Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2005 à 2008, 2010 et 2011.
Par un jugement n° 1801186 du 20 février 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 avril 2020, M. et Mme C..., représentés par Me Duceux et Me Chabane, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1801186 du tribunal administratif de Bordeaux du 20 février 2020 ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2005 à 2008, 2010 et 2011 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
Sur les rectifications au titre des bénéfices non commerciaux :
En ce qui concerne la procédure d'imposition :
- la proposition de rectification du 11 décembre 2013 est insuffisamment motivée dès lors que l'administration s'est contentée de mentionner un chiffre global par année sans détailler les montants servant de base aux rectifications ;
En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :
- comme l'a jugé la 3ème chambre correctionnelle de la cour d'appel de Bordeaux dans son arrêt du 19 mars 2015 revêtu de l'autorité de la chose jugée, la somme détournée s'élève à 5000 euros et non 295 000 euros ;
- l'administration n'a retenu aucune charge pour la détermination du bénéfice imposable alors que les détournements correspondants à des dépenses personnelles sont juridiquement des charges ; il n'existe donc aucun bénéfice imposable au titre des BNC et même à considérer que le bénéfice ne soit pas nul, l'administration ne pouvait légalement considérer qu'il n'y avait aucune charge ; l'administration aurait dû retenir un ratio de charges moyen correspondant aux frais engagés par les entreprises ayant une activité de gestion d'immeubles, en l'espèce 64% ;
Sur les rectifications au titre des revenus d'origine indéterminée :
- ils ont identifié la quasi-totalité des crédits figurant sur leurs comptes bancaires et contestent donc l'ensemble des rectifications opérées à ce titre.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 octobre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens développés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- et les conclusions de M. Gueguein, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue d'un examen de la situation fiscale personnelle de M. et Mme C... concernant la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, l'administration a constaté une discordance entre le montant des sommes créditées sur les comptes bancaires des époux et leurs revenus déclarés, et a rehaussé en conséquence, au titre de revenus d'origine indéterminée, les cotisations d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux mises à leur charge au titre des années 2010 et 2011 pour un montant de 12 376 euros. Parallèlement, Mme C..., directrice et gestionnaire du château de Saint-Cernin de Labarde, a été reconnue coupable d'abus de confiance par la 3ème chambre correctionnelle de la cour d'appel de Bordeaux le 19 mars 2015 pour avoir détourné à des fins personnelles des sommes versées entre 2005 et 2008 aux fins d'entretien de ce château par M. B..., qui avait la disposition du château. L'administration a exercé son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire et après un contrôle sur pièces concernant les années 2005 à 2008, considéré que ces détournements de fonds constituaient une source de revenus imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux et rehaussé en conséquence les cotisations d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux mises à leur charge au titre des années 2005, 2006, 2007 et 2008 pour un montant de 223 307 euros. M. et Mme C... relèvent appel du jugement n° 1801186 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à la décharge de l'ensemble de ces deux rehaussements.
Sur les rectifications au titre des bénéfices non commerciaux :
En ce qui concerne la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ". Et aux termes de l'article R. 57-1 de ce livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les rectifications envisagées, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. En cas de motivation par référence, l'administration doit, en principe, annexer les documents auxquels elle se réfère dans la proposition de rectification ou en reprendre la teneur. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ses motifs.
3. La proposition de rectification du 11 décembre 2013, adressée à Mme C..., désigne les impôts concernés, les années et les bases d'imposition ainsi que les motifs sur lesquels l'administration s'est fondée pour justifier les rectifications envisagées. Elle précise ainsi qu'elle concerne les bénéfices non commerciaux et les contributions sociales des années 2005 à 2008 et que l'utilisation à des fins personnelles des sommes destinées à l'entretien du château constituent des détournements de fonds qui entrent dans la catégorie des bénéfices non commerciaux en application des dispositions du 1 de l'article 92 du code général des impôts. Elle indique en outre que pour annualiser les détournements opérés, le service s'est basé sur les virements initiaux provenant de M. B... desquels ont été déduites les dépenses estimées engagées dans le cadre de la gestion du château telles que retenues par le tribunal correctionnel de Bergerac dans le cadre de la procédure pénale, puis que l'administration a considéré que ces fonds détournés constituaient les recettes de l'activité professionnelles de Mme C... et que ces recettes correspondaient aux bénéfices dans la mesure où cette activité n'avait généré aucune charge connue du service. Sont joints à cette proposition de rectification les copies des procès-verbaux et le jugement du tribunal correctionnel obtenus dans le cadre du droit de communication et ayant permis au service vérificateur d'établir ces chiffrages. Par suite, la proposition de rectification du 11 décembre 2013, dont les appelants ne peuvent d'ailleurs utilement soutenir qu'elle serait insuffisamment motivée que pour les rectifications opérées selon la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales au titre des années 2005 et 2006, les bénéfices non commerciaux réalisés au cours des années 2007 et 2008 ayant été évalués d'office, était suffisamment motivée.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :
4. Aux termes de l'article 92 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. ". Il appartient à l'administration, lorsqu'elle entend fonder une imposition sur les dispositions de cet article, en dehors de toute procédure de taxation d'office, d'établir que les sommes réintégrées dans les bases imposables du contribuable constituent des revenus. Dans ce cadre, il incombe au juge de l'impôt d'apprécier si l'administration établit la nature de revenus des sommes en cause, compte tenu des éléments de preuve qu'elle présente et, le cas échéant, des éléments que lui soumet le contribuable qui soutient que les sommes en litige ne présentent pas la nature de revenus ou relèvent d'une autre catégorie d'imposition et de ceux que l'administration lui oppose alors en vue d'établir, par tout autre moyen complémentaire, le bien-fondé de l'imposition.
