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21/03/2023 | FRANCE | N°21BX01733

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 21 mars 2023, 21BX01733


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Serhy Ingénierie a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2018 par lequel la préfète des Hautes-Pyrénées a refusé de lui délivrer une autorisation pour l'implantation et l'exploitation d'une installation hydroélectrique sur le gave d'Aspé au niveau de la commune de Gavarnie-Gèdre.

Par un jugement n° 1802595 du 24 février 2021, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des m

émoires complémentaires, enregistrés les 23 avril 2021, 29 avril et 21 juillet 2022, la société Serh...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Serhy Ingénierie a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2018 par lequel la préfète des Hautes-Pyrénées a refusé de lui délivrer une autorisation pour l'implantation et l'exploitation d'une installation hydroélectrique sur le gave d'Aspé au niveau de la commune de Gavarnie-Gèdre.

Par un jugement n° 1802595 du 24 février 2021, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 23 avril 2021, 29 avril et 21 juillet 2022, la société Serhy Ingénierie, représentée par Me Reynaud, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1802595 du tribunal administratif de Pau ;

2°) d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2018 de la préfète des Hautes-Pyrénées ;

3°) de déclarer irréguliers les avis émis par la commission départementale de la nature, des paysages et des sites des Hautes-Pyrénées et par le ministre de la transition écologique et solidaire les 3 avril et 7 mai 2018 ;

4°) d'enjoindre au préfet des Hautes-Pyrénées de délivrer l'autorisation environnementale sollicitée ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

Sur la légalité de l'arrêté du 9 juillet 2018 :

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;

- l'arrêté attaqué est illégal dès lors qu'il se fonde sur l'avis du ministre de la transition écologique et solidaire du 7 mai 2018, lui-même illégal :

- cet avis est insuffisamment motivé ;

- le motif tiré de ce que le projet conduit à faire perdre au cours d'eau l'attrait esthétique qu'il présente est erroné dès lors qu'elle s'est engagé à assurer le maintien dans le lit du cours d'eau d'un débit minimal de 80 litres par seconde de nature à garantir la permanence de la vie, de la circulation et de la reproduction des espèces ; ce débit est un débit minimal qui sera le plus souvent dépassé, le débit moyen du cours d'eau (et donc de la cascade) sera de 200 litres par seconde ;

- le motif tiré de ce que le projet ne présente pas suffisamment de garantie de l'absence de stigmates paysagers durables consécutifs aux terrassement et défrichements nécessaires à l'implantation du dispositif est erroné dès lors que :

) les risques d'érosion et déboulements avancés par la préfecture et repris par tribunal ne sont pas étayés ; en tout état de cause, si de tels risques existaient, elle prendrait les mesures nécessaires lors de l'exécution des travaux ;

) la mise sous terre de la conduite forcée n'entrainera aucunement des stigmates paysagers durables notamment forestiers ;

- le projet étant invisible du public, les premiers juges ne pouvaient retenir qu'il portait atteinte au caractère paysager et pittoresque du site classé, pris dans son ensemble.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 février, 15 juin et 11 août 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A... B...,

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public,

- et les observations de Me Reynaud représentant la société Serhy Ingénierie.

Considérant ce qui suit :

1. La société Serhy Ingénierie a déposé le 12 avril 2017 une demande d'autorisation environnementale, complétée le 14 février 2018, pour l'implantation et l'exploitation d'une installation hydroélectrique sur le gave d'Aspé au niveau de la commune de Gavarnie-Gèdre. Par arrêté du 9 juillet 2018, la préfète des Hautes-Pyrénées a refusé de lui délivrer l'autorisation sollicitée. La société Serhy Ingénierie a formé un recours gracieux à l'encontre de cette décision, rejeté par la préfète le 31 octobre 2018. La société Serhy Ingénierie relève appel du jugement du 24 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 juillet 2018.

Sur la régularité du jugement :

2. Il résulte des motifs mêmes du jugement que le tribunal administratif de Pau a, en l'écartant comme étant inopérant du fait de la compétence liée de la préfète des Hautes-Pyrénées, suffisamment motivé sa réponse au moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté du 9 juillet 2018. Par suite, la société Serhy Ingénierie n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.

