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13/12/2022 | FRANCE | N°20BX00312

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 13 décembre 2022, 20BX00312


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Nouvelle-Aquitaine a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner in solidum la société Gruet ingénierie, la société Apave Sud-Europe et la société Arcouet, à lui verser, d'une part, la somme de 514 000 euros, en réparation des désordres constatés sur les verrières et les stores des ateliers du lycée Cantau et, d'autre part, les sommes de 30 000 euros, en réparation des troubles de jouissance passés causés par ces désordres, et de 20 000 euros, en réparation des troubles de jo

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Nouvelle-Aquitaine a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner in solidum la société Gruet ingénierie, la société Apave Sud-Europe et la société Arcouet, à lui verser, d'une part, la somme de 514 000 euros, en réparation des désordres constatés sur les verrières et les stores des ateliers du lycée Cantau et, d'autre part, les sommes de 30 000 euros, en réparation des troubles de jouissance passés causés par ces désordres, et de 20 000 euros, en réparation des troubles de jouissance futurs, toutes assorties des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1502396 du 21 novembre 2019, le tribunal administratif de Pau :

1°) a condamné in solidum la société Gruet ingénierie, la société Apave Sud-Europe et la société Arcouet à verser à la région Nouvelle-Aquitaine la somme de 514 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices résultant des désordres constatés sur les stores installés en toiture du bâtiment C du lycée Cantau, a mis à la charge in solidum des mêmes sociétés les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 22 978,78 euros ainsi que diverses sommes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus de la demande de la région Nouvelle-Aquitaine ;

2°) a condamné la société Apave Sud-Europe et la société Arcouet à relever et garantir la société Gruet ingénierie respectivement à hauteur de 5 % et de 40 % des sommes mises à sa charge au titre de la réparation des désordres, des frais d'expertise et des frais d'instance ;

3°) a condamné la société Gruet ingénierie et la société Arcouet à relever et garantir la société Apave Sud-Europe respectivement à hauteur de 55 % et de 40 % des sommes mises à sa charge au titre de la réparation des désordres, des frais d'expertise et des frais d'instance ;

4°) a condamné la société Gruet ingénierie et la société Apave Sud-Europe à relever et garantir la société Arcouet respectivement à hauteur de 55 % et de 5 % des sommes mises à sa charge au titre de la réparation des désordres, des frais d'expertise et des frais d'instance ;

5°) a rejeté les appels en garantie formés par la société Gruet ingénierie, la société Apave Sud-Europe et la société Arcouet contre la société Franciaflex industries.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 21 janvier 2020 et le 27 octobre 2022, la société Apave Sud-Europe, représentée par Me Berthiaud, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du 21 novembre 2019 du tribunal administratif de Pau en ce qu'il l'a condamnée in solidum avec la société Gruet ingénierie et la société Arcouet au versement de la somme de 514 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, au titre de la réparation des désordres affectant les stores installés en toiture du bâtiment C du lycée Cantau et a mis à sa charge in solidum les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 22 978,78 euros ainsi que diverses sommes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de confirmer ce jugement en ce qu'il a rejeté le surplus de la demande de la région Nouvelle-Aquitaine ;

3°) de réformer ce jugement en ce qu'il l'a condamnée à relever et garantir la société Gruet ingénierie et la société Arcouet à hauteur de 5 % des sommes mises à leur charge au titre de la réparation des désordres, des frais d'expertise et des frais d'instance ;

4°) de réformer ce jugement en ce qu'il a rejeté les appels en garantie formés avec la société Gruet ingénierie et la société Arcouet contre la société Franciaflex industries ;

5°) de rejeter toutes les demandes de condamnation la concernant et de condamner in solidum la société Gruet ingéniérie, la société Arcouet et la société Franciaflex industries à la relever et la garantir intégralement des éventuelles condamnations prononcées contre elle ;

6°) de mettre à la charge de la région Nouvelle-Aquitaine une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas répondu à la fin de non-recevoir tirée de ce que le président du conseil régional n'établit pas avoir qualité pour représenter la région en justice ; une telle habilitation fait défaut dès lors que la commission permanente dont la délibération a été produite n'est pas compétente pour autoriser le président à agir en justice ; au vu des productions d'appel, le moyen d'irrecevabilité tenant à l'absence d'habilitation du président du conseil régional pour ester en justice est abandonné ;

