La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/11/2022 | FRANCE | N°20BX03961

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 15 novembre 2022, 20BX03961


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 11 septembre 2018 par laquelle la présidente du conseil départemental de la Creuse a suspendu provisoirement sa mise à disposition auprès du conseil en architecture, urbanisme et environnement.

Par un jugement du 8 octobre 2020, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 décembre 2020, M. D..., représenté par Me Marion, dem

ande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 8 octobre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 11 septembre 2018 par laquelle la présidente du conseil départemental de la Creuse a suspendu provisoirement sa mise à disposition auprès du conseil en architecture, urbanisme et environnement.

Par un jugement du 8 octobre 2020, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 décembre 2020, M. D..., représenté par Me Marion, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 8 octobre 2020 ;

2°) d'annuler la décision du 11 septembre 2018 de la présidente du conseil départemental de la Creuse ;

3°) de mettre à la charge du département de la Creuse une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges ont " dénaturé " la décision contestée qui, contrairement à ce qu'ils ont indiqué, ne peut être regardée comme une décision " ayant mis fin à (sa) mise à disposition " ;

- cette décision ne repose sur aucun fondement légal, la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ne prévoyant pas la possibilité de suspendre une mise à disposition ;

- elle constitue un détournement de procédure dès lors que l'utilisation de la mesure de suspension est réservée aux cas dans lesquels un fonctionnaire commet une faute grave et doit être limitée dans le temps, en principe à une période de quatre mois ;

- les faits qui lui étaient reprochés n'étaient ni suffisamment graves ni suffisamment étayés pour justifier une mesure de suspension ;

- la mesure de suspension prise constitue une sanction disciplinaire déguisée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2022, le département de la Creuse conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. D... d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 2008-580 du 18 juin 2008 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... A...,

- et les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par une convention de mise à disposition conclu le 25 avril 2007, le conseil départemental de la Creuse a mis M. D..., conservateur du patrimoine, à disposition du conseil en architecture, urbanisme et environnement (CAUE) à raison de 17 heures 30 par semaine, pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction. En dernier lieu, par un arrêté du 6 juillet 2016, la mise à disposition de M. D... en qualité de directeur a été renouvelée pour une durée de 3 ans à compter du 1er mai 2016. Par une décision du 11 septembre 2018, la présidente du conseil départemental de la Creuse a suspendu à titre provisoire la mise à disposition de M. D.... Ce dernier relève appel du jugement du 8 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

2. D'une part, aux termes de l'article 61 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, alors applicable : " La mise à disposition est la situation du fonctionnaire qui demeure dans son cadre d'emplois ou corps d'origine, est réputé y occuper un emploi, continue à percevoir la rémunération correspondante, mais qui exerce ses fonctions hors du service où il a vocation à servir (...) ". Aux termes de l'article 5 du décret du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux : " I - La mise à disposition peut prendre fin avant le terme prévu par arrêté de l'autorité territoriale investie du pouvoir de nomination, sur demande de la collectivité territoriale ou de l'établissement public d'origine, de l'organisme d'accueil ou du fonctionnaire, dans le respect des règles de préavis prévues dans la convention de mise à disposition. S'il y a pluralité d'organismes d'accueil, la fin de la mise à disposition peut s'appliquer à une partie seulement d'entre eux. Dans ce cas, les autres organismes d'accueil en sont informés. En cas de faute disciplinaire, il peut être mis fin sans préavis à la mise à disposition par accord entre la collectivité territoriale ou l'établissement public d'origine et l'organisme d'accueil. II. - Lorsque cesse la mise à disposition, le fonctionnaire qui ne peut être affecté aux fonctions qu'il exerçait précédemment dans son service d'origine reçoit une affectation dans l'un des emplois que son grade lui donne vocation à occuper, dans le respect des règles fixées au deuxième alinéa de l'article 54 de la loi du 26 janvier 1984. ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline (...) ".

4. Si, comme l'ont relevé les premiers juges, l'arrêté du 11 septembre 2018 fait notamment état de " l'absence de dispositions dans la convention en date du 25 avril 2007 (...) relatives aux règles de préavis à observer pour mettre fin à la mise à disposition ", l'article 1er de cet arrêté énonce que " la mise à disposition de M. D... (...) auprès du CAUE est suspendue à titre provisoire " tandis que l'article 2 du même arrêté prévoit que, à compter de la date de notification de cette mesure, l'intéressé " assurera la totalité de son service sur l'emploi d'expert des patrimoines et paysages au sein de la direction générale des services ". Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que l'arrêté du 11 septembre 2018 est intervenu à la suite d'une enquête administrative suivie d'un rapport d'enquête provisoire lequel a donné lieu, le 14 septembre 2018, à la remise à M. D... d'un courrier par lequel la présidente du conseil départemental de la Creuse lui a indiqué que " les conclusions provisoires de cette enquête laissent apparaître de possibles fautes professionnelles qui me conduisent à suspendre votre mise à disposition du CAUE dans l'attente de la procédure disciplinaire ". Dans ces conditions, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, la présidente du conseil départemental de la Creuse doit être regardée non comme ayant mis fin à la mise à disposition de M. D... en application des dispositions citées au point 2 mais comme ayant suspendu l'intéressé sur le fondement des dispositions citées au point 3.

