Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Zohra a demandé au tribunal administratif de Pau, à titre principal, de condamner la commune d'Arbonne à procéder à la démolition des travaux de voirie réalisés sur sa parcelle cadastrée section AD n° 70 et à la remise en état des lieux dans un délai de deux mois et, à titre subsidiaire, de condamner la commune à lui verser la somme de 350 000 euros, au titre de la perte de la valeur du terrain constructible et du préjudice de jouissance résultant de l'existence de cet ouvrage et de la moins-value qu'il constitue pour la parcelle voisine AD n° 71.
Par un jugement n° 1401977 du 6 juin 2017, le tribunal administratif de Pau a condamné la commune d'Arbonne à verser la somme de 46 799,50 euros à la société Zohra.
Procédure initiale devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 15 août 2017, le 3 octobre 2018 et le 5 novembre 2018, la commune d'Arbonne, prise en la personne de son maire, représentée par Me Miranda, demande à la cour :
1°) à titre principal d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 6 juin 2017 ;
2°) de rejeter l'ensemble des conclusions de la demande et les conclusions d'appel incident ;
3°) à titre subsidiaire de limiter l'indemnisation due à la SARL Zohra à la somme de 82,50 euros ;
4°) en toute hypothèse, de mettre à la charge de la SARL Zohra une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les conclusions incidentes de la SARL Zohra sont irrecevables dès lors qu'elle invoquait en première instance l'emprise irrégulière sur la parcelle AD 70 et qu'elle invoque en appel l'emprise irrégulière sur la parcelle AD 71 ;
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il énonce que les travaux de voirie ont été réalisés sur la parcelle AD 70 alors qu'ils ont été réalisés sur la parcelle AD 71 ;
- la commune n'a pas intégré une prescription de cession gratuite dans son arrêté de permis de construire, si bien que le tribunal ne pouvait juger que la SARL Zohra aurait consenti la cession d'une partie de son terrain sur le fondement du e) de l'article L. 332-6-1 du code de l'urbanisme ; l'inconstitutionnalité de ces dispositions ne pouvait s'appliquer qu'aux seules cessions prescrites dans un arrêté de permis de construire ; or le permis ne prescrit pas une telle cession, qui aurait dû pourtant figurer dans l'arrêté en application des dispositions des articles A. 424-3 du code de l'urbanisme et L. 332-28 du même code dans leur version alors applicable ;
- la cession de la parcelle litigieuse ne peut être regardée comme gratuite alors que les travaux de voirie réalisés par la commune s'élèvent à plus de 60 000 euros et que l'entretien de la voie est assumé depuis sa création par la commune ; la SARL Zohra a bénéficié d'une contrepartie et ne peut utilement soutenir que la cession aurait été réalisée à titre gratuit ; le tribunal de grande instance a d'ailleurs relevé à juste titre que la SARL Zohra a bénéficié d'une plus-value grâce aux travaux réalisés par la ville ;
- la cession en cause constitue une cession amiable et ne peut donc être qualifiée d'emprise irrégulière ;
- l'accord de la SARL Zohra est intervenu antérieurement à la déclaration d'inconstitutionnalité qui n'a pris effet qu'à compter de sa publication au Journal Officiel du 23 septembre 2010 à l'égard des permis de construire délivrés depuis cette date, or le permis de construire en litige a été délivré le 26 août 2009 ;
- ce n'est pas la cession gratuite de terrains en tant que telle qui a été censurée par le Conseil Constitutionnel, mais le fait que l'article L. 332-6-1 ne définissait pas " les usages publics auxquels doivent être affectés les terrains ainsi cédés " ; l'usage du terrain litigieux était connu dès l'origine par la société Zohra puisqu'il s'agissait de réaliser une voirie permettant d'assurer une circulation des véhicules dans des conditions de sécurité satisfaisantes ; la déclaration d'inconstitutionnalité des cessions gratuites ne peut aucunement être interprétée comme rendant illégaux des travaux faits à la demande expresse d'un propriétaire privé ; la desserte des 7 logements prévus au permis accordé à la société Zohra n'aurait pu être réalisée sans la voirie litigieuse ;
- les demandes de démolition de l'ouvrage de voirie et la remise en état des lieux ne pourront qu'être écartées dès lors qu'il a été établi que les travaux de voirie litigieux ont été réalisés conformément à l'accord amiable conclu avec la SARL Zohra et ce antérieurement à la réalisation des travaux ;
- une démolition et restitution dans son état initial ne pourra nullement être ordonnée ; la construction de cette voie était une des conditions d'obtention du permis de construire délivré le 28 août 2009 ; la démolition de l'ouvrage reviendrait alors à rendre le permis de construire du 28 août 2009 illégal et aurait pour effet de créer une non-conformité des villas construites sur la base du permis précité ; les travaux de voirie réalisés sont indispensables pour assurer la desserte des 3 villas ainsi que l'accès au garage des villas A à C ; la demande de démolition de l'ouvrage de voirie porterait également donc une atteinte particulièrement excessive à l'intérêt général ;
