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08/11/2022 | FRANCE | N°20BX00508

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 08 novembre 2022, 20BX00508


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 février 2020, 27 avril 2021, 31 mai 2021, 2 juillet 2021, 23 juillet 2021 et 9 juin 2022, l'association Vigilance Souffrignac et environs, l'association Eole et moi, M. et Mme R... B..., AC... T..., M. et Mme U... H..., AD... AB..., M. V... I..., Mme Q... M..., Mme J... N..., M. AA... O... et Mme S... Z..., M. L... E... et Mme W... F..., M. et Mme D... C..., M. et Mme G... P..., et M. et Mme Y... K..., représentés par Me Monpion, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 8 octobre 2019

par lequel la préfète de la Charente a délivré à la société SNC Ferme...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 février 2020, 27 avril 2021, 31 mai 2021, 2 juillet 2021, 23 juillet 2021 et 9 juin 2022, l'association Vigilance Souffrignac et environs, l'association Eole et moi, M. et Mme R... B..., AC... T..., M. et Mme U... H..., AD... AB..., M. V... I..., Mme Q... M..., Mme J... N..., M. AA... O... et Mme S... Z..., M. L... E... et Mme W... F..., M. et Mme D... C..., M. et Mme G... P..., et M. et Mme Y... K..., représentés par Me Monpion, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 8 octobre 2019 par lequel la préfète de la Charente a délivré à la société SNC Ferme éolienne de Feuillade et Souffrignac une autorisation unique en vue de l'installation d'un aérogénérateur sur le territoire de la commune de Souffrignac et de deux autres sur le territoire de la commune de Feuillade ainsi que d'un poste de livraison ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le recours n'avait à être notifié ni à l'auteur de la décision ni au titulaire de l'autorisation dès lors que l'autorisation a été délivrée le 8 octobre 2019 et doit être regardée comme une autorisation environnementale soumise au régime de l'ordonnance de 2016 ;

- ils ont intérêt à demander l'annulation de l'arrêté contesté ;

- l'arrêté n'est pas suffisamment motivé ;

- l'arrêté contesté vise un avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites du 11 juillet 2019 qui n'existe pas ;

- le dossier de demande d'autorisation est incomplet en ce qu'il ne permet pas d'appréhender avec suffisamment de précisions les capacités financières de la société pétitionnaire ;

- l'étude d'impact est insuffisante ; l'étude d'impact n'a pas pris en compte le risque de pollution de l'unique ressource en eau potable de qualité de 9 communes de la région ; l'étude d'impact n'a pas pris en compte l'impact du projet sur le paysage ; l'effet de surplomb quasi-systématique est avéré quelles que soient la vue et la distance à laquelle se situent les habitations ou les infrastructures locales ; l'étude d'impact ne prend pas en compte l'impact du projet sur la santé ; l'étude acoustique est tronquée et lacunaire ; l'étude d'impact est incomplète s'agissant de la biodiversité ;

- l'avis de la direction générale de l'aviation civile est caduc à la suite de l'entrée en vigueur le 18 juin 2021 de l'instruction n° 1050/DSAE/DIRCAM relative aux traitements des dossiers obstacles ;

- la société pétitionnaire n'a pas produit les éléments justifiant des modalités selon lesquelles elle prévoit de disposer des capacités tant techniques que financières pour assumer l'ensemble des exigences susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l'exploitation et de la remise en état du site en méconnaissance des articles L. 181-7 et D. 181-15-2 du code de l'environnement ;

- le projet porte atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ; le projet ne prend pas en compte la sécurité des personnes ; le projet porte atteinte à la protection de la nature et à l'environnement ;

- aucune dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées n'a été prévue par l'arrêté attaqué, le préfet préférant un suivi de la mortalité pendant deux ans et impliquant que les impacts prévus ne sont pas significatifs.

