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06/12/2022 | FRANCE | N°20BX01650

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 06 décembre 2022, 20BX01650


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

La société Parc éolien de Montchevrier a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler les cinq arrêtés du 21 juillet 2017 par lesquels le préfet de l'Indre a rejeté ses demandes de permis de construire pour l'édification de cinq éoliennes sur le territoire de la commune de Montchevrier ainsi que l'arrêté du 20 septembre 2017 par lequel le préfet a rejeté sa demande d'autorisation d'exploitation du parc correspondant.

Par deux jugements n° 1701656 et n° 1701657 du 12 mars 2020, le tribunal admi

nistratif de Limoges a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une ...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

La société Parc éolien de Montchevrier a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler les cinq arrêtés du 21 juillet 2017 par lesquels le préfet de l'Indre a rejeté ses demandes de permis de construire pour l'édification de cinq éoliennes sur le territoire de la commune de Montchevrier ainsi que l'arrêté du 20 septembre 2017 par lequel le préfet a rejeté sa demande d'autorisation d'exploitation du parc correspondant.

Par deux jugements n° 1701656 et n° 1701657 du 12 mars 2020, le tribunal administratif de Limoges a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête n° 20BX01650 et des mémoires complémentaires, enregistrés les 14 mai 2020, 9 juin 2021, 8 février et 20 avril 2022, la société Parc éolien de Montchevrier, représentée par Me Elfassi, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1701657 du tribunal administratif de Limoges du 12 mars 2020 ;

2°) d'annuler les cinq arrêtés préfectoraux du 21 juillet 2017 ;

3°) d'organiser une visite des lieux en application de l'article R. 622-1 du code de justice administrative ;

4°) d'enjoindre au préfet de l'Indre de délivrer les permis de construire sollicités ou, à défaut, de réexaminer sa demande, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'est pas signé ;

- l'intervention de MM. E... et B..., de Mme C..., de l'association " Vivre en Boischaut " et de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF) est irrecevable à défaut d'intérêt à intervenir ;

- les arrêtés attaqués sont insuffisamment motivés ;

- le motif de refus opposé par le préfet, tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme, est erroné dès lors que les projets se situent dans une zone identifiée comme une zone favorable à l'implantation d'éoliennes, qui ne présente pas d'intérêt particulier, au caractère essentiellement bocager et dans laquelle les éoliennes s'intègrent parfaitement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés et s'en remet aux écritures présentées en défense par le préfet de l'Indre en première instance.

Par des mémoires en intervention, enregistrés les 3 décembre 2021, 15 mars et 20mai 2022, M. F... E..., Mme G... C..., M. A... B..., l'association " Vivre en Boischaut " et la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), représentés par Me Monamy, concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que :

- leur intervention est recevable dès lors que M. E..., Mme C... et M. B... habitent à proximité du projet, que l'association " Vivre en Boischaut " a notamment pour objet de préserver les espaces naturels et paysagers dans le secteur du projet et que la SPPEF, association agrée pour la protection de l'environnement, a pour objet de préserver sur l'ensemble du territoire national, les sites et paysages français ;

- les arrêtés attaqués sont suffisamment motivés ;

- le projet d'implantation de cinq éoliennes méconnaît les dispositions de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme.

II. Par une requête n° 20BX01651 et des mémoires complémentaires, enregistrés les 14 mai 2020, 9 juin 2021, 10 février et 20 avril 2022, la société Parc éolien de Montchevrier, représentée par Me Elfassi, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1701656 du tribunal administratif de Limoges du 12 mars 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 20 septembre 2017 ;

3°) d'organiser une visite des lieux en application de l'article R. 622-1 du code de justice administrative ;

4°) de délivrer une autorisation d'exploitation assortie le cas échéant d'une prescription relative au bridage des éoliennes en faveur des chiroptères ou d'enjoindre au préfet de l'Indre de délivrer l'autorisation d'exploitation sollicitée, ou à défaut de réexaminer sa demande, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'est pas signé ;

- l'intervention de MM. E... et B..., de Mme C..., de l'association " Vivre en Boischaut " et de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF) est irrecevable à défaut d'intérêt à intervenir ;

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;

