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08/12/2022 | FRANCE | N°20BX03701

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 08 décembre 2022, 20BX03701


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux à lui verser une indemnité de 52 419 euros en réparation des préjudices subis du fait des interventions chirurgicales réalisées les 10

et 16 janvier 2013 dans cet établissement.

Par un jugement n° 1903255 du 20 octobre 2020, le tribunal a condamné le CHU de Bordeaux à lui verser une indemnité de 14 982,99 euros et a rejeté le surplus de sa demande.

Proc

dure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 novembre 2020, Mme C..., représentée...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux à lui verser une indemnité de 52 419 euros en réparation des préjudices subis du fait des interventions chirurgicales réalisées les 10

et 16 janvier 2013 dans cet établissement.

Par un jugement n° 1903255 du 20 octobre 2020, le tribunal a condamné le CHU de Bordeaux à lui verser une indemnité de 14 982,99 euros et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 novembre 2020, Mme C..., représentée par

la SCP Denizeau, Gaborit, Takhedmit et Associés, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande ;

2°) de condamner le CHU de Bordeaux à lui verser une indemnité de 49 541,39 euros ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Bordeaux une somme de 3 000 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'absence fautive de biopsie de la lésion de la pointe nasale prélevée le 10 janvier 2013 a conduit à la réalisation le 16 janvier suivant d'une exérèse et d'une greffe de peau qui n'étaient pas justifiées et sont à l'origine de ses préjudices ;

- le barème de l'ONIAM doit être écarté car son utilisation entraîne une rupture d'égalité entre les victimes de fautes médicales selon que le litige relève du juge administratif ou du juge judiciaire ;

- c'est à tort que les premiers juges n'ont pas admis les frais de cure thermale

de 1 711,10 euros, alors que la cure a permis la régularisation de la cicatrice ; les frais de séjour de 86,57 euros après l'intervention du 10 janvier 2013, les 16 euros restés à sa charge sur les frais médicaux et les frais d'ostéopathe de 96 euros doivent également être admis ;

- les frais divers doivent être portés à 413,37 euros en incluant 65,80 euros de frais d'hôtel que le tribunal n'a pas admis ;

- elle sollicite la confirmation du jugement en ce qui concerne les pertes de gains professionnels de 3 290,85 euros ;

- les séquelles psychiques qu'elle a conservées sont à l'origine d'une phobie sociale qui lui cause des difficultés pour trouver un emploi ; elle subit une dévalorisation sur le marché du travail ainsi qu'une fatigabilité accrue, et n'a pas retrouvé d'activité professionnelle pérenne ; elle sollicite 5 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

- l'indemnisation, sous-évaluée par le tribunal, doit être portée à 927,50 euros pour le déficit fonctionnel temporaire, à 10 000 euros pour les souffrances endurées, à 10 000 euros pour le préjudice esthétique temporaire et à 6 000 euros pour le préjudice esthétique permanent ;

- les douleurs pré-auriculaires gauches constatées par l'expert sont en lien avec l'acte chirurgical fautif et entraînent un déficit fonctionnel permanent qui doit être évalué à au

moins 5%, au titre duquel elle sollicite une indemnisation à hauteur de 7 000 euros ;

- la nécessité d'abandonner les activités de bénévolat associatif du fait de son aspect physique en lien avec l'intervention fautive constitue un préjudice d'agrément dont elle est fondée à demander l'indemnisation à hauteur de 5 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 8 décembre 2020, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Charente-Maritime, agissant pour le compte de la CPAM de la Charente, indique qu'elle n'entend pas intervenir.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 septembre 2021, le CHU de Bordeaux, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- les sommes allouées par le tribunal sont suffisantes ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les demandes relatives à l'incidence professionnelle, au déficit fonctionnel permanent et au préjudice d'agrément.

Par un mémoire enregistré le 20 septembre 2021, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, conclut à sa mise hors de cause.

