Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le préfet de la Martinique a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner la société civile immobilière (SCI) Mabouya à la peine d'amende prévue à l'article L. 2132-2 du code général de la propriété des personnes publiques pour avoir porté atteinte à l'intégrité et à la conservation du domaine public maritime en faisant édifier une piscine en béton, un deck, une clôture en bois ainsi qu'un escalier d'accès à la plage sur la parcelle cadastrée section K n° 172 sur la commune de Sainte-Luce, de la condamner à remettre le site en l'état, sous astreinte, et d'autoriser l'Etat à faire exécuter cette injonction d'office si nécessaire, aux frais de la contrevenante.
Par un jugement n° 2000330 du 7 juin 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de la Martinique a condamné la SCI Mabouya au paiement d'une amende de 1 500 euros, lui a enjoint de remettre les lieux dans leur état initial sous astreinte de 30 euros par jour de retard passé le délai de trois mois à compter de la notification de la décision et a autorisé l'Etat à procéder d'office à ces travaux aux frais de la contrevenante après l'expiration de ce même délai.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 4 août 2021 et le 15 septembre 2022, la SCI Mabouya, représentée par Me Ghaye, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 7 juin 2021 ;
2°) de rejeter la demande du préfet de la Martinique et de la relaxer des fins de poursuite pour occupation illicite du domaine public maritime ;
3°) à titre subsidiaire, de poser une question préjudicielle au juge judiciaire civil sur le bénéfice de la prescription acquisitive à son profit pour les emprises situées à l'intérieur des clôtures et murs entourant sa propriété ;
4°) à titre très subsidiaire, de surseoir à statuer jusqu'à l'intervention d'une décision définitive du juge judiciaire civil sur l'action en prescription acquisitive qu'elle a formée ;
5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le premier juge n'a pas répondu à l'intégralité de son argumentation relative, d'une part, au bénéfice de la prescription acquisitive pour l'empiètement sur la limite intérieure de la parcelle K 172 du fait de l'existence d'une délimitation du rivage par arrêté préfectoral du 27 juin 1966 et, d'autre part, au fait que la limite du domaine public maritime, qui a fait l'objet d'une enquête publique fin 2019, ne pouvait être regardée comme établie ;
- les éléments complémentaires présentés dans sa note en délibéré n'ont pas été pris en compte ;
- le jugement a omis d'examiner le moyen tiré de ce qu'elle ne pouvait être tenue pour responsable des escaliers dont elle n'a ni la garde ni l'utilité, et pour lesquels elle ne bénéficie d'un usage ni exclusif ni partagé ;
- le jugement n'a pas répondu au moyen tiré de la prescription de l'action publique prévue à l'article 9 du code de procédure pénale en l'absence de notification personnelle des actes de poursuites antérieurs ;
- le jugement n'a pas répondu au moyen tiré de ce que le procès-verbal en litige ne caractérisait pas l'empiètement sur la parcelle K 172 ;
- le jugement est insuffisamment motivé s'agissant de la matérialité de l'empiètement ;
- l'absence de numérotation des pièces produites par le préfet et la transmission tardive du rapport d'expertise amiable n'ont pas permis un débat contradictoire ;
- le procès-verbal de contravention a été établi irrégulièrement et ne permet pas de caractériser l'infraction ;
- ce procès-verbal a été notifié au-delà du délai de dix jours prévu à l'article L. 774-2 du code de justice administrative, à une adresse erronée, ce qui a porté une atteinte irréversible aux droits de la défense et constitue une violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison notamment de la confusion entretenue par l'Etat avec la question de la servitude de passage ;
- dès lors que le juge administratif doit, en cas de pluralité de prévenus, tirer les conséquences de l'irrégularité de l'engagement des poursuites pour l'ensemble des prévenus, elle doit être relaxée pour ce motif qui a été retenu par le tribunal administratif de la Martinique pour relaxer des prévenus des poursuites d'une contravention de grande voirie dressés le même jour sur la même façade littorale ;
- l'action publique était prescrite dès lors que l'Etat avait connaissance de l'empiètement depuis une étude sur la création d'un passage littoral réalisée en juin 2018 ;
- les poursuites ne pouvaient se fonder sur l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 dès lors que les constructions en litige sont antérieures à son entrée en vigueur le 1er juillet 2006 ;
- les éléments produits ne permettent pas de justifier d'un empiètement sur le domaine public maritime ;
- le premier juge a commis une erreur de droit en faisant application des dispositions du décret du 30 juin 1955 qui ne concerne que la portion non bornée de la zone dite des cinquante pas géométriques et ne pouvait s'appliquer en l'espèce du fait de l'existence d'une parcelle bornée et cadastrée, dont la limite intérieure avec les propriétés privées contiguës ne comportait pas d'ambigüité ;
- elle peut ainsi se prévaloir de la prescription acquisitive du fait du régime de domanialité privée de la parcelle K 172, ce que confirme le plan Géofoncier ;
- elle ne peut être tenue pour responsable des aménagements litigieux qui ont été réalisés avant qu'elle n'acquière la parcelle ;
- elle peut se prévaloir de la protection de son " intérêt patrimonial substantiel " tel que reconnu par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par des mémoires en défense enregistrés le 9 mai 2022 et le 11 octobre 2022, les ministres de la transition écologique et de la mer concluent au rejet de la requête.