- les désordres constatés ne relèvent pas de la garantie décennale : ils ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination, de simples désagréments pour les utilisateurs ne pouvant être regardés comme incompatibles avec la destination de l'ouvrage qui a continué à être utilisé sans jamais que les cours soient annulés ;

- les désordres ne lui sont pas imputables, le code de la construction et de l'habitation lui donne seulement pour mission de contribuer à la prévention des différents aléas techniques et l'aléa dont elle avait la charge au titre de la mission Th " relative à l'isolation thermique et aux économies d'énergie ", à laquelle les désordres ont été rattachés, portait uniquement sur le respect des prescriptions règlementaires et non sur le confort thermique ; elle n'a pas été défaillante dans l'exécution de sa mission Th ; si les désordres devaient être considérés comme lui étant imputables au titre de sa mission F, elle entend faire valoir que le marché n'a pas inclus les stores dans le périmètre de cette mission ;

- la société Franciaflex, qui a à tort été regardée comme un simple fournisseur alors qu'elle a réalisé un prototype, devait être appelée en garantie ; ayant contribué à la réalisation des dommages du fait d'un défaut de conseil, elle doit la garantir et la relever des condamnations prononcées à son encontre ;

- aucune faute ne peut lui être reprochée à l'égard des autres intervenants à l'acte de construire ;

- en cas de condamnation prononcée à son encontre, elle est fondée à solliciter la condamnation in solidum des sociétés Gruet ingéniérie, Arcouet et Franciaflex industrie à la relever et garantir intégralement desdites condamnations.

Par un mémoire enregistré le 5 mai 2020, la société Franciaflex industries, représentée par Me de Tassigny, conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il rejette l'appel en garantie formé contre elle et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Apave Sud-Europe sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- l'appel en garantie formé à son encontre par la société Apave Sud-Europe n'est pas recevable dès lors qu'elle ne démontre pas qu'elle a commis une faute, seule possibilité d'engager la responsabilité d'un fabricant ;

- les stores installés sont commercialisés en série et n'ont pas été conçus pour répondre à des exigences précises et déterminées à l'avance ;

- les attaches posées par l'entreprise Arcouet qui a installé les stores n'étaient pas les éléments de fixation recommandés ;

- elle n'a pas apprécié la forme de la structure ni participé à la validation du prototype ;

- aucun défaut de conseil la concernant ne peut être invoqué et n'est d'ailleurs établi.

Par des mémoires enregistrés le 7 janvier 2021 et le 21 novembre 2022, la région Nouvelle-Aquitaine, représentée par Me Cazcarra, conclut à la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il a condamné in solidum la société Gruet ingénierie, la société Apave Sud-Europe et la société Arcouet à lui verser la somme de 514 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, au titre de la réparation des désordres affectant les stores installés en toiture du bâtiment C du lycée Cantau et a mis à leur charge in solidum les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 22 978,78 euros ainsi que diverses sommes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au rejet de la requête de la société Apave Sud-Europe en tant qu'elle sollicite la réformation de ce jugement et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Apave Sud-Europe sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête était recevable en première instance, le président du conseil régional ayant été autorisé à agir en justice par la commission permanente du conseil régional ;

- aucun des moyens invoqués par la société Apave Sud-Europe n'est fondé.

Par un mémoire, enregistré le 17 octobre 2022, la société Gruet ingéniérie, représentée par Me Fougeras, conclut, à titre principal, à l'annulation du jugement attaqué et, à titre subsidiaire, à la condamnation in solidum de la société Arcouet, de la société Apave Sud-Europe et de la société Franciaflex à la garantir et la relever de toute condamnation prononcée à son encontre ainsi qu'à la mise à la charge de la région Nouvelle-Aquitaine ou de tout autre succombant d'une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les désordres constatés ne relèvent pas de la responsabilité décennale dès lors qu'ils ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination et ne sont pas imputables aux constructeurs puisqu'ils existaient avant les travaux ;