5. Il résulte de l'instruction que le service vérificateur a considéré que les sommes détournées par Mme C... devaient être regardées comme un revenu imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux sur le fondement des dispositions précitées du 1 de l'article 92 du code général des impôts. A la suite du recours hiérarchique exercé par M. et Mme C... et à leur entretien avec l'interlocuteur départemental, le service a finalement retenu pour établir les bases de l'imposition en litige un montant de 295 000 euros, contre 605 124 euros dans la proposition de rectification du 11 décembre 2013, se fondant sur l'évaluation faite par l'expert judiciaire désigné par la 3ème chambre correctionnelle de la cour d'appel de Bordeaux le 15 mai 2014 dans le cadre de la procédure judiciaire d'abus de confiance visant Mme C....
6. D'une part, dans son arrêt du 19 mars 2015, revêtu de l'autorité de chose jugée, la cour d'appel de Bordeaux a confirmé le jugement de première instance en ce qu'il a condamné Mme C... à payer à M. B... une somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral et a en revanche déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société Burlington Worldwide LTD, propriétaire du château de Saint-Cernin de Labarde, à qui le tribunal avait accordé 643 345 euros en réparation de son préjudice matériel. Ce faisant, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la cour d'appel n'a aucunement limité les détournements à la somme de 5 000 euros. Il résulte d'ailleurs de l'instruction que la cour d'appel de Bordeaux a confirmé en tout point le jugement de première instance sur la culpabilité et les peines prononcées à l'encontre de Mme C....
7. D'autre part, il résulte de l'instruction que pour évaluer le montant des sommes détournées à 295 000 euros et après avoir noté que la répartition entre dépenses professionnelles et dépenses personnelles étaient impossible à réaliser en l'absence de toute comptabilité du château et de justificatifs de dépenses, en dehors de la copie de certains chèques, l'expert judiciaire a, selon une première approche, pointé le compte de Mme C... et celui de M. B..., sur lequel elle avait procuration, pour déterminer le montant total des sommes versées par M. B... entre 2005 et 2008 sur ces deux comptes et les dépenses effectuées par Mme C..., puis après avoir pris en compte les éléments apportés par Mme C..., établi la part relative aux dépenses professionnelles et celle relative aux dépenses personnelles, puis déduit de cette dernière un salaire net mensuel fixé, en l'absence de tout contrat de travail, à 2 000 euros pour aboutir à un montant détourné de 277 000 euros. Selon une seconde approche, l'expert n'a pointé que le compte de Mme C... et abouti, en déduisant des fonds en provenance de M. B... les dépenses justifiées telle que retenues lors de l'enquête de gendarmerie ainsi que le salaire mensuel, à un montant détourné de 229 169 euros. Il a fait une moyenne entre ces deux approches pour évaluer le montant des sommes détournées sur le compte de Mme C... à 250 000 euros. Il a ensuite évalué, en retranchant des apports les dépenses effectuées, puis en appliquant à cette somme un ratio de dépenses personnelles, à 18 250 euros le montant détourné sur le compte de M. B..., sur lequel Mme C... avait procuration. Il a enfin appliqué le ratio entre apports et somme des montants détournés aux espèces dépensées pour établir à 27 000 euros le montant des espèces détournées. Ainsi, l'expert judiciaire évalue le montant total des sommes détournées à 295 000 euros (250 000 + 18 250 + 27000 arrondi à 295 000). Comme l'a estimé à juste titre le tribunal, en se bornant à soutenir que Mme C... tenait des cahiers de dépenses qui seraient détenus par M. B..., les appelants, qui reconnaissent l'existence de détournements, ne remettent pas sérieusement en cause le montant des sommes détournées tel qu'évalué, de manière contradictoire, par l'expert judiciaire et retenu par l'administration fiscale. Par suite, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve du détournement de fonds pour un montant de 295 000 euros, qu'elle était ainsi fondée à regarder comme un revenu imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux sur le fondement des dispositions précitées du 1 de l'article 92 du code général des impôts.