Les ministres font valoir que les moyens invoqués par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 ;
- le décret n° 55-885 du 30 juin 1955 ;
- le décret n° 2003-172 du 25 février 2003 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... C...,
- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,
- et les observations de Me Hauville, représentant la SCI Mabouya.
Considérant ce qui suit :
1. Un procès-verbal de contravention de grande voirie a été dressé le 30 juillet 2019 à l'encontre de la SCI Mabouya, en raison de l'occupation sans autorisation de la parcelle cadastrée section K numéro 172 située sur le territoire de la commune de Sainte-Luce appartenant au domaine public maritime. Le préfet de la Martinique a déféré, le 2 juillet 2020, la SCI Mabouya devant le tribunal administratif de la Martinique à raison de cette contravention. La SCI Mabouya relève appel du jugement du 7 juillet 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de la Martinique l'a condamnée au paiement d'une amende de 1 500 euros au titre de l'occupation sans titre, lui a enjoint de remettre les lieux en l'état originel sous astreinte de 30 euros par jour de retard passé le délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement et a autorisé l'Etat, ce même délai échu, à procéder à cette remise en état des lieux à ses frais.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des pièces du dossier que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de la Martinique a omis de répondre au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de la prescription de l'action publique en application de l'article 9 du code de procédure pénale. Dès lors, le jugement attaqué est entaché d'irrégularité. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres irrégularités invoquées par la requérante, ce jugement doit être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SCI Mabouya devant le tribunal administratif de la Martinique.
Sur l'engagement des poursuites :
4. En premier lieu, aucune disposition législative ou réglementaire n'impartit aux agents verbalisateurs de délai, à partir du jour où ils ont constaté l'infraction, pour rédiger le procès-verbal de contravention.
5. En deuxième lieu, le procès-verbal de contravention de grande voirie établi à l'encontre de la SCI Mabouya mentionne la réalisation en face de la parcelle cadastrée section K 341, en grande partie sur le domaine public maritime, d'une piscine en béton armée bordée d'un deck, d'une clôture et d'un escalier d'accès à la plage et précise les caractéristiques de ces ouvrages ainsi que l'étendue de l'emprise. Le procès-verbal est assorti de clichés photographiques, d'une photographie aérienne comportant les limites cadastrales ainsi que d'un extrait du plan de prévention des risques naturels. L'identité de la contravenante, la SCI Mabouya prise en la personne de sa gérante, y figure également. Dans ces conditions, ce procès-verbal est suffisamment précis pour fonder les poursuites et permettre à la société de contester leur bien-fondé, notamment la superficie de l'empiètement. Par ailleurs, la circonstance que la procédure aurait été déclenchée à la suite d'une action délictuelle de dégradation de ses biens n'est pas de nature à entacher la procédure d'irrégularité.
6. En troisième lieu, en vertu du premier alinéa de l'article L. 774-2 du code de justice administrative, " dans les dix jours qui suivent la rédaction d'un procès-verbal de contravention ", l'autorité compétente " fait faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal ". L'observation de ce délai de dix jours n'étant pas prescrite à peine de nullité, le moyen tiré de ce qu'il aurait été méconnu ne peut être utilement invoqué. Pour autant, la notification tardive du procès-verbal ne saurait porter atteinte aux droits de la défense.