- l'inconfort thermique préexistant n'a pas été aggravé par les travaux de réfection qui sont imputables à la conception initiale du bâtiment et ne sont pas la cause des désordres ;

- l'établissement est toujours exploité et les cours y sont toujours dispensés en dépit de l'inconfort thermique ;

- sa responsabilité n'est pas engagée : elle n'avait aucune mission d'exécution et avait seulement pour mission de définir la meilleure solution possible pour maintenir une ambiance thermique ;

- la responsabilité de la société Franciaflex doit être retenue pour défaut de conseil, celle de la société Arcouet doit l'être pour les travaux réalisés et celle de la société Apave Sud-Europe, chargée d'une mission L + LE + TH + F, est engagée dès lors que les stores entraient dans le champ de sa mission de contrôleur.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... A...,

- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique,

- et les observations de Me Safar représentant la Région Nouvelle-Aquitaine, de Me Fougeras représentant la société Gruet Ingéniérie et de Me Cachelou représentant la société Franciaflex Industries.

Considérant ce qui suit :

1. En vue de la réalisation du programme prévisionnel n° 3 dit de " sécurité dans les locaux scolaires " dont la première tranche, d'un montant de 250 000 euros, a été approuvée par une délibération du 16 février 2004 et la seconde, d'un montant de 390 000 euros, a été validée par une délibération du 20 juin 2005, le conseil régional d'Aquitaine a décidé d'engager une opération de traitement thermique des ateliers du lycée Cantau à Anglet. Dans le cadre de cette opération comprenant la dépose des verrières existantes de sept ateliers et leur remplacement par de nouvelles verrières ainsi que la pose de stores extérieurs, la maîtrise d'ouvrage a été déléguée à la société d'économie mixte d'équipement (SEPA) des Pyrénées-Atlantiques, la maîtrise d'œuvre a été confiée le 2 novembre 2004 à la société Gruet ingéniérie et la mission de contrôle technique a été attribuée le 14 juin 2005 à la société Apave Sud-Europe. Par un marché à lot unique conclu le 11 mai 2006, la société Arcouet a été retenue pour réaliser les travaux de dépose des verrières et leur remplacement ainsi que la pose des stores extérieurs. Ces derniers ont été fournis par la société Franciaflex industries. La réception des travaux a été en définitive prononcée sans réserve le 3 mars 2008 avec effet au 27 octobre 2006.

2. En 2009, il est apparu que les usagers des ateliers subissaient des phénomènes d'inconfort thermique dont la gravité a conduit la région Aquitaine à saisir le président du tribunal administratif de Pau d'une demande tendant à la désignation d'un expert, en vue notamment de décrire les désordres constatés, d'en identifier les causes et les origines et de déterminer les travaux nécessaires pour y remédier. A la suite du dépôt du rapport d'expertise, le 18 août 2014, la région Nouvelle-Aquitaine a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner in solidum, sur le fondement de la garantie décennale, la société Gruet ingénierie, la société Apave Sud-Europe et la société Arcouet, à lui verser, d'une part, la somme de 514 000 euros, en réparation des désordres constatés sur les verrières et les stores des ateliers du lycée Cantau et, d'autre part, les sommes de 30 000 euros, en réparation des troubles de jouissance passés causés par ces désordres et de 20 000 euros en réparation des troubles de jouissance futurs.

3. Par un jugement du 21 novembre 2019, le tribunal administratif de Pau a condamné in solidum la société Gruet ingénierie, la société Apave Sud-Europe et la société Arcouet à verser à la région Nouvelle-Aquitaine la somme de 514 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, au titre de la réparation des désordres constatés sur les stores installés en toiture du bâtiment C du lycée Cantau. Il a par ailleurs jugé que la société Gruet ingénierie serait garantie par la société Apave Sud-Europe à hauteur de 5 % des condamnations prononcées contre elle et par la société Arcouet à hauteur de 40 %, tandis que la société Apave Sud-Europe serait garantie à hauteur de 55 % des condamnations prononcées contre elle par la société Gruet ingénierie et à hauteur de 40 % par la société Arcouet et, enfin, que la société Arcouet serait garantie à hauteur de 55 % des condamnations prononcées contre elle par la société Gruet ingénierie et à hauteur de 5 % par la société Apave Sud-Europe.

