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25/10/2022 | FRANCE | N°20BX02494

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 25 octobre 2022, 20BX02494


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du directeur régional des finances publiques de la Guyane du 15 juin 2018 portant refus de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie.

Par un jugement n° 1801015 du 4 juin 2020, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 août 2020, M. D..., représenté par Me Le Fur, demande à la cour :

1°) d'annuler l

e jugement du 4 juin 2020 du tribunal administratif de la Guyane ;

2°) d'annuler la décision du dire...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du directeur régional des finances publiques de la Guyane du 15 juin 2018 portant refus de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie.

Par un jugement n° 1801015 du 4 juin 2020, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 août 2020, M. D..., représenté par Me Le Fur, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 4 juin 2020 du tribunal administratif de la Guyane ;

2°) d'annuler la décision du directeur régional des finances publiques de la Guyane du 15 juin 2018 ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'économie, des finances et de la relance de prendre une décision reconnaissant l'imputabilité au service de sa maladie à compter du 15 septembre 2017 et lui accordant un plein traitement à compter de cette date ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision est entachée d'incompétence de sa signataire ; si elle disposait d'une délégation de signature du directeur régional des finances publiques de la Guyane, il n'est pas établi que ce dernier aurait été empêché ; pour écarter ce moyen, le tribunal a inversé la charge de la preuve ;

- il démontre que sa maladie, un état anxiodépressif majeur, a été essentiellement et directement causée par l'exercice de ses fonctions ; la commission de réforme a estimé, dans son avis du 12 avril 2018, que cette maladie était imputable au service ; le médecin expert a relevé l'absence de cause extérieure à l'apparition de la maladie, qu'elle a considérée comme étant imputable au service ; les avis médicaux concordent quant à l'origine professionnelle de la maladie ; la note de service du 7 septembre 2017 s'inscrit dans une série d'agissements de son supérieur hiérarchique caractérisant un harcèlement moral, qui se sont poursuivis le 13 septembre suivant par l'envoi de courriels lui imputant la responsabilité d'une erreur commise par l'un de ses subordonnés ; il a été placé en arrêt maladie à l'issue de l'entretien avec son supérieur hiérarchique du 15 septembre 2017 ; l'administration ne peut valablement s'appuyer sur le compte-rendu d'entretien professionnel établi en mars 2018, relatif à l'année 2017 ; le délai réglementaire de convocation à cet entretien n'a pas été respecté et il n'a pas été mis à même d'apporter une contradiction à son évaluateur qui a confondu les objectifs personnellement assignés et les objectifs du service en se référant à une lettre de mission du 21 février 2017 qui n'a pas été produite aux débats ; aucun objectif ne lui avait été assigné en 2017, faute d'avoir été reçu en entretien professionnel ; aucun fait personnel ni aucune autre circonstance particulière ne permettent de détacher la survenance de sa maladie du service.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions de M. D... à fin d'injonction sont irrecevables ; il n'appartient pas au juge administratif d'adresser des injonctions à l'administration en dehors des hypothèses prévues aux articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative ; en l'espèce, l'annulation de la décision du 15 juin 2018 impliquerait seulement l'intervention d'une nouvelle décision ;

- le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision sera écarté ; il appartient à la partie contestant la qualité du délégataire ayant signé une décision de démontrer l'absence d'empêchement du délégant ; en l'espèce, cette preuve n'est pas rapportée par le requérant ;

- M. D... ne démontre pas avoir subi un harcèlement moral ; il ne produit pas les convocations qu'il affirme avoir reçues ou la fiche de signalement qu'il aurait rédigée ; les courriels de son supérieur hiérarchique du 13 septembre 2017 relèvent d'une relation professionnelle normale et ne comportent aucune marque d'agressivité ; la note du 7 septembre 2017, qui énumère des reproches professionnels sans mise en cause personnelle, n'excède pas le cadre hiérarchique normal ; cette note ne saurait caractériser un harcèlement moral et ne s'inscrit pas dans une série d'agissements répétés ; l'entretien du 15 septembre 2017 s'est déroulé dans un climat cordial et constructif ; les certificats médicaux produits au dossier se bornent à relayer les déclamations de M. D... ; le compte-rendu d'évaluation de l'année 2018 ne traduit pas une intention de l'administration de nuire à M. D... et s'inscrit dans le cadre normal de l'exercice du pouvoir hiérarchique ; la circonstance qu'un lien ait été reconnu entre l'état dépressif du requérant et ses conditions de travail ne suffit pas à caractériser un harcèlement moral ; l'absence de cause extérieure ne suffit pas à établir l'existence d'un lien direct entre sa maladie et son environnement professionnel.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 26 janvier 1984 modifiée ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F... C...,