7. En l'espèce, il est constant que le procès-verbal établi le 30 juillet 2019, sur la base d'un constat réalisé le 17 mai 2019, n'a été notifié que le 2 juillet 2020 à l'adresse personnelle de la gérante de la SCI Mabouya. Toutefois, les représentants de la SCI Mabouya ont assisté à une réunion avec les services de l'Etat le 9 juillet 2019, lors de laquelle ils ont été informés que les installations en litige empiétaient sur le domaine public maritime. En outre, par un courrier du 25 octobre 2019 adressé à la gérante de la SCI Mabouya à cette même adresse et auquel la société a répondu le 22 novembre suivant, le préfet de la Martinique lui a transmis une copie du procès-verbal dressé le 30 juillet 2019, l'a invitée, de façon amiable, à lui faire part de son éventuel accord pour remettre les lieux en l'état, et a précisé qu'à défaut, le procès-verbal serait transmis au tribunal administratif. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que le délai dans lequel le procès-verbal a été notifié n'aurait pas, en l'espèce, mis à même la SCI Mabouya de préparer utilement sa défense devant la juridiction. La requérante ne saurait à cet égard se prévaloir d'un jugement du même tribunal du 22 décembre 2020 ayant relaxé des prévenus auxquels un procès-verbal de contravention de grande voirie sur une parcelle située à proximité avait été notifié dans les mêmes conditions dès lors que, s'agissant d'une parcelle et d'installations différentes, elle ne peut être regardée comme prévenue de la même contravention. En outre, la mise en œuvre durant la même période de procédures d'établissement de la servitude de passage des piétons le long du littoral et de redélimitation du domaine public naturel, à laquelle elle était associée en tant que riveraine et dont l'objet était distinct, n'était pas de nature à l'induire en erreur sur les intentions du préfet qui lui avaient été clairement rappelées dans le courrier du 25 octobre 2019. Par suite, ce moyen doit être écarté.
Sur l'action publique :
En ce qui concerne la prescription :
8. En vertu de l'article 9 du code de procédure pénale, l'action publique tendant à la répression des contraventions se prescrit par une année révolue à compter du jour où l'infraction a été commise. La prescription d'infractions continues ne court qu'à partir du jour où elles ont pris fin. En vertu de l'article 7 de ce code puis, à compter de l'entrée en vigueur de l'article 1er de la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, de l'article 9-2 du même code, peuvent seules être regardées comme des actes d'instruction ou de poursuite de nature à interrompre la prescription en matière de contraventions de grande voirie, outre les jugements rendus par les juridictions et les mesures d'instruction prises par ces dernières, les mesures qui ont pour objet soit de constater régulièrement l'infraction, d'en connaître ou d'en découvrir les auteurs, soit de contribuer à la saisine du tribunal administratif ou à l'exercice par le ministre de sa faculté de faire appel ou de se pourvoir en cassation. Ces actes d'instruction ou de poursuites interrompent la prescription à l'égard de tous les auteurs, y compris ceux qu'ils ne visent pas.
9. ll résulte de l'instruction que l'empiètement sur le domaine public maritime perdurait à la date du constat réalisé sur place par les agents assermentés et lors de l'établissement du procès-verbal le 30 juillet 2019. Dès lors, la requérante ne peut se prévaloir, pour invoquer la prescription de l'action publique prévue à l'article 9 du code de procédure pénale, de ce que l'administration avait connaissance de cet empiètement depuis la réalisation, en juin 2018, d'une étude relative à la création d'un passage littoral, laquelle ne constituait pas au demeurant une mesure de constatation régulière de l'infraction. Au surplus, après le constat réalisé le 17 mai 2019, l'établissement du procès-verbal le 30 juillet 2019 puis sa notification le 2 juillet 2020, qui constituent des actes interruptifs, ont été réalisés dans le délai d'un an prévu par ces dispositions. Aussi, ce délai n'était-il pas expiré lorsque le préfet a déféré le 2 juillet 2020 au tribunal ce procès-verbal. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'action publique est prescrite.
