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30/11/2022 | FRANCE | N°20BX01984

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 30 novembre 2022, 20BX01984


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 5 décembre 2017 par lequel le maire de la commune de Rempnat l'a radié des cadres pour abandon de poste et d'enjoindre à la commune de Rempnat de le réintégrer dans ses fonctions.

Par une seconde requête, M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 13 juin 2018 par laquelle le maire de la commune de Rempnat a refusé de le réintégrer dans ses fonct

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 5 décembre 2017 par lequel le maire de la commune de Rempnat l'a radié des cadres pour abandon de poste et d'enjoindre à la commune de Rempnat de le réintégrer dans ses fonctions.

Par une seconde requête, M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 13 juin 2018 par laquelle le maire de la commune de Rempnat a refusé de le réintégrer dans ses fonctions, d'enjoindre à la commune de Rempnat de le réintégrer dans ses fonctions et de condamner la commune de Rempnat à lui verser une somme globale de 40 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement joint n os 1701898, 1801149 du 13 février 2020, le tribunal administratif de Limoges a annulé l'arrêté du 5 décembre 2017 et la décision du 13 juin 2018 du maire de la commune de Rempnat précités et a enjoint à la commune de Rempnat de procéder à la réintégration juridique de M. B... à compter de la date de sa radiation des cadres, de prendre les mesures nécessaires pour reconstituer sa carrière et le placer dans une situation régulière et, à défaut d'une nouvelle décision d'éviction du service, de prononcer sa réintégration effective dans un emploi correspondant à son grade. Enfin, le tribunal a condamné la commune de Rempnat à verser à M. B... une somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans ses conditions d'existence et a rejeté le surplus de ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 juin 2020, la commune de Rempnat, représentée par son maire en exercice et par Me Clerc, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 13 février 2020 ;

2°) de rejeter les demandes de M. A... B... ;

3°) de mettre à la charge de M. A... B... la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- M. B... était à la date de sa radiation des cadres, en situation d'abandon de poste dès lors que le compte-rendu médical de la contre-expertise du 27 octobre 2017 indique que l'arrêt de travail n'est plus médicalement justifié au jour du contrôle ; en outre, M. B... a demandé le 17 octobre 2017 une mise en disponibilité pour création d'entreprise et n'a pas repris son poste à la suite des mises en demeure qui lui ont été adressées ; les certificats médicaux produits postérieurement aux mises en demeure n'apportent aucun élément nouveau sur son état de santé ; enfin, M. B... a été absent de manière irrégulière à plusieurs reprises au cours du mois de juin 2017 et n'a pas toujours accompli ses fonctions ;

- ses conclusions à fin de réintégration et à titre indemnitaire ne peuvent qu'être rejetées.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 25 septembre 2020 et le 31 mars 2022, M. A... B..., représenté par Me Maret, conclut au rejet de la requête de la commune de Rempnat et à la mise à la charge de cette dernière de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par un appel incident, M. B... demande la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté le surplus de ses demandes et réitère sa demande de condamnation de la commune de Rempnat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice matériel et la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et qu'il est en droit de bénéficier d'une somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice matériel et d'une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence résultant de son éviction irrégulière.

Une procédure de médiation a été mise en œuvre laquelle n'a pu aboutir en raison du refus de se soumettre à une médiation d'une des parties.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 86-68 du 13 janvier 1986 ;

- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... D...,

- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique,

- et les observations de Me Clerc représentant la commune de Rempnat et de Me Maret, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... exerce en tant qu'adjoint technique de la commune de Rempnat. A la suite d'une altercation avec le maire de cette commune, il été placé en arrêt de travail du 28 juin au 13 juillet 2017 pour état dépressif. Cet arrêt de travail a été renouvelé sans discontinuité par la suite. Se fondant sur une visite médicale de contrôle réalisée le 25 octobre 2017, à l'issue de laquelle le médecin a conclu à l'aptitude à l'exercice des fonctions, le maire de la commune de Rempnat a, par des courriers des 27 octobre et 12 novembre 2017, mis M. B... en demeure de reprendre son poste, en dernier lieu au plus tard le 22 novembre 2017. Par un arrêté du 5 décembre 2017, le maire a radié l'intéressé des cadres pour abandon de poste. Par une requête enregistrée sous le n° 1701898, M. B... a demandé au tribunal administratif de Limoges l'annulation de cet arrêté. Par une seconde requête enregistrée sous le n° 1801149, M. B... a demandé au tribunal, d'annuler la décision du 13 juin 2018 par laquelle le maire de la commune de Rempnat a refusé de le réintégrer dans ses fonctions et de condamner cette commune à lui verser une somme de 40 000 euros en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis.