4. La société Apave Sud-Europe relève appel de ce jugement qu'elle demande à la cour de réformer en ce qu'il l'a condamnée in solidum avec la société Gruet ingénierie et la société Arcouet au paiement de la somme de 514 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, au titre de la réparation des désordres affectant les stores installés en toiture du bâtiment C du lycée Cantau et a mis à sa charge les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 22 978,78 euros, en ce qu'il l'a condamnée à relever et garantir la société Gruet ingénierie et la société Arcouet à hauteur de 5 % des sommes mises à leur charge au titre de la réparation des désordres, des frais d'expertise et des frais d'instance, en ce qu'il a rejeté les appels en garantie formés avec la société Gruet ingénierie, et la société Arcouet contre la société Franciaflex industries, qu'elle réitère, et en ce qu'il a mis diverses sommes à sa charge au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La société Gruet ingéniérie sollicite la condamnation in solidum de la société Arcouet, de la société Apave Sud-Europe et de la société Franciaflex à la garantir et la relever de toute condamnation prononcée à son encontre.

Sur la régularité du jugement attaqué :

5. Il résulte de l'examen du jugement attaqué que le tribunal administratif de Pau a omis de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée dans son mémoire en défense par la société Apave Sud-Europe et tirée de ce que le président du conseil régional n'avait pas qualité pour représenter la région Nouvelle-Aquitaine en justice. Ainsi, le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motifs et doit être annulé.

6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la région Nouvelle-Aquitaine devant le tribunal administratif de Pau.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

7. S'il était soutenu devant le tribunal que la région Nouvelle-Aquitaine ne justifiait pas d'une habilitation régulière de son président pour ester en justice, ce moyen invoqué en défense a été abandonné devant la cour. Au demeurant, l'article L. 4221-1 du code général des collectivités territoriales prévoit que le conseil régional règle par ses délibérations les affaires de la région dans les domaines de compétence que la loi lui attribue. En vertu de l'article L. 4221-5 du même code, il peut déléguer une partie de ses attributions à sa commission permanente, à l'exception de celles relatives au vote du budget, à l'approbation du compte administratif et aux mesures relatives aux dépenses obligatoires. Il ressort des pièces du dossier que le conseil régional avait fait usage de cette faculté, en déléguant à la commission permanente, par une délibération en date du 27 juin 2011, le pouvoir d'" autoriser le Président du Conseil régional à intenter les actions en justice au nom de la Région ". La commission permanente était donc compétente pour autoriser, ainsi qu'elle l'a fait, le président de la région Nouvelle-Aquitaine à saisir le tribunal administratif de Pau.

Sur la responsabilité décennale des constructeurs :

8. Il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables. La responsabilité décennale des constructeurs ne peut néanmoins être engagée si les désordres étaient apparents lors de la réception.

9. Il incombe au juge administratif, lorsqu'est recherchée devant lui la garantie décennale des constructeurs, d'apprécier, au vu de l'argumentation que lui soumettent les parties sur ce point, si les conditions d'engagement de cette responsabilité sont ou non réunies et d'en tirer les conséquences, le cas échéant d'office, pour l'ensemble des constructeurs.

En ce qui concerne le caractère décennal des désordres :

10. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les travaux entrepris pour assurer le traitement thermique des ateliers du lycée Cantau ont consisté à reprendre une partie de la charpente métallique pour la mise en place de verrières recouvertes par des stores extérieurs à enrouleur par commande électrique. Si le procès-verbal des opérations préalables à la réception du 27 octobre 2006 était assorti de réserves relatives au fonctionnement d'une partie des stores électriques, il résulte de l'instruction qu'à la suite des réparations effectuées pour remédier aux dysfonctionnements constatés, les réserves ont été levées et la réception des travaux a été prononcée sans réserve le 3 mars 2008 avec effet rétroactif au 27 octobre 2006. Dès lors, les désordres ne présentaient pas, lors de la réception, un caractère apparent excluant la responsabilité décennale des constructeurs.