- les demandes indemnitaires formulées en première instance à l'encontre de la commune seront rejetées en l'absence d'une faute ouvrant droit à indemnisation et en l'absence de cession gratuite ;
- le préjudice de la SARL Zohra n'est pas justifié ; elle ne justifie pas qu'elle aurait eu pour projet de construire plus de surface de plancher que celle annoncée dans le permis de construire du 26 août 2009, ni qu'elle envisagerait une extension des villas A à C dans l'emprise occupée par la voirie litigieuse ; une partie de la parcelle était nécessaire pour réaliser une voie interne de desserte, dont la largeur de 8 m était spécifiée par le permis accordé ; elle n'apporte donc pas la preuve qu'en l'absence des travaux litigieux, la surface occupée par la voirie serait utilisée pour y construire ;
- pour fixer le montant du préjudice, le tribunal a retenu pour référence un prix médian à 170 euros le m² pour des terrains à bâtir alors même que la configuration de la bande de terrain ne permet pas de qualifier cette bande comme relevant d'une telle catégorie ; en outre, il a retenu 550 m² alors que la parcelle ne fait que 500 m² ; le service des domaines a évalué le terrain à 0,15 euros du m² ;
- le montant des sommes demandées par la SARL Zohra est excessif, le préjudice de jouissance ou de moins-value n'est pas démontré, et la cour réformera le jugement en limitant l'indemnité à la somme de 82,50 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 9 janvier 2018 et le 16 janvier 2019, la SARL Zohra, représentée par Me Wattine, conclut au rejet de la requête, et par la voie de l'appel incident demande à la cour de condamner la commune à lui verser une somme globale de 275 000 euros et de mettre à la charge de la commune d'Arbonne une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et une somme de 13 euros au titre du droit de plaidoirie.
Elle soutient que :
- l'erreur de numérotation de la parcelle est sans influence sur la régularité du jugement dès lors que les travaux ont été irrégulièrement réalisés sur une parcelle lui appartenant ; la parcelle AD 50 a été divisée en deux parcelles AD 70 et AD 71 ;
- l'ouvrage public réalisé est constitutif d'une emprise irrégulière ;
- il ressort clairement des pièces du dossier, et notamment des courriers du maire adressés à la SARL Zohra, que la commune a bien exigé une cession gratuite de terrain dans le cadre de l'instruction d'une demande de permis de construire, sous la contrainte de trois refus de permis de construire, et in fine, en contrepartie de la délivrance du permis de construire ; le fait que cette exigence de cession gratuite n'ait pas été prescrite par l'arrêté de permis de construire est une circonstance aggravante et s'explique par la volonté de la commune de contourner la loi ; en effet, la surface de l'emprise que la commune a exigée de la SARL Zohra en échange de la délivrance du permis de construire est de 500 m², ce qui excède la superficie de ce qui était alors autorisé en matière de surface des parcelles cédées ;
- la déclaration d'inconstitutionnalité pouvait être invoquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ; c'est en raison de leur " gratuité " et de la privation d'une juste et préalable indemnité imposée aux constructeurs que les cessions de terrains exigées par les communes, comme en l'espèce, ont été abrogées, et non pas du fait qu'elles ne définissaient pas les usages publics auxquels doivent être affectés les terrains ;
- la commune d'Arbonne ne peut soutenir qu'elle a conclu un contrat de droit privé avec la SARL Zohra dès lors qu'elle a fait usage de prérogatives de puissance publique ; l'accord dont se prévaut la commune a été obtenu sous la contrainte et la crainte de se voir opposer un nouveau refus de permis de construire ;
- l'ouvrage de voirie réalisé ne lui est d'aucune utilité ; elle aurait pu agrandir le lot bâti A et y réaliser un logement supplémentaire et agrandir le lot à bâtir B qui lui reste et y réaliser un logement supplémentaire ou y construire une villa plus grande ; la charge des inconvénients résultant de la desserte de l'ensemble du quartier récemment urbanisé pèse exclusivement sur le fonds de la SARL Zohra ;
- le jugement sera réformé dès lors que la parcelle AD 71 est située dans une zone constructible du plan local d'urbanisme ; le jugement a également minoré la surface de terrain accaparé par l'emprise irrégulière ; aucune disposition légale ou réglementaire ne fait interdiction à la SARL Zohra de réaliser une marge bénéficiaire sur une opération d'achat et de revente de terrains à bâtir, sachant par ailleurs qu'il y a lieu de minorer ce bénéfice du montant des impôts et taxes diverses ; la valeur du terrain irrégulièrement accaparé sera indemnisée à hauteur de 175 000 euros ; le terrain ne saurait être évalué sur la base de 18 centimes le m², alors que l'avis des Domaines démontre que le service ne connaissait pas le contexte particulier de l'affaire ;
- l'ouvrage de voirie est disgracieux et dévalorise sa propriété et ce préjudice pourra être estimé à la somme de 100 000 euros.