Sur la légalité de l'arrêté du 9 juillet 2018 :

3. Aux termes de l'article L. 181-2 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale tient lieu, y compris pour l'application des autres législations, des autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments suivants, lorsque le projet d'activités, installations, ouvrages et travaux relevant de l'article L. 181-1 y est soumis ou les nécessite : (...) 4° Autorisation spéciale au titre des sites classés ou en instance de classement en application des articles L. 341-7 et L. 341-10 en dehors des cas prévus par l'article L. 425-1 du code de l'urbanisme où l'un des permis ou décision déterminés par cet article tient lieu de cette autorisation ; (...) ". Aux termes de l'article L. 341-10 du même code : " Les monuments naturels ou les sites classés ne peuvent ni être détruits ni être modifiés dans leur état ou leur aspect sauf autorisation spéciale. (....) ". Aux termes de l'article R. 181-25 du même code : " Lorsque l'autorisation environnementale est demandée pour un projet pour lequel elle tient lieu de l'autorisation spéciale au titre des sites classés ou en instance de classement, le préfet saisit : 1° Pour avis, la commission départementale de la nature, des paysages et des sites ; 2° Après avoir recueilli l'avis prévu au 1°, pour avis conforme le ministre chargé des sites, qui, s'il le juge utile, peut solliciter l'avis de la commission supérieure des sites, perspectives et paysages. Le silence gardé par le ministre chargé des sites au-delà du délai de quarante-cinq jours prévu par l'article R. 181-33 vaut avis défavorable. ". Il résulte de ces dispositions que le préfet a compétence liée pour refuser l'autorisation environnementale pour un tel projet en cas d'avis défavorable du ministre chargé des sites.

4. Il résulte de l'instruction que le ministre de la transition écologique et solidaire a rendu, le 7 mai 2018, un avis défavorable au projet porté par la société Serhy Ingénierie aux motifs tirés, d'une part, de ce que le projet conduit à faire perdre au cours d'eau l'attrait esthétique qu'il présente et, d'autre part, de ce qu'il ne présente pas suffisamment de garantie de l'absence de stigmates paysagers durables consécutifs aux terrassements et défrichements nécessaires à l'implantation du dispositif.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'avis du ministre de la transition écologique et solidaire rendu le 7 mai 2018 vise les articles L. 181-2 et R. 181-25 du code de l'environnement et indique que le projet implique " la dérivation de la majeure partie des eaux du Gave dans une conduite forcée enterrée dans des terrains en partie boisés, en partie rocheux et en partie en forte pente ", ce qui conduit à faire perdre au cours d'eau son attrait touristique tandis que le projet ne présente pas de garanties suffisantes quant aux stigmates paysagers durables consécutifs aux terrassements et défrichements nécessaires à l'implantation de la conduite d'eau. Dans ces circonstances, et quand bien même il renvoie dans ses visas aux avis préalablement pris dans le cadre de l'instruction de la demande, l'avis comporte l'ensemble des circonstances de droit et de fait sur lesquels le ministre s'est fondé pour refuser l'autorisation sollicitée. Par suite, le moyen tiré de l'absence de motivation de cet avis doit être écarté.

6. En deuxième lieu, les dispositions de l'article L. 341-10 du code de l'environnement citées au point 3 n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire toute réalisation d'équipement, construction ou activité économique dans le périmètre de classement, mais seulement de soumettre à autorisation tout aménagement susceptible de modifier l'état des lieux.

7. Il résulte de l'instruction que le projet en litige consiste en l'installation, puis l'exploitation d'une microcentrale hydroélectrique sur le gave d'Aspé utilisant la force d'une chute d'eau naturelle, la cascade du Pich Gaillard, afin de produire de l'électricité. Le projet nécessite plusieurs aménagements consistant en l'implantation d'une prise d'eau en aval du pont de Saugué, l'enfouissement d'une conduite forcée sur 1,34 kilomètres en rive droite du gave d'Aspé afin d'acheminer l'eau prélevée jusqu'à l'usine de turbinage située à la confluence du gave de Gavarnie, la création d'un pont et d'un accès à l'usine et la construction dudit bâtiment. Il s'implante au cœur du site classé, par décret ministériel du 26 avril 1997, du " cirque de Gavarnie et les cirques et vallées avoisinants ", dans un secteur très peu anthropisé, le cours d'eau étant entouré, dans la partie supérieure du projet, de prairies, tandis qu'il s'insère, dans la partie inférieure du projet, dans des gorges très encaissées dont les versants sont recouverts de feuillus, formant des cascades dont celle du Pich Gaillard, caractéristique du paysage remarquable du secteur et visible depuis la route départementale 921. Il est traversé par un sentier de petite randonnée, qui part du pont de Saugué et descend, à travers le massif forestier, jusqu'au village de Gèdre, en franchissant le gave juste avant la cascade de Pich Gaillard.