2. Après avoir joint les deux requêtes, le tribunal, par un jugement du 13 février 2017, a annulé l'arrêté du 5 décembre 2017 et la décision du 13 juin 2018 du maire de la commune de Rempnat précités, a enjoint à cette autorité de procéder à la réintégration de M. B..., a condamné la commune de Rempnat à verser à M. B... une somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence et a rejeté le surplus des conclusions. La commune de Rempnat relève appel de ce jugement dont elle demande l'annulation. Par un appel incident, M. B..., qui conclut au rejet de la demande de la commune de Rempnat, demande la réformation du jugement en tant qu'il a limité à la somme de 2 000 euros le montant de ses préjudices financier et moral, qu'il chiffre comme en première instance à 40 000 euros.

Sur le bien-fondé du motif d'annulation retenu par le tribunal :

3. Pour annuler l'arrêté du 5 décembre 2017 portant radiation des cadres de M. B... ainsi que la décision du 13 juin 2018 par laquelle le maire de la commune de Rempnat a refusé de réintégrer l'intéressé dans ses fonctions, le tribunal administratif de Limoges a estimé que, à la date de sa radiation par le maire de la commune de Rempnat, M. B... justifiait de son absence pour raisons médicales et ne pouvait ainsi être regardé comme ayant manifesté son intention de rompre tout lien avec le service, au seul motif qu'il n'avait pas repris son poste après les deux mises en demeure adressées par le maire.

4. Une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste ne peut être régulièrement prononcée que si l'agent concerné a, préalablement à cette décision, été mis en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai approprié qu'il appartient à l'administration de fixer. Une telle mise en demeure doit prendre la forme d'un document écrit, notifié à l'intéressé, l'informant du risque qu'il encourt d'une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable. Lorsque l'agent ne s'est pas présenté et n'a fait connaître à l'administration aucune intention de reprendre son service avant l'expiration du délai fixé par la mise en demeure et en l'absence de toute justification d'ordre matériel ou médical, présentée par l'agent, de nature à expliquer le retard qu'il aurait eu à manifester une telle intention, l'administration est en droit d'estimer que le lien avec le service a été rompu du fait de l'intéressé.

5. Aux termes de l'article 4 du décret susvisé du 30 juillet 1987 relatif au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux : " Le comité médical départemental est chargé de donner à l'autorité compétente, dans les conditions fixées par le présent décret, un avis sur les questions médicales soulevées par (...) l'octroi et le renouvellement des congés de maladie et la réintégration à l'issue de ces congés, lorsqu'il y a contestation./ Il est consulté obligatoirement pour : a) La prolongation des congés de maladie au-delà de six mois consécutifs ; b) L'octroi et le renouvellement des congés de longue maladie ou de longue durée ; c) La réintégration à l'issue d'un congé de longue maladie ou de longue durée (...) ". Aux termes de l'article 15 du décret susvisé du 30 juillet 1987, dans sa rédaction alors applicable : " Pour bénéficier d'un congé de maladie, ainsi que de son renouvellement, le fonctionnaire doit obligatoirement et au plus tard dans un délai de quarante-huit heures adresser à l'autorité dont il relève un certificat d'un médecin (...). / L'autorité territoriale peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé (...) / Le comité médical compétent peut être saisi, soit par l'autorité territoriale, soit par l'intéressé des conclusions du médecin agréé ".

6. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., agent titulaire de la commune de Rempnat, a été placé en congé de maladie du 28 juin 2017 au 4 janvier 2018 pour un état dépressif. Le 10 juillet 2017, le médecin de prévention du centre de gestion de la fonction publique territoriale de la Haute-Vienne a rendu un avis défavorable à la reprise de l'activité professionnelle de M. B.... Après une contre visite réalisée le 25 octobre 2017 par un cabinet privé demandée par la commune de Rempnat, M. B... a toutefois été déclaré apte à reprendre ses fonctions à compter du lendemain. L'intéressé ne s'étant pas présenté à son poste ce jour-là, il a été mis en demeure par courriers des 27 octobre et 12 novembre 2017 de reprendre son travail au plus tard le 22 novembre suivant, sous peine d'être radié des cadres pour abandon de poste. Il n'a pas déféré à ces mises en demeure et a informé la commune de Rempnat, par courrier du 16 novembre 2017, qu'il avait consulté son médecin traitant le 7 novembre 2017, que ce dernier lui avait délivré un nouvel arrêt de travail joint, prolongeant son congé de maladie du 13 novembre au 13 décembre 2017, ainsi qu'un nouveau certificat médical indiquant que son état de santé ne lui permettait pas de reprendre son poste. Par ce même courrier, M. B... indiquait son intention de saisir le comité médical départemental en application de l'article 15 du décret du 30 juillet 1987. Par ailleurs, le médecin agréé par le comité médical qui a examiné M. B... le 4 décembre 2017, soit avant la décision prononçant sa radiation des cadres, a émis un avis défavorable à sa reprise de fonctions. Cet avis a été confirmé par le comité médical le 19 décembre 2017. Dans ces conditions, M. B..., qui a justifié avant sa radiation s'être trouvé dans l'impossibilité de reprendre son travail, ne peut être regardé comme ayant manifesté sa volonté de rompre le lien qui l'unissait à la commune de Rempnat. Si la commune fait valoir que M. B... avait demandé sa mise en disponibilité pour créer son entreprise, que sa manière de servir n'était pas satisfaisante et que le service rencontrait des difficultés d'organisation en raison de ses absences, ces circonstances sont en l'espèce sans incidence. Il s'ensuit que c'est à bon droit que le tribunal administratif de Limoges a accueilli le moyen tiré de ce que l'arrêté du 5 décembre 2017 prononçant la radiation des cadres de M. B... est entaché d'une erreur d'appréciation et a prononcé pour ce motif l'annulation de cet arrêté et de la décision du 13 novembre 2017 par laquelle le maire de la commune de Rempnat a rejeté sa demande de réintégration.

7. Il résulte de ce qui précède que la commune de Rempnat n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a annulé les décisions litigieuses.

Sur l'appel incident :

8. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité.

9. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser les frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.

10. Par la voie de l'appel incident, M. B... conteste le jugement en litige en tant qu'il a limité le montant de ses préjudices à 2 000 euros.

11. En premier lieu, M. B... conteste le rejet par le tribunal d'indemniser son préjudice financier. A cet égard, il est constant que M. B... a créé son entreprise après sa radiation des cadres pour abandon de poste. Or si le requérant produit en appel ses avis d'impôt sur le revenu au titre des années 2017 et 2018 ainsi que plusieurs bulletins de paie de l'année 2017, ces seuls éléments, en l'absence notamment de toute pièce fiscale et comptable relative à son entreprise permettant d'appréhender les bénéfices retirés de son activité, ne suffisent pas à établir la réalité ni l'étendue du préjudice financier et notamment la différence entre la rémunération qu'il aurait pu percevoir en l'absence d'éviction illégale du service et l'ensemble des sommes qu'il a perçues depuis son éviction. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté ce chef de préjudice.

12. En second lieu, c'est par une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par M. B... en raison de l'illégalité fautive entachant les décisions en litige que le tribunal a condamné la commune de Rempnat à lui verser une somme de 2 000 euros.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge des parties une quelconque somme au titre des frais liés à l'instance.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Rempnat est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées à titre incident et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par M. B... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Rempnat et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Florence Demurger, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 novembre 2022.

La rapporteure,

Caroline D...

La présidente,

Florence DemurgerLa greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Vienne en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20BX01984


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01984
Date de la décision : 30/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : CLERC

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-11-30;20bx01984 ?
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