Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 28 avril 2022 par lequel la préfète de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel la même autorité préfectorale l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 2202424 du 5 mai 2022, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 juin 2022, M. B..., représenté par Me Lanne, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2202424 du 5 mai 2022 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 28 avril 2022 par lequel la préfète de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel la même autorité préfectorale l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité en ce qu'il a omis de répondre au moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève et des dispositions des articles L. 521-1, L. 521-7 et R. 521-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi qu'au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 24 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- la préfète n'a pas procédé à un examen réel et sérieux de sa situation dès lors qu'elle fait seulement état d'une " entrée irrégulière " en France sans mentionner son retour en France à la suite de l'exécution d'un arrêté de transfert ni son souhait exprimé aux services de police, le 28 avril 2022, de déposer une demande d'asile ;
- la préfète a méconnu les dispositions de l'article 24 du règlement (UE) n° 604/2013 en ce qu'elle ne pouvait lui faire obligation de quitter le territoire français tant que sa demande d'asile n'était pas examinée ;
- la préfète a méconnu les stipulations de l'article 33 de la convention de Genève et les dispositions des articles L. 521-1, L. 521-7 et R. 521-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu'elle devait instruire la demande d'asile qu'il avait l'intention de déposer ;
- l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L.721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant interdiction de retour méconnaît les dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'arrêté d'assignation à résidence doit être annulé en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
La requête a été transmise à la préfète de la Gironde qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 16 juin 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive n° 2013/32/UE du 26 juin 2013 ;
- la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant bangladais né le 1er juin 1996, est entré selon ses déclarations le 20 janvier 2021 en France et y a déposé une demande d'asile le 28 janvier suivant auprès de la préfecture de police de Paris. La consultation du fichier Eurodac, dans le cadre de l'instruction de cette demande d'asile, ayant révélé qu'il avait franchi les frontières italiennes, les autorités de ce pays ont été saisies le 4 mars 2021 d'une demande de prise en charge de l'intéressé qu'elles ont implicitement acceptée. Par un arrêté du 4 juin 2021, le préfet de police a décidé de son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile. Après avoir été remis aux autorités italiennes en exécution de cet arrêté de transfert, le 5 octobre 2021, M. B... est revenu en France où, le 27 avril 2022, il a fait l'objet d'une interpellation par les services de police bordelais pour des faits de conduite d'un véhicule sans permis. Par un arrêté du 28 avril 2022, la préfète de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Par un arrêté du même jour, l'autorité préfectorale l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Par un jugement du 5 mai 2022, la magistrate désignée du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande d'annulation de ces arrêtés. M. B... relève appel de ce jugement.
2. Aux termes des deuxième et troisième alinéas du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive 2013/32/CE du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale : " Lorsqu'une personne présente une demande de protection internationale à une autorité compétente en vertu du droit national pour enregistrer de telles demandes, l'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrables après la présentation de la demande. / Si la demande de protection internationale est présentée à d'autres autorités qui sont susceptibles de recevoir de telles demandes, mais qui ne sont pas, en vertu du droit national, compétentes pour les enregistrer, les États membres veillent à ce que l'enregistrement ait lieu au plus tard six jours ouvrables après la présentation de la demande. ". Aux termes des dispositions alors codifiées à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, reprises aux articles L. 521-1 et suivants de ce code : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. (...) / L'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrés après la présentation de la demande à l'autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation. Toutefois, ce délai peut être porté à dix jours ouvrés lorsqu'un nombre élevé d'étrangers demandent l'asile simultanément. (...) / Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. / La délivrance de cette attestation ne peut être refusée au motif que l'étranger est démuni des documents et visas mentionnés à l'article L. 211 1. Elle ne peut être refusée que dans les cas prévus aux 5° et 6° de l'article L. 743 2. / Cette attestation n'est pas délivrée à l'étranger qui demande l'asile à la frontière ou en rétention. ". Aux termes des dispositions alors codifiées à l'article L. 743-1 du même code, reprises à l'article L. 541-1 de ce code : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office (...). ". Aux termes des dispositions alors codifiées à l'article L. 743-2 du même code, reprises à l'article L. 542-3 de ce code : " Par dérogation à l'article L. 743 1, (...) le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé lorsque : 5° L'étranger présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif d'une première demande de réexamen ; / 6° L'étranger fait l'objet d'une décision définitive d'extradition vers un Etat autre que son pays d'origine ou d'une décision de remise sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen ou d'une demande de remise par une cour pénale internationale ; (...) ". Aux termes des dispositions alors codifiées à l'article R. 741-2 du même code, reprises à l'article R. 521-4 de ce code : " Lorsque l'étranger se présente en personne auprès de l'office français de l'immigration et de l'intégration, des services de police ou de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, en vue de demander l'asile, la personne est orientée vers l'autorité compétente. ".
3. Par son arrêt du 25 juin 2020, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'il ressort des deuxième et troisième alinéas du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive 2013/32/CE que les " autres autorités " au sens de cette directive, au nombre desquelles figurent les services de police, sont tenues, d'une part, d'informer les ressortissants de pays tiers en situation irrégulière des modalités d'introduction d'une demande de protection internationale et, d'autre part, lorsqu'un ressortissant a manifesté sa volonté de présenter une telle demande, de transmettre le dossier à l'autorité compétente aux fins de l'enregistrement de la demande. Aux termes des dispositions combinées des articles L. 741-1 et R. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui assurent la transposition de la directive 2013/32/CE, les services de police sont tenus de transmettre au préfet, et ce dernier d'enregistrer, la demande d'asile formulée par un étranger au cours de son audition par ces services.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., interpellé le 27 avril 2022, a déclaré lors de son audition le 28 avril 2022 par les services de police : " je voudrais que la France sache qu'au Bangladesh j'ai été torturé par mon oncle au décès de mon père. Mon oncle est devenu tellement méchant avec moi et étant leader d'un parti politique bengali, je n'ai pas eu d'autre choix que de quitter le pays " et " je compte faire une nouvelle demande d'asile en France ". Il a ainsi manifesté clairement son intention de demander l'asile. Alors qu'il n'est ni établi ni même allégué que les autorités italiennes auraient procédé à un examen d'une demande d'asile présentée par M. B... qui a séjourné en dernier lieu dans ce pays entre les mois d'octobre 2021 et avril 2022, il appartenait aux services de police de transmettre à la préfète de la Gironde, et à cette dernière d'enregistrer, la demande d'asile formulée par l'intéressé. Dès lors, la préfète de la Gironde a commis une erreur de droit en faisant obligation à M. B... de quitter le territoire français avant que sa demande d'asile ne soit examinée.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés contestés.
Sur les frais d'instance :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros au conseil de M. B... en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement de la magistrate désignée du tribunal administratif de Bordeaux en date du 5 mai 2022 et les arrêtés de la préfète de la Gironde en date du 28 avril 2022 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera au conseil de M. B... une somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera transmise au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Florence Demurger, présidente,
Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 février 2023.
La rapporteure,
Karine C...
La présidente,
Florence DemurgerLa greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX01761