- le motif de refus opposé par le préfet, tiré de ce que le projet était de nature à porter atteinte au caractère et à l'intérêt des lieux avoisinants et à porter atteinte aux paysages naturels et patrimoniaux, est erroné dès lors qu'il se situe dans une zone identifiée comme une zone favorable à l'implantation d'éoliennes, qui ne présente pas d'intérêt particulier, au caractère essentiellement bocager et dans laquelle les éoliennes s'intègrent parfaitement ;

- les moyens soulevés par les intervenants et tirés de ce que l'étude d'impact serait insuffisante, de ce que le projet porterait atteinte aux chiroptères et de ce que l'arrêté attaqué serait illégal en l'absence de demande préalable de dérogation aux espèces protégés sont irrecevables car tardifs et en tout état de cause, non fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 novembre 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Par des mémoires en intervention, enregistrés les 25 novembre 2021, 15 mars et 20 mai 2022, M. F... E..., Mme G... C..., M. A... B..., l'association " Vivre en Boischaut " et la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), représentés par Me Monamy, concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que :

- leur intervention est recevable dès lors que M. E..., Mme C... et M. B... habitent à proximité du projet, que l'association " Vivre en Boischaut " a notamment pour objet de préserver les espaces naturels et paysagers dans le secteur du projet et que la SPPEF, association agrée pour la protection de l'environnement, a pour objet de préserver sur l'ensemble du territoire national, les sites et paysages français;

- l'arrêté attaqué est suffisamment motivé ;

- le motif de refus du préfet est justifié dès lors que le projet d'implantation de cinq éoliennes porte atteinte à l'intérêt des lieux et au paysage environnant ;

- l'étude d'impact était insuffisante ;

- le projet porte atteinte, en méconnaissance des dispositions des articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement, à la basilique de Neuvy-Saint-Sépulchre et aux chiroptères ;

- le projet méconnaît les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement dès lors qu'il n'a pas été précédé d'une demande de dérogation au titre des espèces protégées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... H...;

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public ;

- et les observations de Me Durand représentant la société Parc Eolien de Montchevrier et de Me Monamy représentant M. E... et autres.

Considérant ce qui suit :

1. Le 26 décembre 2013, la société Parc éolien de Montchevrier a déposé des demandes de permis de construire pour l'édification de cinq éoliennes sur le territoire de la commune de Montchevrier. Le 27 décembre 2013, la société a déposé, au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, la demande d'autorisation d'exploitation correspondante, complétée les 24 juillet 2014 et 8 janvier 2015. Par cinq arrêtés du 21 juillet 2017, le préfet de l'Indre a refusé de délivrer le permis de construire sollicité. Par un courrier du 15 septembre 2017, la société a formé un recours gracieux à l'encontre des refus de permis de construire, rejeté par décision du préfet du 29 septembre 2017. Par arrêté du 20 septembre 2017, le préfet a refusé de délivrer l'autorisation d'exploitation correspondante. La société Parc éolien de Montchevrier relève appel des deux jugements du 12 mars 2020 par lesquels le tribunal administratif de Limoges a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des cinq arrêtés préfectoraux du 21 juillet 2017 et de la décision de rejet de son recours gracieux, et à l'annulation de l'arrêté du 20 septembre 2017.

2. Les requêtes n° 20BX01650 et n° 20BX01651 présentent à juger des questions communes relatives au refus de permis de construire et au refus d'autorisation d'exploitation des mêmes éoliennes. Elles ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer dans un même arrêt.

Sur l'intervention collective de M. E..., Mme C..., M. B..., de l'association " Vivre en Boischaut " et de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF) :

3. L'association " Vivre en Boischaut ", dont l'objet consiste, notamment, dans un triangle compris entre Montlevicq, à l'est, Saint-Gaultier, à l'ouest et Crozant, au sud, et les communes limitrophes de ce triangle, à défendre la protection de l'environnement, de la faune, de la flore, des paysages et du patrimoine culturel contre toutes les atteintes qui pourraient leur être portées, notamment par l'implantation d'éoliennes, a un intérêt suffisant au maintien du jugement attaqué rejetant les demandes de la société Parc éolien du Montchevrier tendant à l'annulation des refus opposés à ses demandes de permis de construire et d'autorisation d'exploitation de cinq éoliennes sur le territoire de la commune de Montchevrier, située dans ce triangle. Ainsi, et dès lors qu'au moins l'un des intervenants est recevable, l'intervention collective de M. E..., Mme C..., M. B..., de l'association " Vivre en Boischaut " et de la SPPEF est recevable.