Par des mémoires enregistrés les 1er mars 2021, 28 mai 2021, 29 juin 2021 et le 17 août 2022, la société SNC Ferme éolienne de Feuillade et Souffrignac, représentée par Me Gelas, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge des requérants d'une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable pour défaut de notification du recours contentieux à l'auteur et au bénéficiaire de la décision portant autorisation unique, en méconnaissance des dispositions de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 et du décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 ;

- la requête est irrecevable en l'absence d'intérêt à agir des requérants ;

- les moyens soulevés postérieurement au premier mémoire en défense sont irrecevables en vertu de l'application combinée des articles R. 611-7-2 et R. 311-5 du code de justice administrative ;

- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 31 mai 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- les personnes physiques requérantes ne justifient pas d'un intérêt à agir au sens de l'article R. 181-50 du code de l'environnement ;

- les moyens développés par les requérants ne sont pas fondés.

Par une lettre du 12 septembre 2022, les parties ont été informées de ce que la cour était susceptible de sursoir à statuer en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement pour permettre à l'autorité compétente de prendre une nouvelle décision régularisant le vice tiré de l'insuffisance des indications dans le dossier de demande d'autorisation sur les capacités financières du pétitionnaire.

Par un mémoire du 27 septembre 2022, la société SNC Ferme éolienne de Feuillade et Souffrignac, représenté par Me Gelas, a présenté des observations.

Par un mémoire du 27 septembre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a présenté des observations.

Par un mémoire du 7 octobre 2022, l'association Vigilance Souffrignac et environs, représentée par Me Monpion, a présenté des observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- le décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 ;

- l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme X... A...;

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public ;

- et les observations de Me Saint-Martin, représentant l'association Vigilance Souffrignac et environs et autres et de Me Kerjean-Gauducheau, représentant la société Ferme éolienne de Feuillade et Souffrignac.

Une note en délibéré présentée par Me Gelas pour la société SNC Ferme éolienne de Feuillade et Souffrignac a été enregistrée le 14 octobre 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Le 20 décembre 2016, la société Ferme éolienne de Feuillade et Souffrignac a déposé un dossier de demande d'autorisation unique en vue de la construction et de l'exploitation d'un parc de trois éoliennes d'une hauteur totale de 200 mètres en bout de pale et d'un poste de livraison sur le territoire des communes de Feuillade et de Souffrignac. Par un arrêté du 8 octobre 2019, la préfète de la Charente a délivré l'autorisation sollicitée. L'association Vigilance Souffrignac et environs et autres demandent l'annulation de cet arrêté.

Sur les fins de non-recevoir :

En ce qui concerne l'intérêt à agir :

2. D'une part, en vertu de l'article 2 de ses statuts, modifiés le 17 janvier 2017, l'association Vigilance Souffrignac et environs dont le siège social est situé à Feuillade, a notamment pour but, " dans le cadre de projets d'installation d'éoliennes industrielles ou de tout autre type d'installation de nature à engendrer des conséquences sur notre environnement : (...) de veiller à préserver nos paysages et les espaces naturels qui nous entourent / d'être vigilant quant à la protection de la flore, de la faune et des espèces protégées (...) d'apprécier toutes les éventuelles conséquences de l'implantation d'installations industrielles en milieu rural et notamment les éoliennes (...) ". En vertu de l'article 5 de ses statuts, l'association peut intervenir " auprès des pouvoirs publics " et intenter " toute action de lobbying ou autres possibilités légales de faire se réaliser les buts de l'association y compris si nécessaire, la capacité d'ester en justice ". Son champ d'intervention doit être apprécié en prenant en compte les indications fournies sur ce point par les stipulations des statuts, notamment par le nom de l'association " Vigilance Souffrignac et environs ".

3. D'autre part, en vertu de l'article 2 de ses statuts, l'association Eole et moi a notamment pour but de protéger les espaces naturels, le patrimoine bâti, les monuments historiques, les sites et les paysages du département de la Charente (...) plus particulièrement de la communauté de communes Seuil Charente-Périgord, et en particulier de la commune de Charras et des communes avoisinantes : (...) Feuillade, Souffrignac (...) ", de lutter contre les atteintes qui pourraient être portées à l'environnement, aux hommes, à la faune, et à la flore et notamment chaque fois qu'elles seront susceptibles de toucher au caractère naturel des espaces et des paysages, à l'équilibre biologique et, d'une façon générale, à la santé et à la sécurité des hommes, des animaux et des choses (...) et de lutter, y compris par toute action en justice, contre les projets d'installations industrielles dédaigneuses des intérêts de la nature, des gens, du patrimoine paysager et bâti, notamment contre les usines d'aérogénérateurs dites " parcs " éoliens (...) ".