5. En premier lieu, en vertu de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur, la situation du fonctionnaire suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Aux termes des dispositions de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, alors en vigueur : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) ".

6. Un fonctionnaire suspendu à titre conservatoire a droit en cette qualité à des congés de maladie ou de longue maladie en cas de maladie dûment constatée le mettant dans l'impossibilité d'exercer les fonctions qu'il exercerait s'il n'était pas suspendu et bénéficie du régime de rémunération afférent à ces congés. Le placement de ce fonctionnaire en congé de maladie ou de longue maladie met nécessairement fin à la mesure de suspension, sans préjudice de la possibilité pour l'administration de décider à nouveau à l'issue du congé si les conditions mise au prononcé d'une mesure de suspension sont toujours remplies.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. D..., admis à faire valoir ses droits à la retraite le 1er avril 2019, a été placé en congé de maladie ordinaire à compter du 15 décembre 2018. Ce placement a nécessairement mis fin à la mesure de suspension prononcée par l'arrêté du 11 septembre 2018. Dès lors, le moyen tiré de ce que le délai de quatre mois prévu par l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 a été dépassé ne peut qu'être écarté.

8. En deuxième lieu, la suspension d'un fonctionnaire, prise sur la base des dispositions de l'article 30 de la loi de 1983, est une mesure à caractère conservatoire, prise dans le souci de préserver l'intérêt du service public. Elle ne peut être prononcée que lorsque les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et que la poursuite des activités de l'intéressé au sein de l'établissement présente des inconvénients suffisamment sérieux pour le service ou pour le déroulement des procédures en cours.

9. Il ressort des pièces du dossier que, le 16 mars 2018, au cours d'une réunion organisée avec le département de la Creuse, l'union départementale des syndicats Force ouvrière de la Creuse a évoqué des cas de souffrances au travail exprimées par certains agents du CAUE dirigé par M. D.... Une enquête administrative, au cours de laquelle tous les salariés ont été entendus et l'ensemble des comptes a été examiné, a alors été diligentée au sein du service. Le rapport provisoire de cette enquête daté du 31 août 2018, sur lequel la présidente du conseil départemental de la Creuse s'est fondée, se réfère aux témoignages des agents du CAUE qui, unanimement, expliquent que M. D... succombe parfois à la colère, qu'il présente " un comportement presque cruel envers les personnalités fragiles, majoritairement des femmes " et " souvent inadapté voire scandaleux ", qu'il interpelle certains agents avec des surnoms dévalorisants voire injurieux, qu'il s'adresse à un agent par l'appellation " la sexuelle ", qu'il se livre à des claquements de talons et des " saluts nazis " ainsi qu'à des " blagues à caractère xénophobe " et des " réflexions sexistes sur les tenues vestimentaires ". Ce rapport mentionne par ailleurs des irrégularités de pointage dans la gestion du temps de travail de l'intéressé qui, selon la présidente du conseil départemental, n'a jamais respecté son obligation de pointage ni ses horaires de travail. Il ressort des pièces du dossier que ces irrégularités concernent également la gestion de ses congés et le remboursement de ses frais de repas. En outre, le rapport d'enquête fait mention de " sérieux doutes sur la réalité (des) compétences scientifiques et managériales " de M. D... ainsi que de faits de plagiats confirmés par un secrétaire de la société des sciences de la Creuse et la conservatrice adjointe au service archéologie de la DRAC à Limoges. Enfin, ce rapport indique que M. D... s'affranchit des règles relatives aux fouilles archéologiques. Dans ces conditions, en prononçant, par l'arrêté du 11 septembre 2018, la mesure de suspension litigieuse, la présidente du conseil départemental de la Creuse n'a pas commis d'erreur d'appréciation.

10. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la suspension de fonctions litigieuse ait revêtu le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée. Par suite, le moyen tiré du détournement de procédure doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 11 septembre 2018 de la présidente du conseil départemental de la Creuse. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a également lieu de rejeter les conclusions présentées au même titre par le département de la Creuse.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le département de la Creuse sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et à la présidente du conseil départemental de la Creuse.

Délibéré après l'audience du 24 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère,

M. Anthony Duplan, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 novembre 2022.

L'assesseure la plus ancienne

dans l'ordre du tableau

Caroline Gaillard

La présidente-rapporteure,

Karine A...

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au préfet de la Creuse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20BX03961


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03961
Date de la décision : 15/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : CABINET TEILLOT - MAISONNEUVE - GATIGNOL - JEAN - FAGEOLE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-11-15;20bx03961 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award