Sur la régularité des jugements attaqués :

4. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

5. Il ressort de la minute de chacun des jugements attaqués, transmises à la cour par le tribunal administratif de la Limoges, qu'elles ont été signées par le rapporteur, le président et le greffier, conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative cité au point précédent. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée aux parties ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ces jugements.

Sur la légalité de l'arrêté du 20 septembre 2017 :

6. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'environnement dans sa version applicable au litige : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. L'autorisation ne peut être accordée que si ces dangers ou inconvénients peuvent être prévenus par des mesures que spécifie l'arrêté préfectoral. (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ". Il découle de ces dispositions que lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation d'une installation classée pour la protection de l'environnement, il appartient à l'autorité préfectorale de s'assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment, les exigences de protection de l'environnement et des paysages et de conservation des sites, des monuments et des éléments du patrimoine archéologique, prévues par l'article L. 511-1 du code de l'environnement et que cette autorité est tenue, sous le contrôle du juge, de délivrer l'autorisation sollicitée si les dangers ou inconvénients que présente cette installation peuvent être prévenus par les prescriptions particulières spécifiées par un arrêté d'autorisation.

7. Le préfet de l'Indre a fondé le refus en litige sur le fait que le projet litigieux portait atteinte à la conservation des sites et monuments et notamment à l'église Notre-Dame, située sur le territoire de la commune d'Aigurande, ainsi qu'aux restes du vieux château féodal de Cluis, tous deux inscrits au titre des monuments historiques, et à la nature et au paysage, le secteur d'implantation du projet présentant un paysage bocager, au relief vallonné, rendu célèbre grâce aux impressionnistes et aux romans de George Sand, la commune de Montchevrier étant située au cœur du parcours touristique, culturel et artistique de la " Vallée des Peintres ". Le préfet a ainsi considéré que le projet était de " de nature à bouleverser le caractère et l'intérêt des lieux avoisinants et à porter atteinte aux paysages naturels et patrimoniaux (...) en altérant fortement les caractéristiques essentielles des paysages du Boischaut Sud ".

8. Il résulte de l'instruction que le projet en litige consiste en l'implantation de cinq éoliennes d'une hauteur de 150 mètres, à une interdistance régulière de 400 à 600 mètres, dans un secteur situé sur le territoire de la commune de Montchevrier, dans le " Boischaut Sud ", délimité à l'est par la route départementale (RD) n° 990, au nord par la RD n°48, à l'ouest par la RD n° 87 et au sud par la RD n° 39 qui traverse les lieux dits " la Glézonne ", " la Fat " et " le Poirond ". L'altitude du site d'implantation varie entre 340 et 360 mètres. Le territoire concerné est un lien de transition entre la vallée de la Creuse et le pays de George Sand, il est traversé par des circuits touristiques (randonnée, cyclotourisme....), dont certains présentent un enjeu moyen et fort par rapport au projet du fait des possibilités de visibilité, notamment la vallée des peintres du fait de la fréquentation touristique ou encore la RD 72 qui traverse d'ouest en est la partie nord de l'aire d'étude immédiate, et constitue un circuit automobile de découverte des paysages romanesques ainsi que divers itinéraires de promenade ou de randonnée pédestre situés à proximité immédiate de la zone d'implantation du projet. L'étude d'impact pointe le caractère remarquable du territoire concerné et la beauté de ses paysages, que les impressionnistes ont rendu célèbres dans le monde entier. Le périmètre d'étude est parsemé d'édifices classés ou inscrits au titre des monuments historiques, démontrant que ce territoire possède une charge historique et identitaire forte que ce soit pour les églises ou l'architecture civile (châteaux).

9. En ce qui concerne, d'une part, l'impact du projet sur ce patrimoine architectural, il ressort du volet paysager de l'étude d'impact, comme l'a à juste titre estimé le tribunal, que du fait de la distance séparant les édifices du projet, l'impact visuel sur les ruines du château de Cluis, situé à plus de 8 km, est nul. Il en est de même de l'impact visuel du projet sur l'église Notre-Dame d'Aigurande, qui apparaît faible, la vue étant réduite, ainsi que sur la basilique Saint-Etienne à Neuvy-Saint-Sépulcre, inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO au titre des chemins de Saint-Jacques de Compostelle en France, située à 14 km de la zone d'implantation du projet. De manière plus globale, il résulte de l'instruction que, dès lors que l'essentiel des sites classés ou inscrits au titre des monuments historiques sont situés dans le périmètre éloigné de l'étude, l'impact du projet sur ces monuments n'apparaît pas significatif.

