Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 17 mai 2021 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui renouveler son titre de séjour " vie privée et familiale ".
Par un jugement n° 2103397 du 1er mars 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 mars 2022, et un mémoire non communiqué enregistré le 18 juillet 2022, M. D..., représenté par Me Aymard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 1er mars 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 17 mai 2021 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, ou à défaut de réexaminer sa situation, et de le munir, pendant le temps de ce réexamen, d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que pour lui refuser le renouvellement de son titre de séjour, la préfète s'est fondée sur les dispositions de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il convient de mettre en balance les considérations d'ordre public avec son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les dispositions de l'article L. 131-30-2 du code pénal, de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 631-3-1 du même code font obstacle à son éloignement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juin 2022, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 23 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 8 août 2022 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B... C...,
- et les observations de Me Aymard, représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., né le 20 août 1994, de nationalité marocaine, est entré, en France le 19 décembre 2003 à l'âge de 9 ans. Il a sollicité le renouvellement de son dernier titre de séjour qui expirait le 1er juillet 2020. Par une décision du 17 mai 2021, la préfète de la Gironde lui en a refusé le bénéfice. M. D... relève appel du jugement du 1er mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public. ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". L'autorité administrative ne peut, dans ce cadre, opposer un refus à une telle demande ou retirer la carte dont un étranger est titulaire qu'au regard d'un motif d'ordre public suffisamment grave pour que ce refus ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du demandeur. Il appartient ainsi à cette autorité d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle et actuelle pour l'ordre public, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration. Lorsque l'administration oppose ce motif pour refuser de faire droit à une demande de délivrance ou de renouvellement d'une carte de séjour temporaire ou retirer une carte de séjour, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.
3. Il ressort des pièces du dossier, notamment du bulletin numéro 2 du casier judiciaire de M. D..., que celui-ci a été reconnu coupable de diverses infractions pénales commises entre 2014 et 2019 et condamné à diverses peines, en dernier lieu, par l'arrêt correctionnel du 18 mars 2020 de la cour d'appel de Limoges à quatre ans d'emprisonnement pour trafic de stupéfiants. Il ressort par ailleurs, des pièces du dossier, notamment des certificats de scolarité et des titres de séjour qui lui ont été délivrés à partir de l'âge de 18 ans, que l'intéressé, aujourd'hui âgé de 22 ans, séjourne depuis l'âge de 9 ans de façon continue en France, n'a pas de lien avec un autre pays, et ne peut d'ailleurs faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Les pièces du dossier révèlent par ailleurs une évolution de son comportement ainsi qu'en témoignent sa mère et sa fratrie. En outre, ces derniers sont de nationalité française, son père est titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 18 janvier 2031, et selon des attestations de son père, de sa mère, de sa sœur et de sa fiancée, il entretient avec eux des liens d'affection importants et vivait d'ailleurs au domicile de ses parents avant son incarcération. Enfin, l'intéressé qui dispose d'un CAP de boucherie est en voie d'intégration professionnelle en France, la société Altaturka lui ayant adressé une promesse d'embauche, et son père attestant de son projet d'achat d'un local commercial pour y exercer leur activité professionnelle commune de bouchers. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, dans les circonstances de l'espèce, la décision de refus de renouvellement du titre de séjour opposée à M. D... par la préfète de la Gironde est entachée d'erreur d'appréciation et a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Elle a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté préfectoral du 17 mai 2021.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
5. En application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, il y a lieu, sous réserve d'un changement substantiel dans la situation de droit ou de fait de l'intéressé, d'enjoindre à la préfète de la Gironde de délivrer à M. D... une carte de séjour temporaire " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, au titre des frais de la présente instance, une somme de 1 200 euros à verser à M. D....
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2103397 du 1er mars 2022 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L'arrêté de la préfète de la Gironde du 17 mai 2021 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Gironde de délivrer à M. D... un titre de séjour mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. D... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 4 octobre 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
M. Nicolas Normand, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 octobre 2022.
Le rapporteur,
Nicolas C...
La présidente,
Evelyne Balzamo
Le greffier,
Christophe Pelletier La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX00872