Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 1er juillet 2022 par lequel la préfète de la Charente lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2201967 du 30 août 2022, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 septembre 2022, Mme D..., représentée par Me Tribot, demande à la cour :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler le jugement du 30 août 2022 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Poitiers ;
3°) d'annuler l'arrêté du 1er juillet 2022 par lequel la préfète de la Charente lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;
4°) d'enjoindre à la préfète de la Charente de procéder au réexamen de sa situation et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- sa requête d'appel est recevable ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas motivée ;
- elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été transmise à la préfète de la Charente qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 10 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante guinéenne née le 4 février 1990, déclare être entrée en France le 19 mai 2020. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 4 juin 2021 confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 26 avril 2022. Par un arrêté du 1er juillet 2022, la préfète de la Charente lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 30 août 2022, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande d'annulation de cet arrêté. Mme D... relève appel de ce jugement.
Sur la demande d'aide juridictionnelle :
2. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 10 janvier 2022. Par suite, sa demande tendant à obtenir le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire est devenue sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur la légalité de l'arrêté du 1er juillet 2022 :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, la décision attaquée vise les textes dont il est fait application, mentionne les faits relatifs à la situation personnelle et administrative de Mme D..., notamment la date déclarée de son entrée en France, le rejet de sa demande d'asile, le fait qu'elle est célibataire et sans charge de famille, et indique avec précision les raisons pour lesquelles la préfète de la Charente lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision contestée doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ".
5. Mme D... fait valoir qu'elle est atteinte d'une tuberculose et souffre d'un fibrome utérin associé à des douleurs abdominales et du rachis lombaire pour lesquels elle bénéficie d'une surveillance en milieu hospitalier qui ne pourra pas se poursuivre en Guinée. Elle indique, en outre, être suivie pour un syndrome de stress post-traumatique consécutif aux événements vécus dans son pays d'origine. A l'appui de ces allégations, elle produit diverses ordonnances de prescription d'antalgiques dont la première est datée du 14 septembre 2020, un compte-rendu d'échographie pelvienne du 10 décembre 2021 mentionnant l'existence d'un fibrome utérin, des résultats d'une biopsie du col utérin du 3 février 2022 constatant l'absence de lésion virale ou dysplasique, un certificat médical du 12 octobre 2020 mentionnant une infection tuberculeuse latente sans état contagieux nécessitant une surveillance radiographique du thorax pendant deux ans ainsi qu'un certificat d'une infirmière psychiatrique du 27 décembre 2021 attestant une prise en charge pour un syndrome de stress post-traumatique en lien avec des évènements vécus en Guinée. Toutefois, ces documents ne sont pas de nature à établir qu'à la date de la décision contestée, l'état de santé de Mme D... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait avoir pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité et, le cas échéant, qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans son pays d'origine, elle ne pourrait y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que la requérante aurait porté ces éléments d'information sur son état de santé à la connaissance de l'autorité préfectorale ni sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut, dès lors, qu'être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure (...) nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre (...) ".
7. Mme D... se prévaut, d'une part, de son insertion sociale en France où elle indique avoir déclaré des revenus au titre de l'année 2019 et, d'autre part, de son engagement en qualité de bénévole auprès de plusieurs associations ainsi que du tissu amical qu'elle y a développé. Toutefois, par ces seuls éléments, elle n'établit pas avoir noué des liens d'une intensité, ancienneté et stabilité suffisantes en France où elle est entrée de manière récente, à l'âge de 30 ans, et vit de manière isolée tandis qu'il ressort des pièces du dossier, en particulier de ses déclarations lors de l'enregistrement de sa demande d'asile auprès du guichet unique pour demandeurs d'asile, que ses cinq enfants, âgés respectivement de 5, 8, 11, 18 et 22 ans vivent en Guinée. Par suite, compte tenu des conditions d'entrée et de séjour de Mme D... en France, la préfète de la Charente n'a pas, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, porté au droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts poursuivis et n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
8. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
9. Mme D... soutient que son retour en Guinée l'exposerait personnellement à des traitements inhumains et dégradants en raison des violences intrafamiliales qu'elle y a subies après avoir été mariée de force à un homme âgé de 70 ans. A l'appui de ses allégations, elle produit un certificat d'un médecin retraité du 28 octobre 2021 constatant des " lésions cicatricielles " et un certificat établi le 21 décembre 2021 à la suite d'un examen médico-légal dont il ressort qu'elle porte des cicatrices " pouvant " être compatibles avec son récit et présente une excision ancienne de type II selon la classification de l'OMS. Toutefois, ni ces éléments médicaux ni les références à une étude canadienne sur la pratique du mariage forcé en Guinée entre 2012 et 2015 et à un communiqué de presse des Nations Unies de 2001 sur l'égalité des sexes dans ce pays ne suffisent à établir le bien-fondé de ses craintes ou l'impossibilité dans laquelle elle se trouverait de pouvoir bénéficier de la protection des autorités de son pays. Au surplus, sa demande de reconnaissance de la qualité de réfugié a été rejetée tant par l'OFPRA que par la CNDA. Dès lors, en fixant le pays de renvoi, la préfète de la Charente n'a méconnu ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la demande de Mme D... d'admission à titre de provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D..., à Me Tribot et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera transmise à la préfète de la Charente.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Florence Demurger, présidente,
Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 février 2023.
La rapporteure,
Karine A...
La présidente,
Florence Demurger
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX02582