10. En ce qui concerne, d'autre part, l'impact du projet sur les paysages et son environnement, le projet de parc, d'une puissance totale maximale estimée à 17 mégawatts, est situé pour sa majeure partie en zone favorable du schéma régional éolien (SRE), en zone 14 du Boischaut méridional. Ce document indique que le paysage du Boischaut méridional est marqué par un relief de plateaux découpés par de nombreux vallons et vallées, de nature bocagère dont " la structure même induit une forte sensibilité par rapport à l'éolien ". A ce titre, sont notamment identifiés comme enjeux les paysages romantiques associés à Georges Sand qui ont acquis une valeur culturelle internationale, le SRE préconisant de prendre en compte, lors de l'implantation d'éoliennes, la particularité du relief du secteur. La RD 990, axe du réseau de circulation touristique du secteur, suit les lignes de crêtes reliant Aigurande à Cluis, et offre, selon l'étude d'impact, " une ligne de perception naturellement centrée vers les plateaux qui dominent les vallées, notamment vers la zone d'implantation potentielle du projet ". La zone d'implantation du projet accueille également divers itinéraires de promenade et de découverte du paysage romanesque, depuis lesquels le projet est visible. Toutefois, l'étude d'impact conclut à un impact moyen du projet dans son environnement immédiat dès lors que lorsque " le projet est perceptible, il s'insère dans une trame végétale relativement dense, qui permet une bonne insertion paysagère du projet ". Si les photomontages sur lesquels elle s'appuie ont été réalisés en période de feuillaison, la société pétitionnaire apporte en appel, pour compléter cette analyse, des vidéomontages et des photomontages réalisés en période hivernale dont il ressort que, nonobstant leur altitude, la visibilité des aérogénérateurs est très intermittente et aucun élément de l'instruction ne permet de conclure que ces derniers, dont le site d'implantation ne se trouve pas au sein des entités les plus sensibles de ce paysage, entreraient en conflit avec les principaux sites et paysages remarquables du secteur. Ainsi, si le caractère remarquable des paysages environnants de la vallée de la Creuse et de la vallée des peintres ne fait aucun doute, l'atteinte que porterait le projet à ces derniers n'est pas caractérisée. Par suite, le préfet, en fondant son refus sur ce motif, a méconnu les dispositions précitées des articles L. 511-1 et L. 512-1 du code de l'environnement.

Sur la légalité des cinq arrêtés du 21 juillet 2017 :

11. Aux termes de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. ".

12. Il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site. Les dispositions de cet article excluent qu'il soit procédé dans le second temps du raisonnement, pour apprécier la légalité des permis de construire délivrés, à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux visés à l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme.

13. Le préfet de l'Indre a fondé les cinq refus de permis de construire en litige sur le fait que les éoliennes, d'une hauteur de 150 mètres, dénatureraient complètement le territoire particulier dans lequel elles s'implantent, qu'il décrit dans les mêmes termes que ceux repris au point 7 du présent arrêt, le projet étant de nature à " bouleverser le caractère et l'intérêt des lieux avoisinants, à porter atteinte aux paysages naturels et patrimoniaux, moteur de l'attrait touristique local, en altérant fortement les caractéristiques essentielles des paysages du Boischaut Sud ".

14. Dans les circonstances exposées au point 10 du présent arrêt, il ne ressort pas des pièces du dossier que les cinq constructions projetées, qui s'implantent, certes, dans un paysage dont la beauté de certaines de ses composantes a fait l'attrait du secteur, seraient susceptibles de porter atteinte, compte tenu de leur nature, de leurs dimensions, de leur implantation et de leur aspect, à l'intérêt des lieux avoisinants. Par suite, le préfet de l'Indre a, en refusant les demandes de permis de construire en litige, fait une inexacte application des dispositions de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme.

15. Une substitution de motifs ne peut être demandée que par l'administration auteur de la décision attaquée. Ainsi, les motifs invoqués par les intervenants ne peuvent être substitués au motif erroné opposé dans les refus d'autorisation contestés.

16. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des requêtes, que la société Parc éolien de Montchevrier est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal de Limoges a rejeté, par les deux jugements attaqués n° 1701656 et n° 1701657 du 12 mars 2020, ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés des 21 juillet et 20 septembre 2017.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

17. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. (...) ".

18. En premier lieu, aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale, dans sa version applicable au litige : " Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : (...) 2° Les demandes d'autorisation au titre du chapitre IV du titre Ier du livre II ou du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement, ou de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ou de l'ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014 régulièrement déposées avant le 1er mars 2017 sont instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance ; après leur délivrance, le régime prévu par le 1° leur est applicable (...) ".

19. Il résulte de ce qui précède que si la cour délivrait l'autorisation d'exploitation sollicitée par la société Parc éolien de Montchevrier ou enjoignait, par les pouvoirs que lui confère l'article L. 911-1 du code de justice administrative, à la délivrance de cette autorisation, le régime de l'autorisation environnementale serait applicable à l'autorisation après sa délivrance. Or l'instruction de la demande n'a pas été réalisée sous un tel régime et ne comporte notamment pas d'examen des atteintes éventuelles du projet aux espèces protégées. Par suite, l'exécution du présent arrêt implique seulement qu'il soit enjoint au préfet de l'Indre de réexaminer la demande présentée par la société Parc éolien de Montchevrier, et ce dans un délai qu'il y a lieu de fixer à douze mois.

20. En second lieu, aux termes de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme : " Lorsque la décision rejette la demande ou s'oppose à la déclaration préalable, elle doit être motivée. / Cette motivation doit indiquer l'intégralité des motifs justifiant la décision de rejet ou d'opposition, notamment l'ensemble des absences de conformité des travaux aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l'article L. 421-6 (...) ". Il résulte des dispositions précitées que, lorsque le juge annule un refus d'autorisation après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, soit que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée interdisent de l'accueillir pour un motif que l'administration n'a pas relevé, soit que, par suite d'un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date du jugement y fait obstacle. L'autorisation d'urbanisme délivrée dans ces conditions peut ensuite être contestée par les tiers sans qu'ils puissent se voir opposer les termes du jugement.

21. Ainsi qu'il a été dit, les motifs du refus opposé aux demandes de permis de construire de la société Parc éolien de Montchevrier par le préfet de l'Indre sont entachés d'illégalité. L'administration n'a fait valoir, ni en première instance, ni en appel, aucun autre motif susceptible de fonder ce refus. Il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction que d'autres motifs justifieraient un refus de permis de construire ni qu'un changement de circonstances fasse obstacle à la délivrance des autorisations sollicitées. Dans ces conditions, l'annulation des refus de permis de construire implique nécessairement la délivrance des permis sollicités. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de fixer à trois mois à compter de la notification du présent arrêt le délai dans lequel devra intervenir cette délivrance.

Sur les frais liés à l'instance :

22. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Parc éolien de Montchevrier d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de M. F... E..., de Mme G... C..., de M. A... B..., de l'association " Vivre en Boischaut " et de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France est admise.

Article 2 : Les jugements n° 1701656 et n° 1701657 du tribunal administratif de Limoges du 12 mars 2020 sont annulés.

Article 3 : Les cinq arrêtés des 21 juillet 2017 et l'arrêté du 20 septembre 2017 du préfet de l'Indre sont annulés.

Article 4 : Il est enjoint au préfet de l'Indre de réexaminer la demande présentée par la société Parc éolien de Montchevrier au titre de son projet d'installation et d'exploitation d'un parc éolien dans un délai de douze mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 5 : Il est enjoint au préfet de l'Indre de délivrer les permis de construire sollicités par la société Parc éolien de Montchevrier dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 6 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la société Parc éolien de Montchevrier au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des requêtes de la société Parc éolien de Montchevrier est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc éolien de Montchevrier, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au préfet de l'Indre, à M. F... E..., désigné en application de l'article R.751-3 du code de justice administrative.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2022 où siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Nathalie Gay, première conseillère,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2022.

La rapporteure,

Héloïse H...

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°20BX01650, 20BX01651


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01650
Date de la décision : 06/12/2022
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Héloïse PRUCHE-MAURIN
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : MONAMY

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-12-06;20bx01650 ?
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