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08/12/2022 | FRANCE | N°20BX02455

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 08 décembre 2022, 20BX02455


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une indemnité évaluée en dernier

lieu à 473 320,53 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices subis à la suite de vaccinations obligatoires pratiquées les 30 août et 2 septembre 2011.

Par un jugement avant dire droit n° 1700044 du 27 novembre 2018

, le tribunal administratif de Poitiers a reconnu que les dommages subis par Mme A... relev...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une indemnité évaluée en dernier

lieu à 473 320,53 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices subis à la suite de vaccinations obligatoires pratiquées les 30 août et 2 septembre 2011.

Par un jugement avant dire droit n° 1700044 du 27 novembre 2018, le tribunal administratif de Poitiers a reconnu que les dommages subis par Mme A... relevaient d'une indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale et ordonné une expertise en vue d'évaluer le montant des préjudices.

Par un jugement n° 1700044 du 2 juin 2020, le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'ONIAM à verser à Mme A... une somme de 126 288,60 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2017 avec capitalisation annuelle à compter

du 4 janvier 2018, et a mis à la charge de l'Office le montant des frais d'expertise

de 6 536,03 euros.

Procédure devant la cour :

I- Par une requête, enregistrée le 31 juillet 2020 sous le n° 20BX02455, l'ONIAM représenté par la SELARL Birot-Ravaut et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement avant dire droit du tribunal administratif de Poitiers

du 27 novembre 2018 ;

2°) de rejeter la demande de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... les dépens, incluant les frais d'expertise.

Il soutient que :

- en l'état des connaissances scientifiques actuelles et de la jurisprudence, aucun lien ne peut être établi entre les vaccinations contenant des adjuvants aluminiques et la symptomatologie dont se plaint Mme A... ;

- à supposer qu'il soit considéré que les connaissances scientifiques actuelles ne permettent pas d'exclure un lien de causalité entre les vaccinations et la symptomatologie que présente Mme A..., le dossier médical de l'intéressée ne permettait pas de se prononcer sur l'absence d'état antérieur ; l'expert désigné par le tribunal a souligné ne pas avoir reçu tous les documents médicaux demandés, notamment ceux concernant le suivi psychiatrique de Mme A... ; l'expert comme le tribunal n'étaient pas en mesure de se prononcer sur l'absence d'état antérieur ; c'est donc à tort que le tribunal administratif a retenu l'absence d'état antérieur sur la base des seules déclarations de Mme A..., alors qu'elle avait des antécédents de douleurs à la suite d'un accident sur la voie publique survenu le 11 août 2000 et qu'elle a commis une tentative de suicide en 2008 ayant conduit à un suivi psychiatrique avec prise d'antidépresseurs ; d'ailleurs, un antalgique lui a été prescrit le jour même de l'injection, ce qui démontre qu'elle souffrait déjà de douleurs ; au demeurant, le tribunal a retenu l'existence d'un état antérieur au sujet du déficit fonctionnel permanent ; les experts ont estimé que les douleurs constatées postérieurement aux vaccinations étaient constitutives de troubles somatoformes, exclusivement en rapport avec un état antérieur ancien caractérisé par un syndrome anxio-dépressif ;

- contrairement à ce qu'ont estimé les experts, la poussée de décompensation caractérisée par un syndrome douloureux chronicisé persistant n'est pas imputable aux vaccinations mais résulte d'une pathologie psychiatrique antérieure ; l'état de stress généré par la nouvelle activité professionnelle de l'intéressée a pu aggraver les troubles.

II- Par une requête et des mémoires, enregistrés les 31 juillet 2020

et 22 septembre 2022 sous le n° 20BX02456, l'ONIAM, représenté par

la SELARL Birot-Ravaut et associés, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'inviter, avant dire-droit, l'Académie de médecine à présenter ses observations sur l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations, comportant ou non des adjuvants aluminiques, et la symptomatologie liée à une lésion histologique de myofasciite à macrophages ;

2°) d'annuler le jugement rendu par le tribunal administratif de Poitiers le 2 juin 2020 ;

3°) de condamner Mme A... aux entiers dépens incluant les frais d'expertise ;

4°) à titre subsidiaire, d'allouer à Mme A... une indemnisation qui ne saurait

excéder la somme de 75 167,68 euros ;

5°) de rejeter l'appel incident de Mme A....