En ce qui concerne la matérialité de l'infraction et la contravention :
10. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques : " Le domaine public maritime naturel de l'Etat comprend : / 1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. / Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ; (...) / 4° La zone bordant le littoral définie à l'article L. 5111-1 dans les départements de la Martinique, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion. ". Selon l'article L. 5111-1 du même code : " La zone comprise entre la limite du rivage de la mer et la limite supérieure de la zone dite des cinquante pas géométriques définie à l'article L. 5111-2 fait partie du domaine public maritime de 1'Etat. ". Aux termes de l'article L. 5111-3 dudit code : " Les dispositions de l'article L. 5111-1 s'appliquent sous réserve des droits des tiers à la date du 5 janvier 1986. Les droits des tiers résultent : / 1° soit de titres reconnus valides par la commission prévue par les dispositions de l'article 10 du décret n° 55-885 du 30 juin 1955 ; 2°/ soit de ventes ou de promesses de vente consenties par l'Etat postérieurement à la publication de ce décret et antérieurement à la date du 5 janvier 1986 ; (...) ".
11. D'autre part, aux termes de l'article L. 2132-2 de ce code : " Les contraventions de grande voirie sont instituées par la loi ou par décret, selon le montant de l'amende encourue, en vue de la répression des manquements aux textes qui ont pour objet, pour les dépendances du domaine public n'appartenant pas à la voirie routière, la protection soit de l'intégrité ou de l'utilisation de ce domaine public, soit d'une servitude administrative mentionnée à l'article L. 2131-1./ Elles sont constatées, poursuivies et réprimées par voie administrative. ". L'article L. 2132-3 dudit code dispose que : " Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d'amende (...) ".
12. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise dressé par un géomètre-expert en vue de déterminer les limites de l'ensemble des propriétés du quartier Fond Larion / Désert, qui s'est appuyé essentiellement sur le plan de délimitation du domaine public maritime réalisé en 1965, antérieurement à la cession de la parcelle K 341 au propriétaire précédant la SCI Mabouya, ainsi que du rapport de M. A..., géomètre, produit par la société et établi à sa demande, que la piscine, le deck, l'escalier d'accès à la plage et la clôture en bois objets de la contravention en litige ne se situent pas sur la parcelle K 341, propriété de la SCI Mabouya, mais sur la parcelle K 172, qui appartenait au domaine privé de l'Etat, puis a été incorporée au domaine public maritime, par l'effet des dispositions de l'article L. 5111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, issues de la loi littoral du 3 janvier 1986. Contrairement, à ce que soutient la requérante, l'expertise présentée par l'Etat ne se fonde pas uniquement sur les plans Gilbert mais également sur d'autres relevés de géomètres, des mesures de terrain ainsi que la présence de repères physiques qui permettent d'établir la réalité de l'empiètement, même en tenant compte de la marge d'erreur liée à l'échelle et aux imprécisions de ces plans. En outre, dès lors que les mesures ont été contrôlés à partir des façades arrières sur voierie, de la surface des terrains et des bornes maritimes marquant la limite intérieure de la parcelle K 172, un éventuel rétrécissement de la largeur de la parcelle K 172 du fait de l'érosion et d'un défaut d'entretien de la part de l'Etat n'est pas de nature à remettre en cause la réalité de cet empiètement. Par suite, l'Etat démontre la matérialité de l'occupation du domaine public par la requérante.
13. En deuxième lieu, en application du décret du 30 juin 1955 relatif à l'introduction dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane française, de la Martinique et de La Réunion de la législation et de la réglementation métropolitaines concernant le domaine public maritime et l'exécution des travaux mixtes, et modifiant le statut de la zone dite "des cinquante pas géométriques" existant dans ces départements, la zone des cinquante pas géométriques a appartenu au domaine privé de l'Etat du 30 juin 1955 au 5 janvier 1986, soit pendant une période supérieure à la période de trente ans prévue, pour l'application de la prescription acquisitive en dehors du cas de l'acquisition de bonne foi et par juste titre d'un immeuble, aux articles 2262 et 2265 du code civil dans leur rédaction applicable à la période, désormais repris à l'article 2272 du même code. Toutefois, l'article 5 de ce décret a prévu que, dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, la prescription acquisitive ne pourrait commencer à courir au profit des occupants de terrains de la zone des cinquante pas géométriques qu'à la date de clôture des opérations de délimitation de cette zone, laquelle devait être fixée par un arrêté interministériel. L'absence d'intervention d'un tel arrêté a conduit à maintenir le caractère imprescriptible de la zone des cinquante pas géométriques, malgré son rattachement au domaine privé de l'Etat.
