Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du 25 juin 2018 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la somme de 45 000 euros au titre de la contribution spéciale pour l'emploi irrégulier de travailleurs étrangers et de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement dans le pays d'origine.
Par un jugement n° 1801407 du 10 décembre 2020, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 mars 2021, M. A... D..., représenté par Me Prévot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1801407 du tribunal ;
2°) d'annuler la décision du 25 juin 2018 en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a jugé qu'il n'avait pas commis l'infraction d'emploi d'une personne en situation irrégulière prévue par l'article L. 8251-1 du code du travail ; les ouvriers étrangers et en situation irrégulière qui ont été contrôlés sur le chantier n'ont pas été recrutés par lui mais par M. C... avec lequel il a conclu un contrat de sous-traitance ; il ignorait l'existence de ces ouvriers ; il n'existe ainsi aucun lien de travail entre lui et ces travailleurs en situation irrégulière du fait du contrat de sous-traitance, lequel doit conduire à faire regarder M. C... comme le seul employeur de ces salariés ;
- la réalité du contrat de sous-traitance ne peut être contesté car il a été signé le 26 juin 2017 ; peu importe que cette signature soit intervenue après le début des travaux dès lors que ce contrat n'obéissait à aucune formalité particulière en raison de son faible montant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2022, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me de Froment, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge du requérant la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E... B...,
- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Après que les services de police eurent constaté la présence, le 26 juin 2017, de trois travailleurs de nationalité étrangère sur un chantier de démolition et de rénovation d'un bâtiment à Saint-Laurent du Maroni (Guyane), le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a, par une décision du 25 juin 2018, mis à la charge de M. D..., artisan en bâtiment, la contribution spéciale pour l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, pour un montant de 53 100 euros, et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine, prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour un montant de 16 725 euros. D'un montant total de 69 825 euros, la sanction a été spontanément réduite à 45 000 euros par l'administration en application du " bouclier pénal " prévu par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision du 28 septembre 2018, le directeur général de l'OFII a rejeté le recours gracieux formé par M. D... contre la décision du 25 juin 2018. M. D... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler les décisions du 25 juin 2018 et du 28 septembre 2018. Il relève appel du jugement rendu le 10 décembre 2020 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code : " (...) l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. (...). L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et fixer le montant de cette contribution pour le compte de l'Etat (...) ". Aux termes de l'article L. 8271-17 de ce code : " (...) les agents et officiers de police judiciaire (...) sont compétents pour rechercher et constater, au moyen de procès-verbaux transmis directement au procureur de la République, les infractions aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler (...) ". L'article R. 8253-6 du code du travail dispose que " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide de l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 et notifie sa décision à l'employeur ainsi que le titre de recouvrement ".
4. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. Le montant total des sanctions pécuniaires prévues, pour l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler, au premier alinéa du présent article et à l'article L. 8253-1 du code du travail ne peut excéder le montant des sanctions pénales prévues par les articles L. 8256-2, L. 8256-7 et L. 8256-8 du code du travail (...) L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de fixer le montant de cette contribution. (...) Sont applicables à la contribution forfaitaire prévue au premier alinéa les dispositions prévues aux articles L. 8253-1 à L. 8253-5 du code du travail en matière de recouvrement (...) ".
5. L'infraction aux dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail, qui rend l'employeur redevable de la contribution spéciale pour l'emploi irrégulier et de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement, peut être constituée par le fait d'employer indirectement un ou plusieurs travailleurs étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français.
6. Par ailleurs, l'infraction est constituée du seul fait de l'emploi de travailleurs étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français, sans qu'un élément intentionnel ne soit nécessaire à la caractérisation du manquement.
7. La qualification de contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont entendu donner à la convention qui les lie mais des seules conditions de fait dans lesquelles le travailleur exerce son activité. A cet égard, la qualité de salarié suppose nécessairement l'existence d'un lien juridique, fût-il indirect, de subordination du travailleur à la personne qui l'emploie, le contrat de travail ayant pour objet et pour effet de placer le travailleur sous la direction, la surveillance et l'autorité de son cocontractant. Dès lors, pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l'autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d'établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu'il emploie.
8. M. D... a, le 16 juin 2017, signé avec la société CAA Guyane, un contrat par lequel cette dernière lui a sous-traité les travaux de démolition et de rénovation du bâtiment situé rue Thiers à Saint-Laurent du Maroni.
9. Il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal d'infraction établi le 26 juin 2017, que les agents de police ont constaté la présence de trois personnes de nationalité haïtienne, dépourvues de titre de séjour, en train de travailler sur le chantier.
10. M. D... a déclaré aux services de police, lors de son audition du 27 juin 2017, qu'il était bien chargé du chantier et avait demandé oralement à l'une de ses connaissances, M. C..., de prendre en charge les travaux. M. D... a précisé, dans son procès-verbal d'audition, qu'aucun contrat n'avait été signé entre lui et M. C....
11. Auditionné à deux reprises le 26 juin et le 27 juillet 2017, M. C... a déclaré aux agents de police être ami avec M. D..., lequel lui a proposé de travailler sur le chantier. M. C... a indiqué qu'il pensait réaliser seul les travaux avant de se raviser et de demander de l'aide à des ouvriers, sans qu'aucun contrat de travail n'ait été établi. L'intéressé a également précisé aux agents de police que M. D... était présent sur le chantier et connaissait les ouvriers qui y travaillaient.
12. Les trois ouvriers en situation irrégulière ont déclaré, dans leur procès-verbaux d'audition du 26 juin 2017, avoir été recrutés oralement par M. C... sans qu'aucun contrat de travail n'ait été signé.
13. Si M. D... produit un contrat de sous-traitance signé avec M. C..., qui aurait conféré à celui-ci la qualité d'employeur des ouvriers en situation irrégulière, ce contrat a été signé le 26 juin 2017, soit le jour-même du contrôle de police, pour des travaux qui avaient commencé le 19 juin. De plus, au cours de leurs auditions respectives par les services de police, tant M. D... que M. C... ont affirmé n'avoir signé aucun contrat entre eux. Dans ces circonstances, M. C... ne peut être regardé comme l'employeur des ouvriers en situation irrégulière.
14. Il résulte au contraire de l'instruction que M. D... demeurait responsable du chantier, par l'effet du contrat qu'il avait signé avec la société CAA Guyane, qu'il se rendait sur le chantier et ne pouvait en conséquence méconnaître le fait que trois ouvriers y travaillaient. Dans ces conditions, M. D... doit être regardé comme ayant employé, au moins indirectement, des travailleurs étrangers en situation irrégulière, en infraction aux dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail. Dès lors, c'est à bon droit que, par la décision du 25 juin 2018 en litige, le directeur général de l'OFII à mis à la charge de M. D... les contributions contestées.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. En revanche, il y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de M. D... la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'OFII et non compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : La requête n° 21BX01020 de M. D... est rejetée.
Article 2 : M. D... versera à l'OFII la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 6 février 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Florence Demurger, présidente,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mars 2023.
Le rapporteur,
Frédéric B...
La présidente,
Florence Demurger
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX01020 2