Par un arrêt n° 17BX02803 du 22 août 2019, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de la commune d'Arbonne et appel incident de la société Zohra, annulé ce jugement et rejeté la demande de la société Zohra.
Par une décision n° 435492 du 8 décembre 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la société Zohra, a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour.
Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :
Par mémoire en défense enregistré le 7 avril 2022, la société Zohra, représentée par Me Wattine, conclut au rejet de la requête et porte, par la voie de l'appel incident, à la somme globale de 350 000 euros sa demande de condamnation de la commune d'Arbonne en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis et à 2 500 euros la somme demandée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient les mêmes moyens que précédemment et soutient également que :
- dès lors que le Conseil d'Etat a considéré qu'elle ne pouvait céder à titre gratuit à la commune d'Arbonne le terrain en litige, les travaux qui y ont été effectués sans transfert de propriété et sans indemnisation, doivent être regardés comme l'ayant été sans son consentement et sont, en conséquence, constitutifs d'une emprise irrégulière ;
- elle subit, du fait de l'ouvrage litigieux, des troubles de voisinage, qui doivent être indemnisés à hauteur de 100 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 17 juin 2022, la commune d'Arbonne conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures et demande dans le dernier état des écritures qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Zohra au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Elle soutient les mêmes moyens que précédemment et soutient également que la demande d'indemnisation au titre du trouble de voisinage dont serait à l'origine la réalisation de la voirie litigieuse est nouvelle en appel et donc irrecevable ; au demeurant, ni la preuve que la parcelle AD 71 appartiendrait à la société Zohra, ni les troubles de jouissance invoqués ne sont établis.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-33 QPC du 22 septembre 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A... B...,
- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public,
- et les observations de Me Dauga représentant la commune d'Arbonne et de Me Wattine représentant la SARL Zohra.
Considérant ce qui suit :
1. La société Zohra, propriétaire d'un terrain de 2 550 m² à Arbonne (Pyrénées-Atlantiques), a obtenu, le 26 août 2009, un permis de construire pour la réalisation de trois maisons. La demande préalable d'indemnisation des préjudices résultant de la création d'une voie publique sur une parcelle dont elle estime être propriétaire qu'elle a adressée au maire d'Arbonne le 1er juillet 2014 ayant été rejetée, elle a saisi le tribunal administratif de Pau qui, par jugement n° 1401977 du 6 juin 2017, a condamné la commune à verser à l'intéressée la somme de 46 799,50 euros. Par un arrêt n° 17BX02803 du 22 août 2019, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce jugement et rejeté la demande de la société Zohra. Cet arrêt a été annulé par une décision n° 435492 du Conseil d'État statuant au contentieux du 8 décembre 2021 qui a renvoyé l'examen de l'affaire à la cour.
