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16/12/2022 | FRANCE | N°20BX03133

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 16 décembre 2022, 20BX03133


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les sociétés civiles d'exploitation agricole (SCEA) Eurocrop, de Guissabeau et des Grissois ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler les décisions des 11 février et 3 mai 2019 par lesquelles la préfète de la Vienne a appliqué un taux de réduction de 100 % des aides soumises à la conditionnalité au titre de l'année 2018 en raison d'un refus de contrôle.

Par un jugement n° 1901639, 1901640, 1901641 du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande

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Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 se...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les sociétés civiles d'exploitation agricole (SCEA) Eurocrop, de Guissabeau et des Grissois ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler les décisions des 11 février et 3 mai 2019 par lesquelles la préfète de la Vienne a appliqué un taux de réduction de 100 % des aides soumises à la conditionnalité au titre de l'année 2018 en raison d'un refus de contrôle.

Par un jugement n° 1901639, 1901640, 1901641 du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 septembre 2020 et 13 juin 2022, les SCEA Eurocrop, de Guissabeau et des Grissois, représentées par Me Pilon, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1901639, 1901640, 1901641 du tribunal administratif de Poitiers du 17 juillet 2020 ;

2°) d'annuler les décisions des 11 février et 3 mai 2019 de la préfète de la Vienne ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros à chacune des sociétés sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le jugement est irrégulier en ce que le mémoire en réplique qu'elles ont produit devant le tribunal n'a pas été communiqué à la partie adverse, en méconnaissance du principe du contradictoire ;

- M. A..., salarié de l'association Groupement d'employeurs Euro Job, ne disposait pas d'un mandat explicite pour les représenter au cours des opérations de contrôle ; à cet égard, l'existence d'un mandat apparent ne peut utilement être invoquée ; dès lors, l'administration a entaché ses décisions d'erreur de droit en estimant qu'elles avaient refusé le contrôle ;

- l'instruction technique DGPE/SDGP/2018/477 du 22 juin 2018 relative au contrôle de la conditionnalité des aides PAC est inopposable en ce qu'elle ne respecte pas les exigences de l'article R. 312-7 du code des relations entre le public et l'administration ;

- le refus de contrôle n'est pas établi alors que le document de contrôle met en évidence que les points à vérifier ont pu être examinés ; l'existence de menaces de mort à l'encontre des contrôleurs n'est pas avérée ; M. A... a été relaxé par le tribunal correctionnel de Poitiers du chef du délit de violence sur une personne chargée d'une mission de service public ;

- la réduction de 100 % des aides a eu un impact financier très important sur l'exploitation ;

- les décisions contestées ont été prises en méconnaissance des stipulations des articles 38 et 41 du règlement délégué (UE) n° 640/2014 de la Commission du 11 mars 2014 complétant le règlement (UE) n° 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil dès lors que la préfète n'a pas examiné la portée des faits reprochés aux sociétés, eu égard au but poursuivi par le contrôle ;

- la sanction prononcée est manifestement disproportionnée.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 20 mai et 29 juin 2022, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par les sociétés requérantes ne sont pas fondés.

Par un courrier du 30 septembre 2022, les parties ont été informées, en application de dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions à fin d'annulation des courriers du 11 février 2019, qui constituent des mesures préparatoires.

Un courrier en réponse au moyen d'ordre public, présenté pour les SCEA Eurocrop, de Guissabeau et des Grissois, a été enregistré le 6 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... C...,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique,

- et les observations de Me Manceau, représentant les SCEA Eurocrop, de Guissabeau et des Grissois.

