Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 27 décembre 2018 par lequel le ministre de la transition écologique et solidaire a prononcé son déplacement d'office à titre de sanction disciplinaire, ensemble la décision implicite par laquelle le ministre a rejeté son recours gracieux.
Par un jugement n° 1902869 du 7 décembre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à ces demandes.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 9 février 2021 sous le n°21BX00472, la ministre de la transition écologique demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 7 décembre 2020;
2°) de rejeter les demandes présentées par M. A... devant ce tribunal.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le sens des conclusions du rapporteur public ne lui a été communiqué que trop tardivement ;
- seuls les éléments du rapport d'enquête en lien avec le comportement de M. A... devaient figurer dans son dossier individuel et, au demeurant, celui-ci n'a demandé la communication ni de l'intégralité de ce rapport ni de celle des témoignages recueillis au cours de cette enquête ;
- à supposer qu'il ait demandé cette communication, celle-ci a été adressée à tort au conseil de discipline et non à l'administration ;
- les éléments qui ne lui ont pas été communiqués n'étaient pas utiles à sa défense ;
- la communication des témoignages susmentionnés aurait été de nature à causer un grave préjudice à leurs auteurs ;
Par ailleurs, elle entend se rapporter à ses conclusions de première instance en ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. A... à l'encontre des décisions annulées.
Par un mémoire enregistré le 17 mai 2021, M. A..., représenté par Me Debelle-Chastaing, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des frais exposés pour l'instance.
Il soutient que les moyens invoqués à l'encontre du jugement attaqué ne sont pas fondés et entend s'en rapporter à sa requête de première instance pour le surplus.
II. Par une requête enregistrée le 9 février 2021 sous le n°21BX00473, la ministre de la transition écologique demande à la cour de surseoir à l'exécution de ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 7 décembre 2020.
Elle soutient que, pour les mêmes motifs que ceux invoqués dans sa requête n° 21BX00472, il existe un doute sérieux sur la régularité et le bien fondé du jugement attaqué.
Par un mémoire enregistré le 19 mars 2021, M. A..., représenté par Me Debelle-Chastaing, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des frais exposés pour l'instance.
Il soutient que les moyens invoqués à l'encontre du jugement attaqué ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Le Bris, rapporteure publique,
- et les observations de Me Debelle-Chastaing, représentant M A....
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes enregistrées sous les n° 21BX00472 et 21BX00473 présentent à juger des mêmes questions, sont dirigées contre un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il soit statué par un même arrêt.
2. M. A..., technicien supérieur en chef du développement durable, était affecté, depuis 2012, à la direction départementale des territoires et de la mer de la Gironde comme chef du pôle "cultures marines et environnement" du service maritime et littoral d'Arcachon. A la suite d'une enquête administrative réalisée par le conseil général de l'environnement et du développement durable ainsi que par l'inspection générale des affaires maritimes, il a été suspendu de ses fonctions du 19 septembre 2018 au 18 janvier 2019. Par arrêté du 27 décembre 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire a prononcé à son encontre une sanction disciplinaire en lui infligeant un déplacement d'office. Le recours gracieux présenté par M. A... contre cette sanction a été implicitement rejeté le 7 mai 2019. La ministre de la transition écologique relève appel du jugement du 7 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé ces deux décisions.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative: " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne. (...) " La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par ces dispositions, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.
4. Il ressort des pièces de la procédure que le sens des conclusions du rapporteur public sur l'affaire litigieuse a été porté à la connaissance des parties le vendredi 13 novembre 2020 à 14 h 00, alors que l'audience de la cour administrative d'appel se tenait le lundi 16 novembre 2020 à 10 h 30. Les parties ont ainsi été informées, dans un délai raisonnable avant l'audience, du sens des conclusions sans que la ministre puisse utilement soutenir que cette affaire était " particulièrement suivie et marquée par une procédure complexe " ou que les services en charge de la défense de l'Etat n'étaient pas situés dans le ressort du tribunal. Ainsi, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué aurait été rendu au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Aux termes de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 " Tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office, soit avant d'être retardé dans leur avancement à l'ancienneté ". En vertu de ces dispositions, un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même de demander la communication de son dossier, en étant averti en temps utile de l'intention de l'autorité administrative de prendre la mesure en cause. En outre, lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, le rapport établi à l'issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête, font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.
