Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... F... a demandé au tribunal administratif de Saint-Martin d'annuler la décision du 26 janvier 2021 par laquelle le préfet délégué auprès du représentant de l'Etat dans les collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2100080 du 25 mars 2022, le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 juin 2022 et 9 janvier 2023, Mme E... F..., représentée par Me Godefroy, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Saint-Martin du 25 mars 2022 ;
2°) d'annuler cette décision du 26 janvier 2021.
Mme F... soutient que :
- le mémoire en défense du préfet délégué, enregistré postérieurement à la clôture de l'instruction, est irrecevable ;
- la décision attaquée méconnaît les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est dépourvue de base légale ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2020, le préfet délégué auprès du représentant de l'Etat dans les collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme F... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique, a été entendu le rapport de M. C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme F..., ressortissante haïtienne née le 14 février 1998, qui déclare être entrée sur le territoire national en novembre 2015, a sollicité, le 14 décembre 2020, son admission au séjour sur le fondement des dispositions, alors en vigueur, du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision du 26 janvier 2021, le préfet délégué auprès du représentant de l'Etat dans les collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin a rejeté sa demande. Mme F... relève appel du jugement du 25 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la recevabilité du mémoire en défense du préfet délégué :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice
administratif : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. (...) ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité.
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 613-4 du même code : " Le président de la formation de jugement peut rouvrir l'instruction par une décision qui n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours (...) ". Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge administratif a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser.
4. Le mémoire en défense du préfet délégué a été enregistré le 23 décembre 2021, soit postérieurement à la clôture de l'instruction qui avait initialement été prononcée le 12 décembre 2021 par une ordonnance du 19 octobre 2021. Toutefois, contrairement à ce que soutient Mme F..., l'instruction de l'affaire a été rouverte par une ordonnance du 28 décembre 2021 afin de communiquer ce premier mémoire en défense pour garantir le caractère contradictoire de l'instruction. Dès lors, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que ce mémoire en défense serait irrecevable.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. En premier lieu, aux termes des dispositions, alors en vigueur, du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais reprises aux articles L. 423-7 et L. 423-8 du même code, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : " A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ; / Lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent, en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, justifie que ce dernier contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du même code, ou produit une décision de justice relative à la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ". Aux termes de l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme F... est mère de deux filles de nationalité française, Anne-Molina, née le 12 mars 2017, et A... Catalia, née le 12 avril 2019. La première a été reconnue par M. B..., de nationalité française, le 4 juin 2018, et la seconde, par M. D..., également de nationalité française, le 6 février 2020. Pour justifier de sa communauté de vie avec ce dernier, Mme F... produit une attestation d'hébergement rédigée par l'intéressé lui-même, laquelle est dépourvue de valeur probante, et une facture d'eau qui ne précise pas que Mme F... vit également à cette adresse. Si la requérante produit en outre, pour la première fois en appel, un relevé bancaire édité le 18 octobre 2021 concernant la requérante sur lequel figurent le nom et l'adresse de M. D..., ainsi qu'une " déclaration sur l'honneur de communauté de vie " établie le 22 juin 2022 par les intéressés, ces deux documents, postérieurs à la décision attaquée, sont insuffisants pour établir que Mme F... résidait, à la date de cette décision, avec le père de sa seconde fille. En outre, si Mme F... produit des certificats de scolarité de ses deux filles inscrites en école maternelle et une attestation d'assurance scolaire souscrite par M. D... le 19 novembre 2020, ainsi que, pour la première fois en appel, des quittances de paiements de la cantine scolaire, un formulaire de demande d'ouverture d'un livret A daté du 31 mai 2021, un virement d'un montant de 25 euros daté du 20 septembre 2021 et une photographie non datée de M. D... avec la jeune A..., ces éléments ne permettent pas davantage de justifier, à la date de la décision attaquée, de la contribution effective de ce dernier à l'entretien et à l'éducation des deux enfants. Dans ces conditions, Mme F... n'est pas fondée à soutenir que le préfet délégué aurait fait une inexacte application des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et privé sa décision de base légale.
7. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
8. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que Mme F... ne justifie ni d'une communauté de vie avec M. D... ni de ce que ce dernier contribue effectivement à l'entretien et l'éducation de ses deux filles. En outre, la requérante n'apporte aucun élément permettant de considérer qu'elle aurait tissé des liens stables et durables à Saint-Martin et ce alors que le préfet délégué indique, sans être contesté, que son troisième enfant, née le 25 février 2013, réside en Haïti. Dans ces conditions, eu égard notamment au jeune âge de ses deux filles, scolarisées en école maternelle, la décision attaquée qui n'est pas assortie d'une mesure d'éloignement n'a pas porté pas au droit de Mme F... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme F... n'est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté sa demande.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... F... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Florence Demurger, présidente,
Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,
M. Anthony Duplan premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 février 2023.
Le rapporteur,
Anthony C...
La présidente,
Florence Demurger
La greffière,
Catherine JussyLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX01713