14. Il résulte de ce qui précède que la société requérante ne peut exciper du bénéfice d'une quelconque prescription acquisitive trentenaire qui lui aurait permis de devenir propriétaire des terrains correspondant à l'emprise de ses installations sur la parcelle K 172. Contrairement à ce que soutient la société requérante, en l'absence de distinction par le décret du 30 juin 1955 selon que les terrains situés dans la zone des cinquante pas géométriques appartenant à l'Etat étaient bornés ou non, les dispositions de l'article 5 de ce décret, prévoyant que la prescription acquisitive ne pouvait commencer qu'à la date de clôture des opérations de délimitation, avaient vocation à s'appliquer à la parcelle K 172. En outre, dès lors que ces dispositions prévoyaient que cette date devait être fixée par un arrêté ministériel, l'intervention d'un arrêté préfectoral du 27 juin 1966 de délimitation du rivage n'a pu faire courir la prescription acquisitive. Ainsi ces terrains sont demeurés une dépendance du domaine public maritime de l'État.
15. Par ailleurs, dès lors qu'il résulte de l'instruction que la vente initiale par l'Etat ne portait pas sur la portion litigieuse de la parcelle K 172 mais uniquement sur la parcelle K 341, la requérante ne saurait se prévaloir de la prescription décennale prévue en cas d'acquisition d'un immeuble de bonne foi et par juste titre, la seule circonstance que l'acte de vente du 19 octobre 2009 mentionne la piscine, le deck et la barrière comme appartenant à la parcelle K 341 ne pouvant valoir titre de propriété sur cette portion de la parcelle K 172.
16. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la SCI Mayouba serait propriétaire de la portion de terrain qu'elle occupe sur la parcelle K 172 doit être écarté, sans qu'il soit besoin de saisir l'autorité judiciaire d'une question préjudicielle, ni de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit définitivement prononcée sur l'action en revendication de propriété qu'elle a formée.
17. En troisième lieu, la personne qui peut être poursuivie pour contravention de grande voirie est soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l'action qui est à l'origine de l'infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait l'objet qui a été la cause de la contravention, qu'elle l'ait ou non édifié elle-même.
18. Dès lors que la requérante est propriétaire de la piscine, du deck et de la clôture en litige, qui figurent sur son titre de propriété, elle ne saurait utilement se prévaloir du fait qu'elle ne les a pas édifiés elle-même. En outre, ce titre de propriété mentionne également un portillon donnant sur la plage, située en contrebas de son terrain, et elle n'apporte aucun élément de nature à étayer ses affirmations selon lesquelles elle n'a pas la garde ni l'utilité même partagée des escaliers d'accès à la plage, alors que ceux-ci desservent ce portillon. Ainsi, alors qu'il est constant qu'elle n'est titulaire d'aucune autorisation d'occupation temporaire du domaine public pour leur édification ou leur usage, qui ne peut résulter de l'obtention d'une autorisation d'urbanisme, l'infraction de grande voirie est constituée et relève du régime des contraventions de grande voirie.
19. En quatrième lieu, dès lors que les poursuites sont fondées sur la garde des installations en litige, le moyen tiré de ce que les poursuites ne pouvaient se fonder sur l'ordonnance n°2006-460 du 21 avril 2006 en raison de l'édification des constructions en litige antérieurement à son entrée en vigueur doit être écarté.