4. Compte tenu de la situation du projet de parc éolien, implanté sur le territoire des communes de Souffrignac et de Feuillade, et de sa nature, l'objet social de l'association Vigilance Souffrignac et environs et de l'association Eole et moi leur confère un intérêt leur donnant qualité pour agir à l'encontre de l'arrêté en litige. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'intérêt à agir des autres demandeurs, les conclusions dirigées contre l'arrêté du 8 octobre 2019 sont recevables. Ainsi, les fins de non-recevoir tirés de l'absence d'intérêt à agir des requérants doivent être écartées.

En ce qui concerne la notification du recours :

5. Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale : " Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : / 1° Les autorisations délivrées au titre du chapitre IV du titre Ier du livre II ou du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement dans leur rédaction antérieure à la présente ordonnance, ou au titre de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ou de l'ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014, avant le 1er mars 2017, sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l'article L. 181-2 du même code que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont contrôlées, modifiées, abrogées, retirées, renouvelées, transférées, contestées ou lorsque le projet autorisé est définitivement arrêté et nécessite une remise en état ; / 2° Les demandes d'autorisation au titre du chapitre IV du titre Ier du livre II ou du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement, ou de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ou de l'ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014 régulièrement déposées avant le 1er mars 2017 sont instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance ; après leur délivrance, le régime prévu par le 1° leur est applicable ; / (...) ".

6. La demande d'autorisation en litige, déposée le 20 décembre 2016 dans le cadre du dispositif expérimental prévu par l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014, devait être instruite et délivrée selon les modalités prévues par l'ordonnance du 20 mars 2014 et le décret du 2 mai 2014 pris pour son application. En revanche, compte tenu de la date à laquelle l'autorisation unique a été délivrée, le 8 octobre 2019, le régime juridique applicable à la décision après sa délivrance est celui régissant les nouvelles autorisations environnementales, fixé par le chapitre unique du titre VIII du code de l'environnement, et en particulier le régime des recours contentieux défini par l'article R. 181-50 du code de l'environnement.

7. La société SNC ferme éolienne de Feuillade et Souffrignac fait valoir que la requête de l'association Vigilance Souffrignac et environs et autres est irrecevable faute, pour celle-ci, d'avoir produit la preuve de la notification du recours contentieux à l'auteur et au bénéficiaire de la décision, conformément aux dispositions de l'article 25 du décret du 2 mai 2014 relatif à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement. Toutefois, ces dispositions ont été abrogées par l'article 16 du décret du 26 janvier 2017 relatif à l'autorisation environnementale et les articles R. 181-50 et suivants du code de l'environnement, applicables à l'autorisation en litige à compter de sa délivrance, n'imposent plus à l'auteur d'un recours administratif la formalité de la notification préalable de ce recours au titulaire de l'autorisation. Dès lors, l'irrecevabilité tirée de l'absence d'accomplissement desdites formalités de notification ne peut être utilement opposée aux requérants.

Sur la légalité de la décision attaquée :

8. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'environnement, en vigueur à la date du dépôt de la demande, l'autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement, : " (...) prend en compte les capacités techniques et financières dont dispose le demandeur, à même de lui permettre de conduire son projet dans le respect des intérêts visés à l'article L. 511-1 et d'être en mesure de satisfaire aux obligations de l'article L. 512-6-1 lors de la cessation d'activité ". En vertu du 5° de l'article R. 512-3 du même code, la demande d'autorisation mentionne " les capacités techniques et financières de l'exploitant ". Il résulte de ces dispositions que le pétitionnaire est tenu de fournir des indications précises et étayées sur ses capacités techniques et financières à l'appui de son dossier de demande d'autorisation.