11. En second lieu, il résulte de l'instruction qu'il est apparu que les stores installés présentaient des dysfonctionnements caractérisés par des tentatives infructueuses d'actionnement des commutateurs de mise en route ayant affecté le système radio-émetteur, nui aux anémomètres et finalement endommagé les moteurs électriques. Ces dysfonctionnements généralisés ont empêché la protection des verrières exposées au soleil que les stores étaient destinés à recouvrir pour assurer le traitement thermique des ateliers, lesquels ont en conséquence été soumis à une chaleur excessive conduisant notamment les élèves réalisant des travaux de menuiserie et de ferronnerie à retirer leurs équipements de sécurité. Dans ces conditions, alors même que la température élevée ressentie dans les ateliers n'a pas fait l'objet de relevés précis et quand bien même elle n'en aurait jamais empêché l'utilisation par les élèves du lycée Cantau dont les cours n'ont pas été interrompus, ces désordres sont de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination. Ils sont, par suite, susceptibles d'engager, au titre de la garantie décennale, la responsabilité des constructeurs auxquels ils sont imputables.

En ce qui concerne l'origine et l'imputabilité des désordres :

12. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les désordres sont notamment liés au défaut d'adaptation des dispositifs de fixation des stores à la forme de la charpente métallique, dont la double pente des fermes et de la panne centrale constituait une contrainte qui n'a pas été anticipée par la maîtrise d'oeuvre au stade de la conception générale des travaux. La société Gruet ingénierie ayant seule été chargée de la mission de concevoir les études de projet et l'avant-projet tant sommaire que définitif puis d'examiner, dans le cadre de la mission visa, la conformité des plans d'exécution au projet, ce défaut de conception lui est imputable.

13. Il résulte également de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la société Apave Sud-Europe ne s'est notamment pas interrogée sur la tenue des stores par rapport aux éléments existants. Or, cette société était chargée d'une mission de contrôle technique étendue au fonctionnement des installations en vertu de l'article 3.1.2 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) et à l'isolation thermique en vertu de l'article 5.2 du même cahier. S'il est vrai que, selon l'article 4.1.2.1 de ce cahier, son premier avis d'ordre technique était donné sur les problèmes susceptibles d'être rencontrés " au titre de la solidité " des existants, sa mission s'étendait à un examen visuel de la construction et à la rédaction d'un rapport préliminaire proposant un programme d'investigations et d'éventuels reconnaissances, essais et analyses. Il en résulte que cette partie de la mission s'étendait à la vérification, au vu du contrôle visuel de l'immeuble, de l'adéquation des équipements prévus par la société Gruet ingénierie aux contraintes générées par la forme générale de la toiture et par les caractéristiques de la charpente métallique au regard de l'objectif d'isolation thermique qui avait été rajouté à la mission de base. La société Apave Sud-Europe ayant été défaillante dans l'exécution de cette mission, les désordres constatés lui sont également imputables.

14. Il résulte enfin de l'instruction que, chargée de la pose des stores, la société Arcouet a installé un système d'équerres qui diffère de celui qui avait été conseillé par la société Franciaflex industries, auprès de laquelle elle avait acquis les stores, et que les modes de fixation ne correspondaient pas à la notice technique de pose que cette société avait fournie. La mise en place de fixations non conformes à celles préconisées a aggravé les tensions et torsions des stores posés. Ainsi, les désordres constatés sont également imputables à la société Arcouet.

15. Il résulte de tout ce qui précède, et alors même qu'une situation d'inconfort thermique préexistait aux travaux, lesquels avaient précisément pour objet d'y remédier, que la région Nouvelle-Aquitaine est fondée à rechercher la responsabilité décennale de la société Gruet ingénierie, de la société Apave Sud-Europe et de la société Arcouet. Chacune de ces trois entreprises ayant à son niveau contribué aux désordres, la région est également fondée à demander que ces dernières soient condamnées à l'indemniser in solidum.