20. En cinquième lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ".
21. En l'absence d'autorisation d'occuper le domaine public qui constitue l'assiette de ses installations, la société ne peut se prévaloir d'aucun droit réel sur la portion de terrain qu'elle occupe irrégulièrement, et sur les installations qui y ont été édifiées. Par suite, les poursuites exercées à son encontre ne constituent pas une mesure prohibée par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en vertu duquel nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique. En outre, la société ne saurait se prévaloir de la décision de l'Etat de céder ce terrain dès lors que l'acte de vente de 1965 ne portait pas sur la parcelle K 172, ni de l'obtention d'une autorisation d'urbanisme pour la construction de la piscine, qui n'est pas de nature à caractériser l'espérance légitime et raisonnable de sa part d'obtenir la jouissance effective d'un droit de propriété sur la portion de terrain du domaine public maritime sur laquelle sont situées les installations en litige. En outre, dès lors que la contravention dont il s'agit est justifiée par le but d'intérêt général de protection du littoral, la requérante ne saurait se prévaloir de la méconnaissance de son intérêt patrimonial à jouir de ses installations. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
22. En sixième lieu, la SCI Mabouya ne saurait utilement alléguer qu'elle serait victime d'un traitement discriminatoire, ni invoquer une atteinte au principe d'égalité, la circonstance, à la supposer avérée, que d'autres occupants irréguliers du domaine public maritime ne feraient pas l'objet de poursuites étant sans incidence sur sa propre situation. Elle ne saurait davantage se prévaloir de la situation de particuliers qui ont bénéficié de la vente de terrains situés dans la zone des cinquante pas géométriques après déclassement dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que sa situation rentrerait dans les cas pour lesquels des articles L. 5112-1 à 10 du code général de la propriété des personnes publiques autorisent un tel déclassement.
23. Enfin, d'une part, la SCI Mabouya ne saurait utilement se prévaloir du principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire et ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit communautaire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. D'autre part, en l'absence de droit réel sur la portion de terrain qu'elle occupe irrégulièrement, et sur les installations qui y ont été édifiées, la SCI Mabouya n'est pas fondée à faire valoir que les poursuites exercées à son encontre méconnaîtraient le principe de sécurité juridique.
24. Il résulte de ce qui précède que l'infraction reprochée à la SCI Mabouya est constituée, et présente le caractère d'une contravention de grande voirie, au sens des dispositions précitées des articles L. 2122-1 et L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques.
En ce qui concerne la peine :
25. Aux termes de l'article L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sous réserve des textes spéciaux édictant des amendes d'un montant plus élevé, l'amende prononcée pour les contraventions de grande voirie ne peut excéder le montant prévu par le 5° de l'article 131-13 du code pénal./ Dans tous les textes qui prévoient des peines d'amendes d'un montant inférieur ou ne fixent pas le montant de ces peines, le montant maximum des amendes encourues est celui prévu par le 5° de l'article 131-13./ Dans tous les textes qui ne prévoient pas d'amende, il est institué une peine d'amende dont le montant maximum est celui prévu par le 5° de l'article 131-13. ". Aux termes de l'article 131-13 du code pénal : " Le montant de l'amende est le suivant : (...) 5° 1 500 euros au plus pour les contraventions de la 5e classe, montant qui peut être porté à 3 000 euros en cas de récidive lorsque le règlement le prévoit, hors les cas où la loi prévoit que la récidive de la contravention constitue un délit.
26. Compte tenu de ce qui vient d'être dit, il y a lieu de condamner la SCI Mabouya, en application des dispositions de L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques précité, au paiement d'une amende de 1 500 euros.
Sur l'action domaniale :
27. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre à la SCI Mabouya de rétablir sans délai les lieux dans leur état initial, si ce n'est déjà fait, et d'assortir cette injonction d'une astreinte de 30 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 3 mois suivant la notification du présent arrêt. Il y a lieu également d'autoriser le préfet de la Martinique à procéder d'office à ces opérations aux frais et risques de la SCI Mabouya, en cas d'inexécution passé ce même délai.
Sur les frais liés au litige :
28. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque au titre des frais exposés par la requérante.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 7 juin 2021 est annulé.
Article 2 : La SCI Mabouya est condamnée à payer une amende de 1 500 euros.
Article 3 : La SCI Mabouya devra, sous le contrôle de l'administration, remettre sans délai, si elle ne l'a pas déjà fait, les lieux en l'état, sous peine d'une astreinte de 30 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 3 mois suivant la notification du présent jugement.
Article 4 : En cas d'inexécution par l'intéressée, passé un délai de 3 mois après la notification du présent jugement, l'administration est autorisée à procéder d'office, aux frais de la contrevenante, à la remise en état des lieux.
Article 5 : Les conclusions présentées par la SCI Mabouya sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Mabouya et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copies en seront transmises pour information au préfet de la Martinique et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 décembre 2022.
La rapporteure,
Christelle C...La présidente,
Marianne Hardy
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX03339 2