appartenant à la SNC Pharmacie du Château pour une valeur de 1 720 000 euros, dont 1 678 000 euros pour les éléments incorporels. Ce fonds de commerce a été porté au titre des exercices clos, à l'actif de la société pour les montants de 1 266 693 euros en 2014 et de 1 249 083 euros pour l'exercice clos en 2015, et la société a déduit de son résultat fiscal des dotations de provisions pour dépréciation du fonds de commerce pour des montants respectifs de 137 000 euros pour l'exercice clos en 2014 et 291 000 euros pour l'exercice clos en 2015.

8. Pour justifier, lors de la vérification de comptabilité, des provisions ainsi comptabilisées, la société Pharmacie du Château a produit une étude réalisée par le cabinet d'expertise Interfimo, utilisant deux méthodes de valorisation du fonds de commerce, la première fondée sur la valeur vénale et la seconde sur la valeur d'usage. La valeur vénale a été déterminée en fonction du marché de la négociation des officines, tel qu'il ressort des données recueillies par la société Interfimo, en appliquant aux chiffres d'affaires moyens calculés sur les trois derniers exercices, le taux moyen Interfimo, établi au mois de mars de chaque année (84 % pour 2014 et 2015). La valeur d'usage a été calculée par l'application de la méthode dite EBE, consistant à appliquer à l'excédent brut d'exploitation retraité, le coefficient de référence, retenu par Interfimo de 7,7 % en 2014 et de 7,4 % en 2015, la valorisation du fonds ainsi obtenue s'élevant à 1 099 876 euros pour l'exercice 2014 et à 1 119 879 euros pour l'exercice 2015. Les montants des provisions retenus ont respectivement représenté 33 % et 68 % de la dépréciation estimée sur la base la moins défavorable au titre de chaque exercice. Le service vérificateur a remis en cause la provision pour dépréciation du fonds de commerce en l'absence d'élément concret, qui résulterait d'évènements en cours à la clôture de chaque exercice et au motif que des statistiques sont établies sans qu'il soit tenu compte des particularités et spécificités du fonds exploité.

9. Pour justifier des provisions litigieuses, la société appelante se prévaut de la situation du marché des officines en France, en baisse depuis plusieurs années, d'une baisse de son chiffre d'affaires HT évaluée à 17,43 % et de mesures exceptionnelles, telles que des licenciements, que les dirigeants ont dû mettre en œuvre pour maintenir une rentabilité exigée par les partenaires bancaires et éviter la cessation de paiements. La société ne produit toutefois aucune pièce propre à son exploitation et aux caractéristiques de son officine. Il résulte de l'instruction que si le résultat comptable déclaré a baissé de 18 % au titre de l'exercice clos au 30 septembre 2015, ledit résultat est en hausse constante depuis la clôture de l'exercice en 2012 et le chiffre d'affaires marque une augmentation de 2,24 % en 2014 et 7,01 % en 2015. Si le montant des salaires a effectivement diminué entre la clôture 2013 et la clôture 2014, avant d'être de nouveau en hausse à la clôture 2015, la société ne démontre pas que les choix en matière de ressources humaines et de rémunération auraient été motivés par des difficultés économiques de l'entreprise. Ainsi, c'est à bon droit que le service vérificateur a considéré que la probabilité de la dépréciation du fonds de commerce n'était pas avérée eu égard aux circonstances de fait constatées à la date de clôture des exercices en cause et a réintégré les provisions litigieuses aux résultats imposables.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Pharmacie du Château n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la société Pharmacie du Château demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Pharmacie du Château est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Pharmacie du Château et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal Sud-Ouest.

Délibéré après l'audience du 7 mars 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Bénédicte Martin, présidente,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,

Mme Pauline Reynaud, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 mars 2023.

Le premier conseiller,

Michaël Kauffmann La présidente-rapporteure,

Bénédicte A...

La greffière,

Caroline Brunier

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX01666


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01666
Date de la décision : 28/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MARTIN
Rapporteur ?: Mme Bénédicte MARTIN
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : CHAINTRIER AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-03-28;21bx01666 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award