Sur la régularité du jugement :
2. La commune d'Arbonne soutient que le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges se seraient mépris sur la numérotation de la parcelle sur laquelle les travaux de voirie ont été réalisés. Toutefois, une telle erreur sur la numérotation de la parcelle, pour regrettable qu'elle soit, est sans influence sur la régularité du jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'emprise irrégulière et la responsabilité de la commune d'Arbonne :
3. Aux termes de l'article L. 332-6 du code de l'urbanisme : " Les bénéficiaires d'autorisations de construire ne peuvent être tenus que des obligations suivantes : (...) / 2° Le versement des contributions aux dépenses d'équipements publics mentionnées à l'article L. 332-6-1 (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'elles fixent de façon limitative les contributions qui peuvent être mises à la charge des constructeurs à l'occasion de la délivrance d'une autorisation de construire et qu'aucune autre participation ne peut leur être demandée. Eu égard au caractère d'ordre public de ces dispositions, toute stipulation contractuelle qui y dérogerait serait entachée de nullité. Le e) du 2° de l'article L. 332-6-1 du code de l'urbanisme, alors en vigueur, mentionnait, au titre des contributions aux dépenses d'équipements publics prévus au 2° de l'article L. 332-6 susceptibles d'être mises à la charge des bénéficiaires d'autorisations de construire, les cessions gratuites de terrains destinés à être affectés à certains usages publics dans la limite de 10 % de la superficie du terrain auquel s'applique la demande. Ces dernières dispositions ont toutefois été déclarées contraires à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel n° 2010-33 QPC du 22 septembre 2010, qui a pris effet à compter de sa publication au Journal officiel de la République française le lendemain et peut être invoquée dans les instances en cours à cette date et dont l'issue dépend de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles.
4. Il résulte de l'instruction que par courrier du 8 février 2009, le maire de la commune d'Arbonne, après plusieurs refus de permis de construire opposés à la société Zohra, a proposé à cette société de déposer une nouvelle demande de permis de construire et de céder gratuitement à la commune une bande de terrain de 8 mètres de large et 500 m² de surface pour la création d'une voie nouvelle à réaliser par la commune. Après avoir, par courrier du 17 mars 2009, proposé l'acquisition de la bande de terrain demandée pour un prix de 100 000 euros, la société Zohra s'est vu opposer un nouveau refus de permis de construire le 4 mai 2009 puis, par courrier du 17 juin suivant, le maire de la commune a exposé à la société que la voie nouvelle envisagée était destinée à desservir le projet ainsi que les autres constructions du secteur et lui a signifié qu'elle entendait acquérir la propriété du terrain nécessaire pour un euro symbolique. Le 28 juin 2009, la société a finalement fait connaître son accord à la commune pour une cession à titre gratuit, le 26 août 2009, un permis de construire lui a été délivré pour son projet de construction de trois villas comportant sept logements et par courrier du 5 mai 2011, elle a autorisé la commune à pénétrer sur sa propriété pour la réalisation des travaux. La société Zohra ayant par la suite relevé que les travaux avaient été réalisés sans qu'un acte ne soit intervenu pour réaliser le transfert de propriété, la commune a assigné la société devant le tribunal de grande instance de Bayonne en vue de la passation d'un contrat. Par jugement du 24 février 2014, le tribunal de grande instance de Bayonne a jugé que la commune ne pouvait se prévaloir d'une cession à titre gratuit du terrain en litige, cadastré AD n° 71 d'une surface de 4 a 99 ca et a renvoyé le dossier en vue d'une médiation.
5. Contrairement à ce que soutient la commune, la réalisation de travaux de voirie qui seraient au moins en partie utiles à la desserte du projet de la société ne peut être, en l'absence de tout accord valable de volonté en ce sens, considéré comme le prix de la cession du terrain qui doit donc être regardée comme intervenue à titre gratuit. Compte tenu des conditions dans lesquelles la société Zohra a consenti à la cession d'un terrain à titre gratuit à la commune d'Arbonne, dans le cadre de l'instruction d'une demande de permis de construire, et alors même que le permis de construire ne mentionne pas cette cession et que la commune n'aurait pas usé de la contrainte pour surmonter le refus initial de la société, le bénéfice de cette cession à titre gratuit n'a pu être acquis par la commune d'Arbonne, eu égard à ce qui a été dit au point 3, qu'en recourant aux dispositions du e) du 2° de l'article L. 332-6-1 du code de l'urbanisme, lesquelles ont été déclarées contraires à la Constitution.
6. Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, et quand bien même la société a consenti à la pénétration sur sa propriété pour l'exécution des travaux, il y a lieu de regarder la dépossession partielle de la société Zohra, résultant de la réalisation de la voie par la commune sur la parcelle cadastrée AD n° 71 comme ayant été réalisée sans titre. Par suite, la présence d'une voie publique sur le terrain lui appartenant constitue une emprise irrégulière susceptible d'engager la responsabilité de la commune vis-à-vis de la propriétaire du terrain.