L'ONIAM soutient que :

- en l'état des connaissances scientifiques actuelles et de la jurisprudence, aucun lien ne peut être établi entre les vaccinations contenant des adjuvants aluminiques et la lésion histologique de la myofasciite à macrophages ;

- à supposer qu'il soit considéré que les connaissances scientifiques actuelles ne permettent pas d'exclure un lien de causalité entre les vaccinations et la symptomatologie que présente Mme A..., le dossier médical de l'intéressée ne permettait pas de se prononcer sur l'absence d'état antérieur ; l'expert désigné par le tribunal a souligné ne pas avoir reçu tous

les documents médicaux demandés, notamment ceux concernant le suivi psychiatrique

de Mme A... ; l'expert comme le tribunal n'étaient pas en mesure de se prononcer sur l'absence d'état antérieur ; c'est donc à tort que le tribunal administratif a retenu l'absence d'état antérieur au seul vu des déclarations de Mme A..., alors qu'elle avait des antécédents de douleurs à la suite d'un accident sur la voie publique survenu le 11 août 2000 et qu'elle a commis une tentative de suicide en 2008 ; d'ailleurs, un antalgique lui a été prescrit le jour même de l'injection, ce qui démontre qu'elle souffrait déjà de douleurs ; au demeurant, le tribunal a retenu l'existence d'un état antérieur au sujet du déficit fonctionnel permanent ; les experts ont estimé que les douleurs constatées postérieurement aux vaccinations, constitutives de troubles somatoformes, sont exclusivement en rapport avec un état antérieur ancien caractérisé par un syndrome anxio-dépressif ;

- contrairement à ce qu'ont estimé les experts, la poussée de décompensation caractérisée par un syndrome douloureux chronicisé persistant n'est pas imputable aux vaccinations mais résulte d'une pathologie psychiatrique antérieure ; l'état de stress généré par sa nouvelle activité professionnelle a pu aggraver les troubles ;

- à titre subsidiaire, sur l'évaluation des préjudices subis, le jugement pourra être confirmé s'agissant du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, du préjudice esthétique permanent, des dépenses de santé futures, et du préjudice de formation et de pertes de gains professionnels futurs ;

- la somme allouée au titre du préjudice esthétique temporaire doit être ramenée

à 1 000 euros ;

- les indemnisations accordées au titre de l'assistance par tierce personne temporaire et définitive doivent être ramenées à de plus justes proportions et ne sauraient dépasser respectivement 1 596,64 euros et 44 490,04 euros ;

- le déficit fonctionnel permanent doit être ramené, compte tenu de l'état antérieur

de Mme A..., à 15 % et donner lieu à une indemnisation qui ne saurait excéder la somme

de 20 581 euros ;

- le préjudice d'incidence professionnelle n'est pas justifié dans son existence.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 21 juin 2021 et 6 octobre 2022, Mme A..., représentée par la SCP Giroire Revalier, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :

1°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement rendu par le tribunal administratif de Poitiers en ce qu'il a limité le montant de l'indemnisation allouée ;

2°) de condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 492 939,52 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts au taux légal à compter du 3 août 2015 et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 25 000 euros au titre de

l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'absence de consensus scientifique concernant l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations contenant des adjuvants aluminiques et la myofasciite à macrophages n'est pas de nature à écarter l'existence d'une causalité juridique ; l'existence d'un tel lien a déjà été admis par la jurisprudence et l'existence d'un état antérieur n'y fait pas obstacle dès lors que celui-ci est aggravé de manière imprévisible ; la mesure d'instruction sollicitée

par l'ONIAM avant dire droit n'est ainsi d'aucune utilité ;

- l'ensemble des éléments médicaux ont été communiqués au médecin expert dès lors que, d'une part, aucune obligation légale ne contraint les médecins traitants à établir des comptes rendus de consultation et à les communiquer, et que d'autre part les éléments transmis étaient complets et suffisants pour affirmer avec certitude l'absence d'état antérieur ; la circonstance que Mme A... ait souffert de dépression par le passé n'est pas de nature à expliquer les douleurs musculaires et l'intense fatigabilité ressentie après les injections ;

- l'expert médical a reconnu l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre les vaccinations et la myofasciite à macrophage ; il a constaté que la myofasciite est la cause d'une aggravation d'un état psychiatrique antérieur, de sorte que la décompensation psychique est, contrairement à ce que prétend l'ONIAM, en lien avec la vaccination ;