9. Il résulte de l'instruction que le dossier de demande d'autorisation indiquait que la société Ferme éolienne de Feuillade et Souffrignac, créée spécifiquement pour exploiter les trois aérogénérateurs des communes de Feuillade et de Souffrignac, était la propriété d'ABO Wind SARL " ABO Wind France ", dont le capital est de 100 000 euros, qui est, elle-même, filiale à 100% d'ABO Wind AG " ABO Wind Allemagne " et que la société ABO Wind s'engageait à mettre à la disposition de la société Ferme Eolienne de Feuillade et Souffrignac l'ensemble des ressources nécessaires, y compris financières, pour satisfaire à l'obligation de démantèlement et de remise en état du site éolien en fin d'exploitation. Les documents joints à la demande d'autorisation, notamment les bilans et les comptes de résultats d'ABO Wind Groupe et d'ABO Wind France ainsi que la cotation CREDITREFORM pour ABO Wind AG et ABO Wind Groupe témoignaient de la solvabilité de la société ABO Wind AG et de ABO Wind Groupe et d'un chiffre d'affaires pour ABO Wind AG de 89 millions d'euros en 2014 et 85 en 2015 et pour ABO Wind Groupe de 109 millions en 2014 et 102 en 2015. Toutefois, si le dossier précisait que le coût de l'investissement nécessaire à la construction et à l'exploitation du parc, évalué à environ 18 087 000 euros, serait financé par des apports en fonds propres à hauteur de 25 % et par recours à un crédit bancaire à hauteur de 75 %, seuls étaient joints sur ce point au dossier de demande, l'engagement de la banque Société Générale du 24 octobre 2016 qui atteste être disposée à examiner une demande de crédit en vue de la réalisation et l'exploitation du parc éolien développé par ABO Wind, objet de cette demande d'autorisation, ainsi qu'un plan d'affaires prévisionnel du projet et un échéancier de la dette bancaire du projet. En outre, si le dossier de demande d'autorisation prévoyait que le futur acquéreur de la société Ferme Eolienne de Feuillade et Souffrignac apporterait le capital nécessaire à la construction du parc, avec ou sans prêt bancaire, et assumerait l'ensemble des engagements relatifs à l'autorisation d'exploiter, il ne comprenait aucun engagement du tiers investisseur, qui n'était pas identifié au stade de la demande. Dans ces conditions, le dossier de demande ne peut être regardé comme suffisamment précis et étayé sur les capacités dont la société Ferme Eolienne de Feuillade et Souffrignac était effectivement en mesure de disposer pour assurer le bon fonctionnement du parc éolien ainsi que le respect de la réglementation tout au long de la phase d'exploitation de l'installation et lors de la remise en état du site. Par suite, l'association Vigilance Souffrignac et environs et autres sont fondés à soutenir que le dossier de demande d'autorisation était insuffisant quant aux capacités financières du pétitionnaire.

10. Aux termes de l'article L. 181-27 du code de l'environnement, issu de l'ordonnance du 26 janvier 2017 : " L'autorisation prend en compte les capacités techniques et financières que le pétitionnaire entend mettre en œuvre, à même de lui permettre de conduire son projet dans le respect des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 et d'être en mesure de satisfaire aux obligations de l'article L. 512-6-1 lors de la cessation d'activité ". L'article D. 181-15-2 du même code, issu du décret du 26 janvier 2017, dispose que : " (...) le dossier de demande est complété dans les conditions suivantes (...) 3° Une description des capacités techniques et financières mentionnées à l'article L. 181-27 dont le pétitionnaire dispose, ou, lorsque ces capacités ne sont pas constituées au dépôt de la demande d'autorisation, les modalités prévues pour les établir. Dans ce dernier cas, l'exploitant adresse au préfet les éléments justifiant la constitution effective des capacités techniques et financières au plus tard à la mise en service de l'installation (...) ". Ces dispositions modifient les règles de fond relatives aux capacités techniques et financières de l'exploitant d'une installation classée pour la protection de l'environnement antérieurement définies à l'article L. 512-1 du code de l'environnement.

