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16/12/2022 | FRANCE | N°20BX03088

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 16 décembre 2022, 20BX03088


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 104 337,15 euros, dont 66 869,15 euros en sa qualité d'ayant droit de son père décédé, M. A... C... et 37 468 euros à titre personnel, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'absence de dispositions prises par l'Etat afin d'éviter ou minorer les violences perpétrées à leur encontre en Algérie ainsi que du fait du manquement de l'Etat aux droits et libertés fondament

aux dans le traitement qui leur a été réservé à leur arrivée en France, dans l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 104 337,15 euros, dont 66 869,15 euros en sa qualité d'ayant droit de son père décédé, M. A... C... et 37 468 euros à titre personnel, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'absence de dispositions prises par l'Etat afin d'éviter ou minorer les violences perpétrées à leur encontre en Algérie ainsi que du fait du manquement de l'Etat aux droits et libertés fondamentaux dans le traitement qui leur a été réservé à leur arrivée en France, dans le camp de Bias, et jusqu'à aujourd'hui.

Par un jugement n° 1800018 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 septembre 2020, M. C..., représenté par Me Magrini, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 2 juillet 2020 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 104 337,15 euros, dont 66 869,15 euros en sa qualité d'ayant droit de son père décédé, M. A... C... et 37 468 euros à titre personnel en réparation des préjudices matériels et moraux subis

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête est recevable ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- c'est à tort que le tribunal s'est déclaré incompétent pour connaître des conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices liés à l'absence d'intervention de la France en Algérie pour protéger les harkis ;

- le jugement attaqué est entaché d'erreurs de fait s'agissant de sa filiation et de la réalité des préjudices subis par son père et lui-même ; l'abandon des harkis et les discriminations envers ces populations ont été officiellement reconnus et constituent une réalité historique désormais incontestable ;

- il résulte de la décision du Conseil d'Etat du 3 octobre 2018 n° 410611 qu'il est fondé à solliciter une indemnisation ;

- saisie par l'effet dévolutif, la cour se prononcera à nouveau sur ses conclusions présentées devant les premiers juges ; il maintient ses demandes telles que formulées dans ses dernières écritures devant le tribunal.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le jugement attaqué est suffisamment motivé ;

- la juridiction administrative est incompétente pour connaître des conclusions tendant à la réparation des préjudices en lien avec l'abandon des harkis par la France lors de l'indépendance de l'Algérie ;

- l'intervention de la loi n°2022-229 du 23 février 2022 rend irrecevable l'action indemnitaire de droit commun s'agissant des préjudices liés aux conditions de vie indignes dans les structures d'accueil mentionnées en annexe du décret du 18 mars 2022 ;

- la créance est prescrite aussi bien en application des dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 qu'en application de l'article 9 de la loi de finances du 29 janvier 1831 s'agissant des années 1962 à 1965 ;

- la fiche de renseignement du ministère des rapatriés produite pour la première fois en appel faisant état d'une arrivée au sein du camp de Saint Maurice l'Ardoise puis transfèrement au camp de Bias ne permet pas d'établir la durée de séjour totale au sein de ces camps :

- le requérant n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations permettant de justifier de la somme de 104 337,15 euros réclamée au titre de ses préjudices.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 ;

- le décret n° 98-81 du 11 février 1998 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... E...,

- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., né le 9 août 1953 en Algérie, déclare être le fils de M. A... C..., né le 21 octobre 1919 en Algérie, aujourd'hui décédé et qui serait arrivé en France en 1962 en qualité d'ancien membre des formations supplétives de l'armée française en Algérie. Par un courrier du 7 juillet 2017, il a adressé au Premier ministre une demande tendant à la réparation des préjudices subis par lui-même et par son père. Sa demande a été implicitement rejetée. M. C... relève appel du jugement du 2 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 104 337,15 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis, à titre personnel et en sa qualité d'ayant droit de M. A... C..., à raison des fautes commises par l'Etat français résultant de l'abandon des anciens supplétifs de l'armée française et de leurs familles, et des conditions d'accueil et de vie qui leur ont été réservées sur le territoire français