- en l'absence d'études scientifiques affirmant l'absence totale de probabilité de lien entre l'administration d'adjuvants aluminiques et la myofasciite à macrophages, et en présence d'études faisant état d'un " lien probable ", il est inutile de solliciter l'avis de l'académie de médecine ;

- le jugement doit être réformé sur l'indemnisation des différents préjudices qui doivent être réévalués de la manière suivante :

- Assistance tierce personne temporaire : 3 600 euros

- Préjudice de formation : 10 000 euros

- Déficit fonctionnel temporaire : 8 990 euros

- Souffrances endurées : 6 000 euros

- Préjudice esthétique temporaire : 2 500 euros

- Dépenses de santé futures : 10 736,32 euros

- Assistance tierce personne définitive : 75 046,40 euros

- Perte de gains professionnels futurs : 272 266,80 euros

- Incidence professionnelle : 60 000 euros

- Déficit fonctionnel permanent : 40 800 euros

- Préjudice esthétique permanent : 3 000 euros ;

- le point de départ des intérêts doit être la date de consolidation de son état de santé et non la date d'introduction de sa requête.

Dans l'affaire 20BX02455, la clôture de l'instruction a été fixée, par une ordonnance du 24 août 2022, au 26 septembre 2022.

Dans l'affaire 20BX02456, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, par une ordonnance du 23 septembre 2022, au 7 octobre 2022.

Un mémoire, présenté pour l'ONIAM, a été enregistré le 14 octobre 2022 dans l'affaire n° 20BX02456.

Deux mémoires, présentés pour Mme A..., ont été enregistrés le 7 novembre 2022 dans l'affaire n° 20BX02455 et le 8 novembre 2022 dans l'affaire n° 20BX02456.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D... B...

- les conclusions de Mme Gallier, rapporteur publique

- et les observations de Me Ravaut, représentant l'ONIAM, et de Me Grenioux, représentant Mme A....

Une note en délibéré, présentée pour l'ONIAM, a été enregistrée le 18 novembre 2022.

Considérant ce qui suit :

1. En vue de son recrutement par le centre hospitalier universitaire de Poitiers

en qualité d'aide auprès des malades dans le cadre d'un contrat unique d'insertion, Mme A... a reçu trois vaccinations obligatoires, les deux premières le 30 août 2011 contre la diphtérie,

le tétanos et la poliomyélite d'une part et l'hépatite B d'autre part, et la troisième

le 2 septembre 2011 contre la rougeole, les oreillons et la rubéole. Elle a, dans les jours qui ont suivi, ressenti des douleurs musculaires et articulaires, une asthénie marquée et une grande fatigue. Face à la persistance d'un syndrome douloureux, un neurochirurgien de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP) a diagnostiqué, le 10 septembre 2013, au vu des résultats d'une biopsie musculaire, des lésions histologiques de myofasciite à macrophages caractérisées par la présence d'hydroxyde d'aluminium au niveau du muscle deltoïde gauche et a précisé

que la présence de cette substance était à mettre en rapport avec les antécédents vaccinaux. Mme A... a alors saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande d'expertise. Le rapport d'expertise remis le 5 avril 2016, s'il exclut l'existence d'un lien de causalité entre

la myofasciite à macrophages et les symptômes de Mme A..., a conclu que les vaccinations dont elle avait bénéficié avaient conduit à la décompensation de l'état psychiatrique antérieur. Mme A... a alors sollicité auprès de l'ONIAM la réparation des préjudices subis, demande qui a été rejetée le 15 novembre 2016.

2. Mme A... a saisi, le 4 janvier 2017, le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à la condamnation de l'ONIAM à réparer les préjudices subis. Par un jugement avant-dire droit du 27 novembre 2018, le tribunal a, d'une part, condamné l'ONIAM à réparer le préjudice de Mme A... résultant des conséquences des vaccinations obligatoires qui lui ont été administrées les 30 août et 2 septembre 2011, et, d'autre part, ordonné une expertise médicale en vue d'évaluer l'ensemble des préjudices subis par la requérante. Après dépôt du rapport d'expertise le 4 juillet 2019, le tribunal, par un jugement du 2 juin 2020, a condamné l'ONIAM à verser à Mme A... la somme de 126 288,60 euros en réparation des préjudices subis, avec intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2017 et capitalisation annuelle des intérêts à compter du 4 janvier 2018. Il a également mis à la charge de l'ONIAM les frais d'expertise pour un montant de 6 536,03 euros. Par les requêtes susvisées, l'ONIAM relève appel des jugements des 27 novembre 2018 et 2 juin 2020. Par la voie de l'appel incident, Mme A... demande la réformation du second jugement en tant qu'il a limité le montant de son indemnisation, et sollicite le versement de la somme de 492 939,52 euros.