Sur les préjudices indemnisables :

En ce qui concerne la réparation des désordres proprement dits :

16. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le devis de la société miroiterie du pays basque a été établi pour des travaux qui ne sont pas adaptés à une charpente métallique alors que, précisément, l'enjeu de la réparation des désordres réside dans l'adaptation à une telle charpente notamment affectée d'une double pente des fermes et de la panne. Les sociétés défenderesses ne sont donc pas fondées à demander que ce devis soit retenu.

17. La réparation des désordres consiste à déposer les stores installés, à les évacuer, à les remplacer par des stores adaptés et à installer des anémomètres et des moteurs électriques adaptés. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le coût total des travaux, maîtrise d'œuvre comprise, s'établit à la somme 514 000 euros TTC. La circonstance que ce coût excède celui du marché est sans incidence dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la région Nouvelle-Aquitaine bénéficierait ainsi d'équipements ne correspondant pas à sa commande initiale.

En ce qui concerne les troubles de jouissance :

18. Si les élèves et enseignants du lycée Cantau ayant fréquenté les ateliers aux heures de fortes chaleurs ont été gênés par le traitement thermique défaillant des locaux, il ne résulte pas de l'instruction que les désordres ayant affecté les stores installés en toiture du bâtiment C ont été à l'origine de troubles de jouissance pour la région Nouvelle-Aquitaine dès lors que l'établissement scolaire est demeuré ouvert dans des conditions inchangées et que le niveau de sa fréquentation ne s'en est pas trouvé affecté. L'existence alléguée de troubles de jouissance futurs n'est par ailleurs pas établie.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la région Nouvelle-Aquitaine est fondée à demander que la société Gruet ingénierie, la société Apave Sud-Europe et la société Arcouet soient condamnées in solidum à lui verser la somme de 514 000 euros au titre de la réparation des désordres affectant les stores installés en toiture du bâtiment C du lycée Cantau. Cette somme devra être assortie des intérêts calculés au taux légal à compter du 17 novembre 2015, ces intérêts devant être capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts au 17 novembre 2016 et à chacune des échéances annuelles à compter de cette date.

Sur les appels en garantie :

En ce qui concerne les appels en garantie formés contre la société Franciaflex industries :

20. Aux termes du premier alinéa de l'article 1792-4 du code civil : " Le fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d'ouvrage qui a mis en œuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou élément d'équipement considéré (...) ". Conformément aux principes régissant la responsabilité décennale des constructeurs, la personne publique maître de l'ouvrage peut rechercher devant le juge administratif la responsabilité des constructeurs pendant le délai d'épreuve de dix ans, ainsi que, sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil précité, la responsabilité solidaire du fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance.

21. Il ne résulte pas de l'instruction que les caractéristiques des stores fournis par la société Franciaflex industries, commercialisés en série par cette entreprise, présentaient une spécificité telle qu'ils devraient être regardés comme des éléments d'équipement conçus et produits pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance. Si la société a fabriqué et livré un prototype adaptant son produit à l'ouvrage deux mois avant qu'il ne soit posé, il ne résulte pas de l'instruction que la conception du produit standard s'en serait trouvé modifié. Dans ces conditions, la société Franciaflex industries ne saurait être considérée comme un fabricant d'un élément d'équipement dont l'utilisation serait susceptible d'entraîner sa responsabilité solidaire, laquelle ne peut, par suite, être recherchée devant le juge administratif sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil.

22. Il suit de là que les appels en garanties formés par la société Gruet ingéniérie et par la société Apave Sud-Europe contre la société Franciaflex industries doivent être rejetées comme portés devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

En ce qui concerne les appels en garantie formés par la société Gruet ingénierie, par la société Apave Sud-Europe et par la société Arcouet les unes contre les autres :

23. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les désordres qui affectent les stores installés en toiture du bâtiment C du lycée Cantau ont pour origine principale un défaut de conception caractérisé par une absence de prise en compte par la société Gruet ingéniérie, maître d'œuvre, des contraintes de la forme et de la nature de la charpente métallique dont il lui appartenait d'anticiper les conséquences dans le cadre de ses missions de conception rappelées au point 12. Les désordres ont également pour origine des fautes commises par la société Apave Sud-Europe qui n'a pas remédié à ce défaut de conception dans le cadre de sa mission de contrôle technique, exposée au point 13, ainsi que par la société Arcouet à laquelle les défauts de parallélisme et de nivellement n'auraient pas dû échapper dans le cadre des études d'exécution et d'installation des stores dont elle était chargée. S'il résulte de l'instruction, s'agissant des études d'exécution, qu'elles n'ont pas été sérieusement contrôlées par la société Gruet ingéniérie qui a également failli dans cette mission, il en résulte, pour ce qui est de l'installation, que la société Arcouet a mis en place un système d'équerres qui diffère de celui qui avait été conseillé par la société Franciaflex industries auprès de laquelle elle avait acquis les stores, ce qui a aggravé les tensions et torsions des stores posés.

24. Il suit de là que la société Gruet ingénierie est fondée à demander à être garantie par la société Apave Sud-Europe à hauteur de 5 % des condamnations prononcées contre elle et par la société Arcouet à hauteur de 40 %, cependant que la société Apave Sud-Europe est fondée à demander à être garantie à hauteur de 55 % des condamnations prononcées contre elle par la société Gruet ingénierie et à hauteur de 40 % par la société Arcouet et, enfin, que la société Arcouet est fondée à demander à être garantie à hauteur de 55 % des condamnations prononcées contre elle par la société Gruet ingénierie et à hauteur de 5 % par la société Apave Sud-Europe.

Sur les frais d'expertise :

25. Il y a lieu, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de mettre les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 22 978,78 euros, à la charge in solidum de la société Gruet ingénierie, de la société Apave Sud-Europe et de la société Arcouet, et de faire application de la répartition définie au point précédent.

Sur les frais liés au litige :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la région Nouvelle-Aquitaine, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par la société Gruet ingénierie, par la société Apave Sud-Europe et par la société Arcouet et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge in solidum de la société Gruet ingénierie, de la société Apave Sud-Europe et de la société Arcouet une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la région Nouvelle-Aquitaine et non compris dans les dépens et une somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais exposés par la société Franciaflex industrie, et de faire application de la répartition définie au point 24.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Pau n° 1502396 du 21 novembre 2019 est annulé.

Article 2 : La société Gruet ingénierie, la société Apave Sud-Europe et la société Arcouet sont condamnées in solidum à verser à la région Nouvelle-Aquitaine la somme de 514 000 euros, assortie des intérêts calculés au taux légal à compter du 17 novembre 2015, et capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts au 17 novembre 2016 et à chacune des échéances annuelles à compter de cette date, au titre de la réparation des désordres constatés sur les stores installés en toiture du bâtiment C du lycée Cantau.

Article 3 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 22 978,78 euros sont mis à la charge in solidum de la société Gruet ingénierie, de la société Apave Sud-Europe et de la société Arcouet.

Article 4 : La société Gruet ingénierie, la société Apave Sud-Europe et la société Arcouet verseront in solidum à la région Nouvelle-Aquitaine la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La société Gruet ingénierie, la société Apave Sud-Europe et la société Arcouet verseront in solidum à la société Franciaflex industrie la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La société Gruet ingénierie et la société Arcouet garantiront la société Apave Sud-Europe respectivement à hauteur de 55 % et de 40 % des sommes mises à sa charge par les articles 2, 3, 4 et 5 du présent arrêt.

Article 7 : La société Gruet ingénierie et la société Apave Sud-Europe garantiront la société Arcouet respectivement à hauteur de 55 % et de 5 % des sommes mises à sa charge par les articles 2, 3, 4 et 5 du présent arrêt.

Article 8 : Les appels en garantie formés par la société Gruet ingénierie et par la société Apave Sud-Europe contre la société Franciaflex industries sont rejetées comme portés devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 9 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 10 : Le présent arrêt sera notifié à la région Nouvelle-Aquitaine, à la société Gruet ingénierie, à la société Apave Sud-Europe, à la société Arcouet et à la société Franciaflex industries.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Florence Demurger, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 décembre 2022.

La rapporteure,

Karine A...

La présidente,

Florence Demurger

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Atlantiques en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20BX00312


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00312
Date de la décision : 13/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : SELARL BERTHIAUD et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-12-13;20bx00312 ?
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