8. Enfin, aux termes de l'article 93 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice à retenir dans les bases de l'impôt sur le revenu est constitué par l'excédent des recettes totales sur les dépenses nécessitées par l'exercice de la profession (...). ". Les appelants soutiennent que l'administration n'a retenu aucune charge pour la détermination du bénéfice imposable alors que les détournements correspondants à des dépenses personnelles sont juridiquement des charges et qu'il n'existe ainsi aucun bénéfice imposable au titre des bénéfices non commerciaux et que même à considérer que le bénéfice ne soit pas nul, l'administration ne pouvait légalement considérer qu'aucune charge n'avait été exposée. Toutefois, comme l'a retenu à juste titre le tribunal, en application des dispositions précitées de l'article 93 du code général des impôts, pour être admises en déduction du bénéfice, les dépenses doivent être nécessitées par l'exercice de la profession. Les dépenses réalisées par Mme C... dans le cadre du détournement de fonds, dont le montant de 295 000 euros a été déterminé, comme indiqué au point précédent, en retranchant les dépenses estimées d'entretien du château, ont été réalisées à titre personnel et ne peuvent donc être considérées comme telles. Par suite, le moyen doit être écarté.
Sur les redressements au titre des revenus d'origine indéterminée :
9. Aux termes de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales dans sa version applicable au litige : " En vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, l'administration peut demander au contribuable des éclaircissements. (...) Elle peut également lui demander des justifications lorsqu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés. (...) ". Aux termes de l'article L. 69 du même livre : " Sous réserve des dispositions particulières au mode de détermination des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles et des bénéfices non commerciaux, sont taxés d'office à l'impôt sur le revenu les contribuables qui se sont abstenus de répondre aux demandes d'éclaircissements ou de justifications prévues à l'article L. 16. ". Aux termes de l'article L. 192 du même livre : " (...) Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités (...) Elle incombe également au contribuable à défaut de comptabilité ou de pièces en tenant lieu, comme en cas de taxation d'office à l'issue d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle en application des dispositions des articles L. 16 et L. 69. ". Il incombe ainsi à un contribuable taxé d'office en application des articles L. 16 et L. 69 du livre des procédures fiscales, de démontrer le caractère exagéré des sommes imposées au titre des revenus d'origine indéterminée.
10. Il résulte de l'instruction qu'en application de ces dispositions, l'administration a, après avoir constaté une discordance entre le montant des sommes créditées sur les comptes bancaires des époux et leurs revenus déclarés, rehaussé en conséquence, au titre de revenus d'origine indéterminée, les cotisations d'impôt sur le revenu mises à la charge des époux C... au titre des années 2010 et 2011 pour un montant de 12 376 euros. Elle a retenu, après exercice des voies de recours, un montant de revenus d'origine indéterminée s'élevant à 7 322 euros au titre de l'année 2010 et 37 658 euros au titre de l'année 2011. Si les appelants soutiennent qu'ils auraient identifié et justifié la quasi-totalité des crédits figurant sur leurs comptes bancaires, ce qui a conduit le service à admettre, lors de l'exercice des recours hiérarchiques, certains crédits comme étant justifiés, ils n'apportent toutefois aucun élément qui seraient de nature à démontrer que les sommes restant imposées, de 7 322 euros au titre de l'année 2010 et 37 658 euros au titre de l'année 2011, proviendraient, comme ils le soutiennent, de la vente de vêtements à des proches. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a taxé ces sommes en tant que revenus d'origine indéterminée.
11. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux, par le jugement attaqué, a rejeté leur demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2005 à 2008, 2010 et 2011.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M. et Mme C... de la somme qu'ils demandent sur ce fondement.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée pour information au directeur du contrôle fiscal Sud-Ouest.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
Mme Nathalie Gay, première conseillère,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2022.
La rapporteure,
Héloïse E...
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°20BX01359