Sur la jonction :

3. Les requêtes enregistrées sous les nos 20BX02455 et 20BX02456 présentent à juger la même affaire. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur le droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale :

4. Aux termes de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent chapitre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale. (....) ".

5. Il appartient à la juridiction saisie d'un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d'une vaccination présentant un caractère obligatoire, de rechercher, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, s'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Dans l'hypothèse inverse, elle doit procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et ne retenir l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations obligatoires subies par l'intéressée et les symptômes qu'elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, s'il ne ressort pas du dossier que ces symptômes peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que les vaccinations.

6. Les publications et articles invoqués par l'ONIAM, soit un extrait de questions/réponses, datant de 2008 et émanant de l'Organisation mondiale de la santé, un rapport de l'Académie nationale de médecine de 2012, un rapport de l'Académie nationale de pharmacie de 2016, un rapport du Haut conseil de la santé publique de 2013, un article publié en mars 2015 dans la revue Prescrire ou, en dernier lieu, l'avis de l'Académie de médecine

du 22 septembre 2022, ont seulement conclu que l'existence d'un lien de causalité entre les vaccins comportant des adjuvants aluminiques et une symptomatologie spécifique d'une lésion histologique de myofasciite à macrophages n'était pas établie. Il n'est pas pour autant exclu, en l'état des connaissances scientifiques ressortant de ces travaux, que toute probabilité d'un tel lien existe.

7. La myofasciite à macrophages correspond à un ensemble de symptômes diffus et variables tels que des douleurs musculo-articulaires, une asthénie chronique et des troubles cognitifs, qui apparaissent chez des patients pour lesquels on constate, à l'endroit de l'injection de vaccins comportant des adjuvants aluminiques, des lésions histologiques sous forme de résidus aluminiques. En l'espèce, il résulte de l'instruction que Mme A... qui a reçu,

le 30 août 2011, le vaccin contre l'hépatite B, qui contient des adjuvants aluminiques, s'est plainte dans les jours qui ont suivi d'importantes douleurs musculaires et articulaires, avec sensations de brûlures sur tout le corps, la conduisant à consulter son médecin traitant à plusieurs reprises et à se rendre dans un centre anti-douleur en novembre suivant. Une biopsie musculaire réalisée le 10 septembre 2013 a mis en évidence une lésion histologique de myofasciite à macrophages avec présence in situ d'hydroxyde d'aluminium, et le diagnostic de myofasciite à macrophages a été posé par un spécialiste de cette affection. Les examens complémentaires, notamment neurologique et psychopathologique, réalisés le 12 mars 2014, ont mis en évidence un syndrome dysexécutif avec ralentissement idéo-moteur, des difficultés à contrôler l'attention, ainsi qu'un syndrome dépressif sévère avec des troubles cognitifs légers.

8. L'ONIAM fait valoir que les symptômes présentés par Mme A... sont dus à un état antérieur, notamment aux séquelles d'un accident de la voie publique dont elle a été victime

en 2000, ainsi qu'à son état psychiatrique qui l'a conduite en 2008 à commettre une tentative de suicide. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que les séquelles physiques occasionnées par l'accident aient perduré au-delà de l'année 2001, ni que l'intéressée ait bénéficié d'un traitement antidépresseur ou d'un suivi psychologique au-delà de l'année 2009. En outre, l'état anxio-dépressif n'explique pas les douleurs musculaires et articulaires ressenties. Ainsi que l'a estimé le second expert, la circonstance qu'il a été prescrit à Mme A... de la codéine le jour de la vaccination n'est pas suffisante pour établir des douleurs préexistantes. Si l'ONIAM soutient également que l'expert n'a pas eu communication de l'ensemble des pièces du dossier médical pour se prononcer sur l'existence d'un état antérieur, il résulte de l'instruction que l'expert a disposé de suffisamment de documents médicaux pour émettre un avis retenant une aggravation de l'état psychiatrique antérieur du fait de la vaccination. Par suite, les symptômes que Mme A... connaît depuis la vaccination sont sans commune mesure avec une évolution prévisible de son état antérieur.

