La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/02/2023 | FRANCE | N°23BX00021

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre (juge unique), 15 février 2023, 23BX00021


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par une requête enregistrée le 13 juillet 2020, Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 15 mai 2020 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Saintonge l'a suspendue à titre conservatoire de ses activités cliniques et thérapeutiques et d'enjoindre au centre hospitalier de Saintonge de procéder à la régularisation de sa situation.



Par un jugement n° 2001599 du 17 octobre 2022, le tribunal administra

tif de Poitiers a annulé cette décision, enjoint au centre hospitalier de régulariser la situatio...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée le 13 juillet 2020, Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 15 mai 2020 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Saintonge l'a suspendue à titre conservatoire de ses activités cliniques et thérapeutiques et d'enjoindre au centre hospitalier de Saintonge de procéder à la régularisation de sa situation.

Par un jugement n° 2001599 du 17 octobre 2022, le tribunal administratif de Poitiers a annulé cette décision, enjoint au centre hospitalier de régulariser la situation de Mme B..., et mis à la charge du centre hospitalier une somme de 1 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 janvier 2023 sous le n° 23BX00021, le centre hospitalier de Saintonge, représenté par la société SHBK Avocats (Me Ségard), qui a fait appel de ce jugement par une requête enregistrée sous le n° 22BX03046, demande à la cour

d'en ordonner le sursis à exécution.

Il soutient que :

- il existe des moyens sérieux et de nature à justifier le sursis sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative ;

- Mme B... est responsable de manquements à ses obligations professionnelles, d'insuffisances dans la prise en charge des patients, elle était injoignable pendant ses permanences et travaillait sous l'emprise de substances addictives sur son lieu d'exercice professionnel, toutes attitudes manifestement incompatibles avec la continuité du service et la sécurité des patients ; le rapport du service du 4 mai 2020 justifiait la mesure en litige ; le centre national de gestion (CNG), saisi concomitamment à la suspension, a diligenté une expertise médicale sur l'aptitude physique et mentale de l'intéressée, et la circonstance qu'aucun avis n'ait encore été rendu est sans influence sur la légalité de la suspension ordonnée par le directeur du centre hospitalier ;

- la procédure de suspension ne pouvant être assimilée à une procédure disciplinaire, le moyen tiré devant le tribunal de l'absence d'une procédure contradictoire préalable ne peut qu'être écarté.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2023, Mme B..., représentée

par Me Lelong, conclut au rejet de la requête et à ce que la cour mette à la charge du centre hospitalier une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code

de justice administrative.

Elle soutient que :

- le centre hospitalier a sursis de lui-même à l'exécution du jugement en s'abstenant de tout contact pour la réintégrer, il ne saurait prétendre régulariser la situation en présentant une demande de sursis à exécution ;

- le jugement, qui n'est pas fondé sur une incompétence du directeur du centre hospitalier, n'est entaché d'aucune erreur de droit ;

- le centre hospitalier a choisi de mettre en œuvre une procédure contradictoire préalable, mais ne l'a pas informée de l'objet de l'entretien auquel il l'a convoquée ni de son droit de se faire assister d'un conseil ou de présenter des observations ; il n'a pas davantage alors porté à sa connaissance les lettres de dénonciation ou réunions hors de sa présence sur lesquelles il se fonde ; la décision est donc entachée d'un vice de procédure du fait de la privation de garanties ;

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu que la matérialité des faits qui lui étaient reprochés n'était pas établie, et a annulé la décision pour erreur d'appréciation ; le rapport

du 4 mai se borne pour certains griefs à de vagues allégations sans préciser les circonstances de temps et de lieu, pour d'autres repose sur des faits anciens insusceptibles de justifier la grave décision de 2020 ; le centre hospitalier, qui n'a produit aucun des témoignages dont il se prévaut, n'apporte aucun nouvel élément probant ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 15 février 2023 :

- le rapport de Mme D... C... ;

- et les observations de Me Chochois représentant le centre hospitalier de Saintonge et de Me Duclos, représentant Mme B..., qui reprennent les conclusions et moyens de leurs mémoires.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... a été recrutée par le centre hospitalier de Saintonge en 2013 comme praticien contractuel au service de gastro-entérologie et y a été titularisée praticien hospitalier

au 1er janvier 2015. A la suite d'une mésentente avec le chef de service nommé quelques mois plus tard, elle a été arrêtée de janvier à mai 2019 pour dépression, puis en octobre 2019 pour congé maternité, et a repris ses fonctions le 6 avril 2020. Elle s'est plainte à son retour que son bureau avait été attribué à une autre personne, a mis en cause la gestion d'un patient par son chef de service, et a adressé le 16 avril 2020 au directeur du centre hospitalier, à la directrice des affaires médicales et au président de la commission médicale d'établissement, mais aussi

au président de l'ordre des médecins de Charente Maritime, au CNG et à un syndicat, une longue réclamation se plaignant d'un harcèlement par son chef de service pour la contraindre à partir.