- et les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., inspecteur divisionnaire des finances publiques hors classe depuis le 26 septembre 2013, a été affecté à compter du 1er octobre 2014 à la direction régionale des finances publiques de Guyane en qualité de responsable du service des impôts des entreprises (SIE) de Cayenne. Placé en congé de maladie ordinaire à partir du 15 septembre 2017 puis en congé de longue durée à compter du 15 décembre suivant pour un syndrome anxiodépressif, il a sollicité la reconnaissance de l'imputabilité au service de son affection. Il relève appel du jugement du 4 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du directeur régional des finances publiques de la Guyane du 15 juin 2018 portant refus de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie.

2. En premier lieu, par une décision du 2 mai 2018, le directeur régional des finances publiques de la Guyane a donné délégation à Mme B... E..., directrice du pôle pilotage et ressources, à l'effet de signer " tous les actes relatifs à la gestion et aux affaires qui s'y rattachent, sous réserve des restrictions expressément prévues par la réglementation ". M. D... n'apporte pas la preuve qui lui incombe que le directeur régional des finances publiques n'aurait pas été absent ou empêché lorsque Mme B... E... a signé la décision du 15 juin 2018 en litige. Dès lors, et ainsi que l'a jugé le tribunal sans inverser la charge de la preuve, le moyen tiré de ce que cette décision émanerait d'une autorité incompétente doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction alors applicable : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. (...) 4° A un congé de longue durée, en cas de tuberculose, maladie mentale, affection cancéreuse, poliomyélite ou déficit immunitaire grave et acquis, de trois ans à plein traitement et de deux ans à demi-traitement (...) Les dispositions du deuxième alinéa du 2° du présent article sont applicables au congé de longue durée (...) ".

4. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

5. Par ailleurs, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés (...) ". Aux termes de l'article 11 de la même loi : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

6. D'une part, M. D... fait valoir que sa maladie a pour origine directe ses conditions de travail et en particulier le harcèlement moral dont il estime avoir été victime du fait des agissements de son supérieur hiérarchique. Il ressort des pièces du dossier que le directeur régional des finances publiques de la Guyane a adressé au requérant une note du 7 septembre 2017 comportant des observations défavorables sur le fonctionnement du service dont il était responsable et l'invitant à " intensifier [son] implication professionnelle ". Cependant, cette note est rédigée dans des termes mesurés, correspondant à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. S'il n'est pas contesté que M. D... a été destinataire de cette note au retour d'une période de congés, son affirmation selon laquelle il aurait été systématiquement convoqué par son supérieur hiérarchique à l'issue de précédentes périodes de congés puis incité à ne plus poser aucun congé annuel jusqu'à la fin de l'année civile, n'est corroborée par aucun élément probant. Par ailleurs, et contrairement à ce que soutient le requérant, les courriels qui lui ont été adressés le 13 septembre 2017 par son supérieur hiérarchique ne comportaient aucune mise en cause personnelle ni propos vexatoire mais se bornaient à l'interroger, dans des termes modérés, sur les modalités de traitement de dossiers en cours. Enfin, si M. D... soutient qu'il a été placé en congé de maladie à l'issue de l'entretien qui s'est tenu, à sa demande, le 15 septembre 2017 avec son supérieur hiérarchique, cette seule chronologie ne suffit pas à établir que cet entretien aurait donné lieu à un comportement ou des propos inappropriés de la part du directeur régional des finances publiques de la Guyane. Les seuls éléments apportés par le requérant ne sont ainsi pas de nature à établir une présomption de harcèlement moral à son encontre de la part de son supérieur hiérarchique.

7. D'autre part, si M. D... établit, par la production de nombreux éléments médicaux, en particulier l'expertise psychiatrique diligentée par l'administration, que son syndrome anxiodépressif n'a pas de cause extérieure à son activité professionnelle et est en lien avec celle-ci, cette circonstance ne suffit cependant pas à établir que l'intéressé aurait été confronté à un contexte de travail pathogène. Or, quels que soient les effets que ses conditions de travail ont pu produire sur le requérant, les seuls éléments versés au dossier, analysés au point précédent, ne suffisent pas à établir qu'elles étaient susceptibles de susciter le développement de la maladie dont il souffre.

8. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent, par suite, qu'être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par M. D... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

Mme Agnès Bourjol, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 octobre 2022.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve C...

Le président,

Didier Artus

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX02494


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX02494
Date de la décision : 25/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : LE FUR DANIEL

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-25;20bx02494 ?
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