9. L'ONIAM, après avoir relevé que l'expert avait noté que la décompensation de l'état psychiatrique pouvait s'expliquer par une situation de stress, soutient que le fait que Mme A... débutait une nouvelle activité professionnelle pouvait générer un tel stress. Toutefois, la conclusion par Mme A... d'un contrat de travail avec le CHU et le suivi d'une formation pour devenir aide-soignante ne sont pas de nature à expliquer des difficultés psychologiques à l'origine du syndrome anxio-dépressif majeur que celle-ci subit. Dans ces conditions, et alors que l'expert a relevé que les autres causes potentielles susceptibles d'entraîner les troubles neuromusculaires constatés chez Mme A... ont été écartées à la suite des examens réalisés au cours de l'hospitalisation du mois de mars 2014, notamment une neuropathie des petites fibres ou un syndrome sec, il ne résulte pas de l'instruction qu'une cause extérieure puisse expliquer l'aggravation de la symptomatologie.

10. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner la mesure d'instruction sollicitée par l'ONIAM, que c'est à bon droit que les premiers juges ont conclu à la caractérisation d'un lien de causalité entre l'aggravation de la symptomatologie initiale et les vaccinations obligatoires administrées à Mme A..., et retenu le principe d'une indemnisation à la charge de l'établissement.

Sur l'évaluation de préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux temporaires :

11. Il ressort du rapport d'expertise définitif déposé le 4 juillet 2019 qu'un besoin de trois heures par semaine a été retenu au titre de l'assistance par une tierce personne sur la période allant du 4 novembre 2014 au 3 août 2015, soit 39 semaines. Sur la base d'un taux horaire de 15 euros, correspondant au coût horaire moyen du salaire minimum au cours de la période en cause, majoré afin de tenir compte des charges sociales et des congés payés, et alors qu'il résulte de l'instruction que Mme A... n'a pas bénéficié de la prestation de compensation du handicap, l'indemnisation doit être ramenée de 2 880 euros à 1 900 euros.

12. Si Mme A... fait valoir que la détérioration de son état de santé l'a conduite à interrompre sa formation pour devenir aide-soignante, il résulte de l'instruction qu'elle a été victime le 17 novembre 2012 d'un traumatisme du pouce droit avec lésion du scaphoïde, reconnu comme accident du travail et déclaré consolidé à la date du 31 octobre 2013. Dans ces circonstances, alors que le CHU a mis fin à sa formation le 6 mars 2013 et que l'expert a relevé que les arrêts de travail n'étaient justifiés par la myofasciite à macrophage qu'à compter

du 26 novembre 2014, Mme A... n'est pas fondée, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, à solliciter l'indemnisation d'un préjudice de formation.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux permanents :

13. Le rapport d'expertise retient un besoin d'assistance par une tierce personne de deux heures par semaine à titre viager. Eu égard au coût horaire moyen du salaire minimum majoré pour tenir compte des charges et des congés payés, le besoin d'assistance représente ainsi, dès lors que Mme A... n'établit ni même n'allègue qu'elle aurait besoin de rémunérer une aide à un tarif supérieur, un coût annuel de 1 760 euros, soit un total de 12 453 euros au titre des arrérages échus et un capital de 50 270 euros, au titre des arrérages à échoir. Par suite, il y a lieu de porter la somme due à ce titre de 48 197,60 euros à 60 650 euros.

14. Mme A... était en arrêt maladie du 17 novembre 2012 au 31 octobre 2013 à la suite d'un traumatisme du pouce ayant conduit à l'interruption de la formation à l'initiative

du CHU de Poitiers, le 6 mars 2013. En l'absence de lien de causalité avec les vaccinations, Mme A... n'est pas fondée, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, à réclamer à l'ONIAM la compensation de pertes de gains professionnels futurs résultant de son incapacité à exercer la profession d'aide-soignante.

15. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les conséquences de la myofasciite à macrophages n'ont pas permis à Mme A... de s'insérer sur le marché du travail. Il a été fait par les premiers juges une juste appréciation en allouant à Mme A... une somme de 30 000 euros au titre de l'incidence professionnelle.