Le 4 mai 2020, son chef de service a saisi le chef d'établissement de " problématiques qui rendent impossible la collaboration " avec le Dr B..., courrier co-signé par un autre

médecin. Le 15 mai 2020, le directeur du centre hospitalier de Saintonge l'a suspendue à titre conservatoire de ses activités cliniques et thérapeutiques. Cette décision a été annulée sur la demande de Mme B... par un jugement du 17 octobre 2022, dont le centre hospitalier de Saintonge a relevé appel sous le n° 22BX03046. Par la présente requête, qui fait suite à une demande d'exécution du jugement par Mme B..., le centre hospitalier de Saintonge demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

2. Aux termes de l'article R. 811-14 du code de justice administrative : " Sauf dispositions particulières, le recours en appel n'a pas d'effet suspensif (...) ". Aux termes de l'article R. 811-15 du même code : " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ". Enfin, aux termes de l'article R. 222-25 du même code : " Les affaires sont jugées soit par une chambre siégeant en formation de jugement, soit par une formation de chambres réunies, soit par la cour administrative d'appel en formation plénière, qui délibèrent en nombre impair. / Par dérogation à l'alinéa précédent, le président

de la cour ou le président de chambre statue en audience publique et sans conclusions

du rapporteur public sur les demandes de sursis à exécution mentionnées aux articles R. 811-15 à R. 811-17. ".

Sur les conditions du sursis :

3. Aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique : " (...) Le directeur exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son article (...) ". S'il appartient, en cas d'urgence, au directeur général de l'agence régionale de santé compétent de suspendre, sur le fondement de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, le droit d'exercer d'un médecin qui exposerait ses patients à un danger grave, le directeur d'un centre hospitalier, qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du même code, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut toutefois, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, décider lui aussi de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné.

4. Pour annuler la décision suspendant le docteur B... de ses fonctions, le jugement a rappelé que " la décision contestée est fondée sur des manquements répétés de Mme B... à ses obligations professionnelles et évoque une conduite addictive sur le lieu de travail. Elle repose principalement sur un courrier du 4 mai 2020, rédigé par le chef de service de l'intéressée et un praticien hospitalier de ce même service, qui fait état de son indisponibilité et de la circonstance qu'elle serait injoignable durant ses permanences, ainsi que d'insuffisances dans la prise en charge des patients et dans la réalisation d'endoscopies. Toutefois, s'il est constant qu'il existe une mésentente au sein du service, les faits allégués ne sont corroborés par aucun autre document alors même que des témoins sont mentionnés ainsi que de nombreuses réunions au cours desquelles ces faits auraient été évoqués, sans pour autant qu'il en soit justifié. " En se bornant à renvoyer au même document, lequel comporte des accusations non étayées sur des faits remontant à 2014, 2015, 2016 ou 2018 et de vagues allégations dépourvues de précisions de circonstances de faits, de dates et de lieux, le centre hospitalier ne caractérise aucune circonstance exceptionnelle mettant en péril la continuité du service et la sécurité des patients imputable à Mme B..., laquelle a au contraire largement développé et étayé ses positions. La circonstance, pour éminemment regrettable qu'elle soit, que le comité médical saisi en 2020 par le centre national de gestion n'ait toujours pas rendu son avis, deux ans et demi après avoir été interrogé sur la capacité physique et mentale du médecin à assurer ses fonctions, est sans incidence sur la présente instance. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le tribunal aurait mal apprécié le bien-fondé de la décision en litige n'apparait pas sérieux ni par suite de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement au sens des dispositions précitées de l'article R.811-15 du code de justice administrative.

5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande le centre hospitalier de Saintonge. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier une somme de 2000 euros au titre des frais exposés par Mme B....

DECIDE :

Article 1er La requête du centre hospitalier de Saintonge est rejetée.

Article 2 : Le centre hospitalier de Saintonge versera à Mme B... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier de Saintonge et

à Mme A... B.... Copie en sera adressée au centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction, à l'Agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine et au préfet de la Charente-Maritime.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2023.

La présidente de chambre,

D... C...La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23BX00021 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre (juge unique)
Numéro d'arrêt : 23BX00021
Date de la décision : 15/02/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Avocat(s) : LELONG

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-02-15;23bx00021 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award