Considérant ce qui suit :

1. Les SCEA Eurocrop, de Guissabeau et des Grissois, établies sur la commune de Cissé (Vienne) ont fait l'objet, le 7 décembre 2018, d'un contrôle sur place réalisé par deux agents de la direction départementale des territoires (DDT) de la Vienne au titre des règles de conditionnalité des aides agricoles versées dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). A la suite de menaces qui auraient été proférées à leur encontre par M. A... au cours des opérations de contrôle, la préfète de la Vienne a informé les sociétés requérantes, le 11 février 2019, qu'elle envisageait d'appliquer un taux de réduction de 100 % des aides soumises à la conditionnalité au titre de l'année 2018 en raison d'un comportement s'assimilant à un refus de contrôle. Par des décisions du 3 mai 2019, la préfète de la Vienne a appliqué ce taux de réduction. Les intéressées relèvent appel du jugement du 17 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ". Aux termes de l'article R. 613-3 du même code : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction. ". Son article R. 613-4 dispose en outre que : " Le président de la formation de jugement peut rouvrir l'instruction par une décision qui n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. (...) ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, lorsque, après la clôture de l'instruction, le juge est saisi d'un mémoire émanant d'une des parties, il lui appartient d'en prendre connaissance ainsi que de le viser dans sa décision. S'il a toujours la faculté d'en tenir compte après l'avoir analysé et avoir rouvert l'instruction, il n'est tenu de le faire, à peine d'irrégularité de sa décision, que si ce mémoire contient l'exposé soit d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office.

3. Il ressort des pièces des dossiers de première instance que les SCEA Eurocrop, de Guissabeau et des Grissois ont produit des mémoires en réplique le 9 juin 2020, postérieurement à la clôture de l'instruction fixée, contrairement à ce qu'elles soutiennent, non au 12 juin 2020 mais au 10 mars 2020 à 12 heures. Il ressort de l'examen de ces mémoires, visés par le jugement du tribunal, ce qui atteste qu'il en a pris connaissance, qu'ils ne contenaient l'exposé d'aucune circonstance de fait dont les sociétés n'étaient pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction, ni d'aucune circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office, de sorte que les premiers juges n'étaient pas tenus de rouvrir l'instruction et de les communiquer. Par suite, en s'abstenant de communiquer ces mémoires à la partie défenderesse, le tribunal n'a pas méconnu le principe du contradictoire et n'a pas entaché d'irrégularité son jugement.

Sur la recevabilité des conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes de l'article D. 615-61 du code rural et de la pêche maritime : " Le directeur départemental des territoires (...) recueille, sous l'autorité du préfet, les observations de l'agriculteur sur les cas de non-conformité constatés à l'occasion des contrôles effectués et sur le taux de réduction susceptible d'en résulter. / Il transmet aux organismes payeurs la liste des cas de non-conformité qui entraînent une réduction des paiements directs en application de la présente section, et le taux de cette réduction. ".

5. Les lettres du 11 février 2019 par lesquelles le directeur départemental des territoires, sous l'autorité de la préfète de la Vienne, a informé les sociétés requérantes de ce que ces dernières disposaient d'un délai de 15 jours pour transmettre leurs observations et qu'en l'absence de réponse, il considérerait le refus de contrôle comme établi, au sens et pour l'application de l'article D. 615-59 du code rural et de la pêche maritime, revêtent le caractère de mesures préparatoires et ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Dès lors, quand bien même ces lettres mentionnent les voies et délais de recours, les SCEA Eurocrop, de Guissabeau et des Grissois ne sont pas recevables à en demander l'annulation.

Sur le bien-fondé du jugement :

6. Aux termes de l'article 59 du règlement (UE) n° 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) n° 352/78, (CE) n° 165/94, (CE) n° 2799/98, (CE) n° 814/2000, (CE) n° 1200/2005 et n° 485/2008 du Conseil : " 1. Le système mis en place par les États membres conformément à l'article 58, paragraphe 2, comprend, sauf disposition contraire, le contrôle administratif systématique de toutes les demandes d'aide et de toutes les demandes de paiement. Des contrôles sur place s'ajoutent à ce système. / (...) / 7. Une demande d'aide ou une demande de paiement est rejetée si le bénéficiaire ou son représentant empêche la réalisation d'un contrôle sur place, sauf dans les cas de force majeure ou dans des circonstances exceptionnelles. ". Aux termes de l'article D. 615-59 du code rural et de la pêche maritime : " / (...) / En cas de refus d'un contrôle conduit au titre de la conditionnalité, le taux de réduction des aides soumises aux règles de conditionnalité prévues par la politique agricole commune est fixé à 100 %. ".

7. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, dans son arrêt du 16 juin 2011 Marija Omejc (C-536/09), que la notion de représentant constitue une notion autonome du droit de l'Union et recouvre, lors des contrôles sur place, toute personne adulte, dotée de la capacité d'exercice, qui réside dans l'exploitation agricole et à laquelle est confiée au moins une partie de la gestion de cette exploitation, pour autant que l'agriculteur a clairement exprimé sa volonté de lui donner mandat aux fins de le représenter et, partant, s'est engagé à assumer tous les actes et toutes les omissions de cette personne.

8. Il ressort des pièces du dossier que les opérations de contrôle ont été menées par les agents de la DDT de la Vienne auprès de M. A..., technicien agricole de niveau III, qui a été engagé en qualité de chef de culture de l'exploitation agricole en litige, en vertu d'un contrat à durée indéterminée conclu le 17 mars 2014 avec M. D..., représentant l'association Groupement employeurs Euro Job et gérant des trois sociétés requérantes. Il ne ressort d'aucun élément versé à l'instance qu'à supposer que M. A... puisse être regardé comme résidant dans l'exploitation, les SCEA Eurocrop, de Guissabeau et des Grissois, par l'intermédiaire de leurs associés ou de leur gérant, l'auraient expressément mandaté, préalablement au contrôle, pour les représenter auprès de la DDT de la Vienne. A cet égard, contrairement à ce que soutient le ministre, la circonstance que M. A... a occasionnellement signé des documents au nom des sociétés, tels que des déclarations de sinistre relatives à l'assurance récolte, ne s'apparente pas à un mandat explicite de représentation des sociétés, général ou spécial, qui, pour l'application des stipulations et dispositions citées au point 6, suppose un consentement exprès du mandant. Le ministre ne peut davantage se fonder sur la seule fiche descriptive du métier de chef de culture publiée par l'association nationale pour l'emploi et la formation en agriculture (ANEFA) pour justifier de l'existence d'un mandat explicite entre les mains de M. A.... Dès lors, les sociétés requérantes sont fondées à soutenir que l'administration ne pouvait, sans entacher les décisions contestées d'erreur de droit, se prévaloir du comportement menaçant de M. A... pour estimer qu'elles avaient refusé la réalisation d'un contrôle sur place et appliquer un taux de réduction de 100 % des aides soumises à la conditionnalité au titre de l'année 2018.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que les SCEA Eurocrop, de Guissabeau et des Grissois sont seulement fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande en ce qu'elle tendait à l'annulation des décisions du 3 mai 2019 de la préfète de la Vienne et à demander, dans cette mesure, la réformation de ce jugement ainsi que l'annulation de ces décisions.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au titre des frais exposés par chacune des SCEA Eurocrop, de Guissabeau et des Grissois et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Les décisions du 3 mai 2019 de la préfète de la Vienne sont annulées.

Article 2 : Le jugement n° 1901639, 1901640, 1901641 du tribunal administratif de Poitiers du 17 juillet 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.

Article 3 : L'Etat versera à chacune des SCEA Eurocrop, de Guissabeau et des Grissois une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête des SCEA Eurocrop, de Guissabeau et des Grissois est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié aux SCEA Eurocrop, désigné en qualité de représentant unique des requérants en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée à la préfète de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 6 décembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2022.

Le rapporteur,

Michaël C... La présidente,

Evelyne BalzamoLa greffière,

Caroline Brunier

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

No 20BX03133

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03133
Date de la décision : 16/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Michaël KAUFFMANN
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : SELARL JOUTEUX CARRE-GUILLOT PILON

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-12-16;20bx03133 ?
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