16. En l'absence d'éléments démontrant que la prise d'antalgiques engendrerait un reste à charge, Mme A... n'est pas fondée à solliciter l'octroi d'une indemnisation au titre des dépenses de santé futures.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux temporaires :

17. L'expert a évalué le déficit fonctionnel temporaire comme total durant les six jours d'hospitalisation, soit le 24 juillet 2012 et du 3 au 7 mars 2014, puis à hauteur de 25% pour les périodes du 19 septembre 2011 au 28 octobre 2013 et du 8 mars 2014 au 3 août 2015, soit l'équivalent de 42 mois. L'indemnisation pour ce poste doit, au vu des circonstances, être calculée sur une base de 600 euros par mois de déficit fonctionnel total, de sorte que la somme allouée à ce titre doit être portée de 4 000 euros à 6 420 euros.

18. Les souffrances endurées par Mme A... ont été évaluées à 3 sur 7. Il sera fait une plus juste appréciation de ce préjudice en portant la somme allouée de 3 000 euros

à 3 500 euros.

19. Le préjudice esthétique temporaire a été évalué à 2 sur 7. En fixant l'indemnisation de ce préjudice à 2 000 euros, les premiers juges en ont fait une évaluation qui n'est ni insuffisante, ni excessive.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux permanents :

20. Le médecin expert a relevé que la symptomatologie était majorée par un état antérieur préexistant, et a retenu un déficit fonctionnel permanent imputable de l'ordre de 20%, caractérisé par une fatigue chronique, un état dépressif, des douleurs diffuses et des troubles attentionnels. Si l'ONIAM demande que cette incapacité soit évaluée à 15 % eu égard à l'état antérieur, il n'apporte aucun élément circonstancié de nature à remettre en cause l'expertise. Mme A... étant âgée de 50 ans au jour de la consolidation, l'indemnisation du préjudice résultant de son déficit fonctionnel permanent peut être portée de 30 000 euros à 33 000 euros.

21. Le préjudice esthétique permanent, coté à 0,5 sur une échelle de 7, est caractérisé par les troubles de la marche nécessitant l'utilisation d'une canne anglaise. Les premiers juges en ont fait une suffisante appréciation en le fixant à 500 euros.

22. Il résulte de tout ce qui précède que l'appel de l'Oniam doit être rejeté et que la somme que l'ONIAM a été condamné à verser à Mme A..., en réparation des préjudices subis du fait des vaccinations obligatoires, doit être portée de 126 288,60 euros à 137 970 euros.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

23. Mme A... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 137 970 euros à compter de la date à laquelle l'ONIAM a reçu sa demande préalable et non, comme le fait valoir l'intimée, à compter de la date de consolidation de son état de santé. A défaut de preuve de la date de réception de la demande préalable, le point de départ des intérêts peut être fixé

au 15 novembre 2016, date de rejet de la demande d'indemnisation par l'ONIAM.

24. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 4 janvier 2017. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 15 novembre 2017, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais d'expertise :

25. Dans les circonstances de l'espèce, l'ONIAM n'est pas fondé à demander que les frais d'expertise soient mis à la charge de Mme A.... Par suite, le jugement qui les met à sa charge doit être confirmé sur ce point.

Sur les frais liés au litige :

26. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM, sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 000 euros au bénéfice de Mme A....

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes de l'ONIAM sont rejetées.

Article 2 : La somme que l'office national d'indemnisation des accidents médicaux a été condamné à verser à Mme A... en réparation des préjudices causés par les vaccinations obligatoires est portée à 137 970 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 15 novembre 2016, avec capitalisation annuelle à compter du 15 novembre 2017.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 2 juin 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2.

Article 4 : L'ONIAM versera à Mme A... la somme de 2 000 euros au titre

de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.

Article 6 : Le présent jugement sera notifié à Mme C... A..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 décembre 2022.

Le rapporteur,

Olivier B...

La présidente,

Catherine GiraultLe greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

20BX2455 ; 20BX02456 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX02455
Date de la décision : 08/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SELARL BIROT - RAVAUT ET ASSOCIES;SELARL BIROT - RAVAUT ET ASSOCIES;SELARL BIROT - RAVAUT ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-12-08;20bx02455 ?
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