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Contrairement à ce que soutient le requérant, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble de ses arguments, ont répondu de manière suffisamment motivée, en exposant, aux points 2 et 3 du jugement, les motifs pour lesquels ils rejetaient ses conclusions indemnitaires relatives aux préjudices liés à l'absence de dispositions prises par la France, après les accords d'Evian, pour protéger en Algérie les harkis et leurs familles. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que ce jugement serait entaché d'irrégularité.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne les préjudices liés au défaut d'intervention de la France en Algérie pour protéger les anciens supplétifs de l'armée française et leurs familles :

3. A l'appui de sa demande de réparation, M. C... met en cause la responsabilité pour faute de l'Etat en soutenant que celle-ci était engagée par le fait de n'avoir pas fait obstacle aux représailles et aux massacres dont les supplétifs de l'armée française en Algérie et leurs familles ont été victimes sur le territoire algérien, après le cessez-le-feu du 18 mars 1962 et la proclamation de l'indépendance de l'Algérie, le 5 juillet 1962, en méconnaissance des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962, dites " accords d'Evian ". Cependant, les préjudices ainsi invoqués ne sont pas détachables de la conduite des relations entre la France et l'Algérie et ne sauraient engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la faute. Par suite, comme l'a jugé le tribunal, il n'appartient pas aux juridictions administratives de connaître des conséquences dommageables de ces décisions, choix ou compromis ayant conduit l'Etat français à ne pas intervenir pour mettre fin aux exactions et aux massacres des populations harkis sur le territoire algérien après la signature des accords d'Evian et de surcroît après l'accession à l'indépendance de l'Algérie le 3 juillet 1962.

En ce qui concerne la réparation des préjudices liés aux conditions d'accueil et de vie réservées sur le territoire français aux anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et à leurs familles :

4. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) ". Selon l'article 3 de cette même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés.

5. A l'appui de sa demande de réparation, M. C... met en cause la responsabilité pour faute de l'Etat du fait des conditions d'accueil et de vie qui ont été réservées sur le territoire français aux anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et à leurs familles. Il résulte de la fiche de renseignement établie le 16 mai 1964 par le ministère des rapatriés, produite pour la première fois en appel, que M. A... C..., père du requérant né le 21 octobre 1919, qui avait la qualité de harki, est arrivé au camp de Saint Maurice l'Ardoise le 5 décembre 1962 accompagné de son épouse et du requérant alors âgé de dix ans et que la famille a fait l'objet par la suite d'un transfert au camp de Bias le 18 janvier 1963, ainsi que cela est corroboré par l'extrait du carnet familial de rapatriés. Toutefois, M. C..., qui ne précise pas la durée de leur séjour au camp de Bias, et son père doivent être regardés comme étant, dès leur départ du camp de transit et d'hébergement, qui ne peut être postérieur à la date de fermeture des camps sur le territoire national en 1975, en mesure de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles un dommage aurait pu être imputable à l'Etat du fait des conditions indignes dans lesquels ils avaient vécu dans ces camps. En l'espèce, le fait générateur, à savoir la faute commise par l'Etat du fait des conditions indignes dans lesquels M. C... et son père ont vécu, a cessé au plus tard en 1975. Dans ces conditions, le ministre des armées est fondé à opposer la prescription quadriennale prévue par les dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, sans préjudice de l'application de la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.

En ce qui concerne les autres préjudices :

6. A supposer que M. C... ait entendu invoquer des préjudices distincts pour lesquels il demanderait à être indemnisé sur la base des aides prévues par les divers dispositifs législatifs pris en faveur des rapatriés d'Algérie depuis 1961, il ne verse aux débats aucun élément ou pièce utile permettant d'en établir la réalité ou l'étendue. Par suite, les conclusions du requérant tendant à la réparation de ces chefs de préjudices ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que M. C... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. C... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE

Article 1 : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 1er décembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, présidente,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2022.

La rapporteure,

Birsen E...La présidente,

Marianne HardyLa greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX03088


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03088
Date de la décision : 16/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Birsen SARAC-DELEIGNE
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : CABINET URBI et ORBI

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-12-16;20bx03088 ?
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