En ce qui concerne l'évaluation du préjudice :
7. D'une part, en l'absence d'extinction du droit de propriété, la réparation des conséquences dommageables résultant de la décision d'édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée ne saurait donner lieu à une indemnité correspondant à la valeur vénale de la parcelle, mais uniquement à une indemnité moindre d'immobilisation réparant le préjudice résultant de l'occupation irrégulière de cette parcelle et tenant compte de l'intérêt général qui justifie le maintien de cet ouvrage.
8. Il résulte de l'instruction que l'ouvrage irrégulièrement réalisé par la commune d'Arbonne occupe la parcelle cadastrée AD n° 71, d'une contenance de 499 m². En l'absence de tout élément de l'instruction permettant d'estimer que l'emprise irrégulière s'étendrait sur une superficie différente, il y a lieu de retenir cette surface de 499 m². Ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Pau, il résulte de l'instruction que la société Zohra a demandé un permis de construire pour la construction de sept logements, que la desserte de ces logements nécessitait en tout état de cause la construction d'une voie de 4 mètres de large comme en atteste l'avis du service départemental d'incendie et de secours et que la cession a porté sur une emprise de 8 mètres de large, immobilisant ainsi une superficie deux fois plus importante que celle que la société Zohra aurait consacrée à la desserte des logements qu'elle souhaitait édifier. Pour tenir compte de l'avantage ainsi retiré par la société qui a, de cette façon, évité la réalisation d'une voirie de desserte de son projet, et eu égard à la surface concernée, à la durée de l'occupation irrégulière, qui peut être considérée comme établie depuis le 26 avril 2013, date à laquelle la voie créée a été ouverte à la circulation, à la nature de ce terrain, à l'estimation de sa valeur locative au regard de sa valeur vénale, que le service local du domaine, par un avis du 23 juin 2014, a fixé à 0,15 euro par m² s'agissant de la partie du terrain qui aurait dû être consacrée à la réalisation d'une voie privée de desserte et de 170 euros par m² s'agissant du surplus, et compte tenu de l'intérêt général qui s'attache au maintien de la route qui y a été réalisée, laquelle dessert plusieurs maisons d'habitation, il sera fait une juste appréciation du préjudice lié à l'occupation irrégulière du terrain par la commune d'Arbonne, en fixant l'indemnité d'immobilisation due jusqu'au jour du présent arrêt à 20 000 euros, sans préjudice des réclamations que pourra présenter la société, le cas échéant, pour les périodes postérieures.
9. D'autre part, la société Zohra n'est pas fondée à demander réparation d'un préjudice résultant de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de réaliser un projet d'une superficie supérieure du fait de l'occupation de son terrain, ce préjudice ne présentant pas un caractère certain.
10. Enfin, la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle. Ainsi, contrairement à ce que soutient la commune d'Argonne, la société Zohra est recevable à demander, pour la première fois en appel, la réparation de la gêne et des troubles dans les conditions de jouissance de son bien engendrés par l'emprise irrégulière de l'ouvrage public en litige. Toutefois, la société n'apporte aucun élément pour établir la réalité des inconvénients sonores et risques d'accident qu'elle invoque.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Arbonne est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau l'a condamnée à verser à la société Zohra une somme supérieure à 20 000 euros et que les conclusions d'appel incident de la société Zohra tendant à ce que l'indemnité allouée en première instance soit portée à un montant supérieur, ne sont pas fondées.
Sur les frais d'instance :
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à celles de la commune d'Arbonne tendant au remboursement du droit de plaidoirie.
DECIDE :
Article 1er : La somme de 46 799,50 euros que la commune d'Arbonne a été condamnée à verser à la société Zohra par le jugement du tribunal administratif de Pau du 6 juin 2017 est ramenée à celle de 20 000 euros.
Article 2 : Le jugement du 6 juin 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la commune d'Arbonne et les conclusions d'appel incident de la société Zohra sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Arbonne et à la société Zohra.
Délibéré après l'audience du 13 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
Mme Claire Chauvet, présidente-assesseure,
Mme Nathalie Gay, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mars 2023.
La rapporteure,
Claire B...
La présidente,
Elisabeth JayatLa greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Atlantiques en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX04468