6. La décision de prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre de M. A... a été prise en considération du comportement de l'intéressé décrit dans le rapport de l'enquête administrative mentionnée au point 2. Par suite, ce rapport ainsi que les procès-verbaux des personnes entendues lors de cette enquête sur le comportement de M. A... font, en principe, partie des pièces dont il aurait dû recevoir communication. En l'occurrence, il ressort des pièces du dossier que M. A..., informé de l'engagement d'une procédure disciplinaire à son encontre, a consulté son dossier administratif le 7 novembre 2018 et que ce dossier ne comportait que des extraits du rapport d'enquête administrative mais ne comprenait pas les procès-verbaux d'audition des agents du service.
7. D'une part, la ministre soutient que la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné et, plus précisément que l'influence professionnelle, médiatique, syndicale et politique de M. A... serait telle qu'il serait en mesure d'exercer à leur encontre des représailles. Toutefois, elle ne l'établit pas en se bornant à faire valoir que les personnes ayant témoigné travaillaient dans le même service que M. A... ou qu'il était leur supérieur hiérarchique, qu'il exerçait alors les fonctions de secrétaire général du syndicat national CGT des personnels de l'administration de la mer, que des représentants de ce syndicat siègent au sein de la commission administrative paritaire nationale du corps des techniciens supérieurs du développement durable, que deux agents membres du même syndicat étaient affectés dans le pôle qu'il dirigeait, qu'il entretient des relations avec un élu de l'opposition, candidat aux élections présidentielles, à se prévaloir d'un article de journal dans lequel il n'exprime que les positions prises par le syndicat qu'il représente et à évoquer " la violente altercation " qui l'aurait opposé au début de l'année 2020, en marge d'une manifestation, à un représentant Force ouvrière qui " n'a pas souhaité apporter de témoignage circonstancié sur cette altercation en lien semble-t-il avec le présent litige ".
8. Au demeurant, il ressort également des pièces du dossier que la position de M. A..., qui était alors suspendu de ses fonctions, était nécessairement fragilisée par la procédure disciplinaire dont il faisait l'objet, que les deux agents de son syndicat affectés dans le pôle qu'il dirigeait ont également été mis en cause et, enfin, que la lecture des extraits du rapport qui lui ont été communiqués lui ont permis, à une exception près, d'identifier les personnes qui ont témoigné lors de cette enquête ainsi qu'en convient l'administration en défense.
9. D'autre part, l'administration, qui aurait donc dû, spontanément, communiquer à M. A... les témoignages dont s'agit lors de sa consultation de son dossier, ne peut pas utilement soutenir qu'il ne lui en a pas, ultérieurement, demandé la communication alors, au demeurant, qu'il ressort au contraire des pièces du dossier que, dès le 16 novembre 2018, celui-ci a fait part à sa hiérarchie, par courriel, de son souhait de pouvoir consulter les témoignages le concernant.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre de la transition écologique n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont considéré que M A... n'avait pas reçu communication de l'ensemble des pièces qu'il était en droit d'obtenir en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, qu'il avait ainsi été privé d'une garantie et que la sanction de déplacement d'office dont il a fait l'objet devait, par voie de conséquence, être annulée.
11. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés pour l'instance par M. A....
12. Le présent arrêt, qui statue au fond sur la requête en annulation présentée par la ministre de la transition écologique dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 7 décembre 2020, rend sans objet ses conclusions à fin de sursis à exécution de ce jugement.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n°21BX00473.
Article 2 : La requête n°21BX00472 est rejetée.
Article 3 : l'Etat versera à M. A... une somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre de la transition écologique.
Délibéré après l'audience du 4 octobre à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 octobre 2022.
Le rapporteur,
Manuel C...
Le président,
Didier Artus
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°21BX00472, 21BX00473 2