Il fait valoir que l'entière responsabilité pour faute du CHU de Bordeaux est engagée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., qui avait déjà subi plusieurs interventions d'exérèse de carcinomes basocellulaires, a été adressée fin juin 2012 au CHU de Bordeaux par sa dermatologue pour un carcinome basocellulaire de l'aile narinaire gauche dont l'exérèse biopsie apparaissait incomplète. Lors d'une consultation du 18 septembre 2012, le médecin de cet établissement

a confirmé ce diagnostic et identifié en outre une lésion de la pointe nasale mesurant environ

15 mm de diamètre. Une intervention sur le premier carcinome a été réalisée le 4 janvier 2013, avec une exérèse et un recouvrement par un lambeau d'autoplastie. L'exérèse de la seconde lésion, cliniquement évocatrice d'un carcinome basocellulaire sclérodermiforme, a été effectuée le 10 janvier 2013, mais l'histologie de la pièce d'exérèse n'a mis en évidence aucun processus carcinomateux. La pointe nasale a été reconstruite par une greffe de peau totale prise en région pré-auriculaire gauche le 16 janvier suivant.

2. Mme C..., qui se plaignait notamment de mauvais résultats esthétiques

et de douleurs persistantes sur le site de prise de greffe, a saisi la commission de conciliation

et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de la région Aquitaine, laquelle, après avoir organisé deux expertises confiées à un psychiatre et un dermatologue, a émis le 16 mars 2016 un avis selon lequel il appartenait à l'assureur du CHU de Bordeaux d'adresser à l'intéressée une offre d'indemnisation des préjudices en lien avec les interventions des 10 et 16 janvier 2013. Mme C... n'a pas accepté l'offre de la SHAM et a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux d'une demande de condamnation du CHU à lui verser une provision, à laquelle il a été fait droit à hauteur de 12 463,67 euros par une ordonnance du 7 juillet 2017 qui a également condamné l'hôpital à verser la somme de 5 864,93 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde. Après avoir présenté au CHU de Bordeaux une réclamation préalable reçue le 21 mars 2019 et restée sans réponse, Mme C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de le condamner à lui verser une indemnité de 52 419 euros. Elle relève appel du jugement

du 20 octobre 2020 par lequel le tribunal a seulement condamné le CHU de Bordeaux à lui verser la somme de 14 982,99 euros, sous déduction des sommes versées à titre de provision, et demande à la cour de porter son indemnisation à 49 541,39 euros.

Sur la responsabilité :

3. Le tribunal a retenu la responsabilité pour faute du CHU de Bordeaux à raison de l'absence de biopsie préalablement à l'exérèse de la lésion de la pointe du nez, ce qui a eu pour conséquence la réalisation d'une intervention inutile le 10 janvier 2013, puis d'une reconstruction le 16 janvier 2013. Cette faute n'est pas contestée. Par suite, l'ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause.

Sur les préjudices :

4. Le tribunal a fait droit à la demande de 102,57 euros relative aux reliquats

de dépenses de santé et aux franchises restées à la charge de Mme C.... Le surplus

de la demande se rapporte à deux séances d'ostéopathie les 18 et 25 juin 2015 dont le lien

avec les conséquences de la faute n'est pas davantage démontré en appel qu'en première instance, ainsi qu'à des frais de cure thermale à La Roche-Posay en juin 2013 et juin 2014.

Mme C... produit un certificat de sa dermatologue selon lequel la cure thermale de 2015

a permis " la régularisation de la cicatrice ", sans toutefois préciser de quelle cicatrice il s'agit.

Il résulte de l'instruction que l'intervention du 4 janvier 2013 sur le carcinome basocellulaire

de l'aile narinaire gauche, dont l'expert dermatologue qui a examiné Mme C...

le 12 janvier 2016 a indiqué qu'elle n'était pas critiquable et avait laissé une cicatrice " finalement d'assez belle qualité ", a nécessité une réparation par lambeau se finissant par une queue dans le sillon nasogénien. Les photographies postopératoires produites par Mme C... mettent en évidence l'importance initiale de cette cicatrice, sur laquelle s'était formée une bride de 8 mm entre le nez et le sillon nasogénien, et à laquelle le certificat de la dermatologue pourrait faire référence. En l'absence de preuve d'un lien avec l'intervention sur la pointe du nez qui engage la responsabilité du CHU de Bordeaux, les cures thermales ne peuvent donc être admises.