8. Concernant, d'une part, l'impact du projet sur le débit du gave d'Aspé, il résulte de l'instruction et notamment de l'étude d'impact et des éléments complémentaires apportés par les parties que la dérivation d'une partie des eaux va engendrer en aval de la prise d'eau une réduction du débit du cours d'eau qui s'élèvera à une moyenne d'environ 125 l/secondes après dérivation contre environ 440 l/secondes au niveau de la prise d'eau. Si la société requérante soutient que les apports en eau intermédiaires entre la prise d'eau et la cascade porteront, malgré la dérivation, le débit moyen au droit de la cascade à 200 l/secondes, les schémas dont elle se prévaut présentent un débit de la cascade inférieur à 150 l/secondes sur six mois de l'année, dont quatre mois aux alentours de 100 l/secondes ce qui correspond à l'étiage et au débit minimal de 80 l/secondes qu'elle s'est engagée à respecter, seuls les mois de mai, juin et juillet présentant un débit moyen supérieur à 200 l/secondes. Dans ces conditions, l'aspect visuel de la cascade de Pich Gaillard, qui, comme l'a relevé l'autorité environnementale est déjà difficilement visible pour un débit de 200 l/secondes, ne pourra qu'être significativement modifié. Par suite, l'impact du projet sur le débit du cours d'eau et notamment de la cascade du Pich Gaillard, et de l'attrait touristique qu'il représente, apparait fort.

9. Concernant, d'autre part, l'impact du projet sur son environnement en raison de l'enfouissement de la conduite forcée, il résulte de l'instruction que les travaux impliquent l'ouverture d'un couloir linéaire au droit de la conduite sur six mètres de large et 1,34 kilomètres de longueur de bas en haut du coteau boisé en rive gauche du gave, perceptible depuis la RD 921. La société requérante indique en appel qu'elle mettra en œuvre toutes les mesures techniques pour limiter l'érosion et les éboulements liés à la pente et que pour la partie notamment inférieure du projet, où le tracé de la conduite implique une déforestation, elle a prévu, comme indiqué dans le dossier complémentaire qu'elle a déposé le 14 février 2018, de préserver les sujets à enjeux forts et de ne couper que les arbres les plus jeunes pour permettre une recolonisation rapide. Toutefois, ainsi que l'a relevé l'autorité environnementale dans son avis du 20 avril 2018, ces mesures apparaissent insuffisantes pour compenser l'impact de tels travaux sur la qualité du paysage du secteur dès lors notamment qu'aucune estimation temporelle pour redonner au site son aspect initial n'est proposée, et ce quand bien même ce déboisement ne représente qu'une partie infime de la superficie totale du site classé.

10. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la société requérante, l'impact du projet sur le site classé dans lequel il s'implante, résultant notamment des travaux nécessaires à l'enfouissement de la conduite forcée et de la réduction du débit du gave d'Aspé sans que ne soient prévues des mesures de compensation suffisantes, est fort, et ce bien que le projet ne concerne qu'un petit secteur du site pris dans sa globalité. Par suite, le ministre a fait une exacte application des dispositions précitées de l'article L. 341-10 du code de l'environnement en refusant de donner son accord, pour les motifs exposés au point 4, à l'autorisation sollicitée par la société Serhy Ingénierie.

11. Dans ces conditions, la préfète des Hautes-Pyrénées était tenue de se conformer à cet avis, rendant inopérant tous les moyens qui ne sont pas dirigés à l'encontre dudit avis. Par suite, et comme l'ont à juste titre retenu les premiers juges, le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté du 9 juillet 2018 doit être écarté comme étant inopérant.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Serhy Ingénierie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 juillet 2018. Sa requête doit, dès lors, être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Serhy Ingénierie est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Serhy Ingénierie et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée pour information au préfet des Hautes-Pyrénées.

Délibéré après l'audience du 28 février 2023 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président de la cour,

Mme Elisabeth Jayat, présidente de la 5ème chambre,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2023.

La rapporteure,

Héloïse B...

Le président,

Luc Derepas

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°21BX01733


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01733
Date de la décision : 21/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: Mme Héloïse PRUCHE-MAURIN
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : FIDAL TOULOUSE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-03-21;21bx01733 ?
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