11. Il résulte de ces dispositions qu'une autorisation d'exploiter une installation classée ne peut légalement être délivrée, sous le contrôle du juge du plein contentieux des installations classées, si les conditions qu'elles posent ne sont pas remplies. Lorsque le juge se prononce sur la légalité de l'autorisation avant la mise en service de l'installation, il lui appartient, si la méconnaissance de ces règles de fond est soulevée, de vérifier la pertinence des modalités selon lesquelles le pétitionnaire prévoit de disposer de capacités financières et techniques suffisantes pour assumer l'ensemble des exigences susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l'exploitation et de la remise en état du site, au regard des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, ainsi que les garanties de toute nature qu'il peut être appelé à constituer à cette fin en application des article L. 516-1 et L. 516-2 du même code.

12. Ainsi qu'il a été indiqué au point 9, le dossier de demande d'autorisation s'appuyait sur la solvabilité de la société ABO Wind et son engagement de mise à la disposition de la société Ferme Eolienne de Feuillade et Souffrignac de l'ensemble des ressources nécessaires, y compris financières pour satisfaire à l'obligation de démantèlement et de remise en état du site éolien en fin d'exploitation. Si la demande d'autorisation précisait que le coût de l'investissement nécessaire à la construction et à l'exploitation du parc, évalué à environ 18 087 000 euros, serait financé par des apports en fonds propres à hauteur de 25 % et par recours à un crédit bancaire à hauteur de 75 %, la société Générale, dans sa lettre du 24 octobre 2016, s'engageait uniquement à examiner une demande de crédit en vue de la réalisation et l'exploitation du parc éolien développé par ABO Wind, objet de la demande d'autorisation. La société pétitionnaire produit une lettre d'engagement du 1er février 2021 de la société CEZ France, SAS au capital de 472 000 euros, actionnaire de la Ferme éolienne de Feuillade et Souffrignac s'engageant à fournir à la société l'ensemble des fonds nécessaires et l'ensemble de ses compétences techniques afin de garantir à celle-ci qu'elle disposera des capacités techniques et financières suffisantes pour construire et honorer ses engagements dans le cadre de l'exploitation et du démantèlement de son parc éolien. Toutefois, des éléments versés au dossier permettent de mettre en doute la solidité financière de cette société, alors que la société pétitionnaire n'apporte aucune pièce permettant au contraire d'estimer que ses capacités financières ou celle de son actionnaire seraient suffisantes pour construire, exploiter et démanteler le parc projeté. Dans ces conditions, l'ensemble des justifications n'apparaissent pas, en l'espèce, pertinentes au regard des prescriptions de l'article L. 181-27 du code de l'environnement.

Sur la mise en œuvre de l'article L. 181-18 du code de l'environnement :

13. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 26 janvier 2017 : " I. Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. / II. En cas d'annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l'autorisation environnementale, le juge détermine s'il y a lieu de suspendre l'exécution des parties de l'autorisation non viciées ".

14. Il résulte de ce qui a été indiqué au point 12 du présent arrêt que la société pétitionnaire ne justifie pas disposer de capacités financières propres ou fournies par des tiers de manière suffisamment pertinente, la mettant à même de mener à bien son projet et d'assumer l'ensemble des exigences susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l'exploitation et de la remise en état du site au regard des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Ce vice tiré de l'insuffisance des capacités financières de la société pétitionnaire n'est pas régularisable. Par suite, il n'y a pas lieu de mettre en œuvre les dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.

15. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 8 octobre 2019.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des requérants, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la SNC Ferme éolienne de Feuillade et Souffrignac au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement aux seules associations Vigilance Souffrignac et environs et Eole et moi d'une somme globale de 1 500 euros en application de ces mêmes dispositions et de rejeter le surplus des conclusions des requérants sur ce point.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté de la préfète de la Charente du 8 octobre 2019 est annulé.

Article 2 : L'Etat versera à l'association Vigilance Souffrignac et environs et à l'association Eole et moi une somme globale de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Vigilance Souffrignac et environs, désignée en application de l'article R.751-3 du code de justice administrative, à la SNC Ferme éolienne de Feuillade et Souffrignac et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la préfète de la Charente.

Délibéré après l'audience du 11 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Claire Chauvet, présidente assesseure,

Mme Nathalie Gay, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 novembre 2022.

La rapporteure,

Nathalie A...La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20BX00508 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00508
Date de la décision : 08/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : MONPION

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-11-08;20bx00508 ?
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