5. Le tribunal a fait droit à la demande d'un montant total de 347,57 euros relative aux frais de transport exposés par Mme C... pour se rendre de son domicile d'Angoulême aux réunions d'expertise qui ont eu lieu à Agen le 9 janvier 2015 et à Paris le 12 janvier 2016. Il y a lieu d'admettre également 65,80 euros de frais d'hôtel pour la nuit du 9 au 10 janvier 2015,

soit un total de frais divers de 413,37 euros.

6. La somme de 3 290,85 euros allouée par le tribunal au titre des pertes de gains professionnels n'est pas contestée.

7. Il résulte de l'instruction que la cicatrice ronde déformant la pointe de la pyramide nasale, sur laquelle s'est formée un bourrelet disgracieux sur 8 mm de long et 3 mm de haut, donne à Mme C... une image négative d'elle-même, ce qui affecte ses relations sociales et a nécessairement une incidence sur sa capacité de réinsertion professionnelle, alors qu'elle se trouvait sans emploi depuis la fin de l'année 2012. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 3 000 euros.

8. Il résulte de l'instruction que Mme C... a présenté un déficit fonctionnel

de 10 % du 10 janvier 2013 au 15 janvier 2014, date de consolidation de son état de santé,

soit durant 371 jours. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en le fixant à 742 euros sur la base de 600 euros par mois de déficit total.

9. Les souffrances endurées ont été évaluées à 3,5 sur 7 jusqu'au 30 avril 2013, date de cicatrisation complète de la greffe de peau, puis à 2,5 sur 7 jusqu'au 15 janvier 2014, date de consolidation, compte tenu de la persistance de douleurs en lien avec un névrome pré-auriculaire gauche sur le site de prélèvement de la greffe, et alors que Mme C... avait présenté un syndrome dépressif réactionnel. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évaluer ce préjudice à 5 000 euros au total.

10. L'expert dermatologue a retenu un préjudice esthétique temporaire de 4 sur 7

du 10 janvier au 30 avril 2013, puis de 2 sur 7 du 1er mai 2013 à la consolidation, dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à 4 000 euros au total.

11. Si Mme C... sollicite l'indemnisation d'un déficit fonctionnel permanent

en invoquant les douleurs pré-auriculaires gauches, il ne résulte pas de l'instruction que

ces douleurs auraient perduré au-delà de la consolidation de son état de santé.

12. Il y a lieu d'évaluer à 2 500 euros le préjudice esthétique permanent de 2,5 sur 7 correspondant à la cicatrice sur la pointe du nez.

13. Les activités associatives justifiées par Mme C... se rapportent aux années 2006 à 2010. En l'absence de preuve de leur poursuite à la date de l'intervention fautive

du 10 janvier 2013, la demande relative au préjudice d'agrément ne peut qu'être rejetée.

14. Il résulte de ce qui précède que la somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser à Mme C... doit être portée de 14 982,99 euros à 19 048,79 euros, sous déduction des sommes versées à titre de provision.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

15. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CHU de Bordeaux une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ONIAM est mis hors de cause.

Article 2 : La somme que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser à Mme C...

est portée de 14 982,99 euros à 19 048,79 euros, sous déduction des sommes versées à titre

de provision.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1903255 du 20 octobre 2020

est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le CHU de Bordeaux versera à Mme C... une somme de 1 500 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime et à la Poste.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2022.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLe greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20BX03701


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03701
Date de la décision : 08/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SELARL BIROT - RAVAUT ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-12-08;20bx03701 ?
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