Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 18 novembre 2021 par lequel la préfète de la Charente lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n°2103106 du 7 janvier 2022, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 mars 2022, M. B..., représenté par Me Cazanave, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 janvier 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 18 novembre 2021;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Charente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'a pu bénéficier de l'assistance d'un interprète en langue hadiya en méconnaissance de l'article L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales; de ce fait, le jugement précise de manière erronée qu'il a pu présenter ses observations;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle dès lors qu'il ne peut retourner en Ethiopie en raison des risques encourus ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant en raison de ses conséquences sur son fils mineur ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en raison des risques encourus en Ethiopie;
- la préfète s'est crue à tort en situation de compétence liée;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant en raison de ses conséquences sur son fils mineur.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 17 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... B..., ressortissant éthiopien né en 1988, est entré France en avril 2017. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 30 novembre 2018 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 25 mars 2021. Il a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 18 novembre 2021 par lequel la préfète de la Charente lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Il relève appel du jugement du 7 janvier 2022 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué:
2. Aux termes de l'article L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français prise en application des 1°, 2° ou 4° de l'article L. 611-1 est assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quinze jours suivant la notification de la décision. (...) Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction ou parmi les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative statue dans un délai de six semaines à compter de sa saisine./L'étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin le concours d'un interprète et la communication du dossier contenant les pièces sur la base desquelles la décision contestée a été prise./L'audience est publique. Elle se déroule sans conclusions du rapporteur public, en présence de l'intéressé, sauf si celui-ci, dûment convoqué, ne se présente pas. L'étranger est assisté de son conseil s'il en a un. Il peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin qu'il lui en soit désigné un d'office (...) ".
3. Il ressort des termes de l'arrêté préfectoral du 18 novembre 2021 que l'obligation de quitter le territoire français, dont M. B... a fait l'objet, a été prise sur le fondement des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à la suite du rejet de sa demande d'asile. Or, le requérant n'a pas bénéficié d'un interprète lors de l'audience devant la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers qui s'est tenue le 5 janvier 2022 alors qu'il avait demandé, sur le fondement de l'article L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le concours d'un interprète en langue hadiya par une lettre du 2 décembre 2021 enregistrée au greffe du tribunal administratif de Poitiers le même jour et qu'il n'a pas renoncé ultérieurement à sa demande. Il ressort du jugement attaqué que la magistrate désignée a statué sans se prononcer préalablement sur cette demande, qui n'apparaissait pas manifestement injustifiée. Dans ces conditions, et alors que son avocate n'était pas présente lors de l'audience, M. B... est fondé à soutenir que, pour ce motif, le jugement est irrégulier et à en demander l'annulation.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Poitiers.
Sur la légalité de l'arrêté de la préfète de la Charente du 18 novembre 2021 :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3°(...) ".
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite du rejet de sa demande d'asile le 25 mars 2021, M. B... n'a pas déposé de demande de titre de séjour. Dès lors, la préfète qui a pris l'arrêté attaqué sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1, n'avait pas d'obligation de s'enquérir de l'évolution de la situation de l'intéressé ni de le convoquer à un entretien préalable ou d'examiner la possibilité de lui délivrer un titre de séjour sur un autre fondement. Par suite, le moyen tiré de ce que cette décision aurait été prise à la suite d'une procédure irrégulière et serait de ce fait entaché d'un défaut d'examen doit être écarté.
7. En deuxième lieu, la décision attaquée vise les textes applicables, précise que la demande d'asile de M. B... a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile et mentionne les éléments propres à sa situation personnelle, notamment la durée de son séjour en France, la présence de son épouse et de leur fils et les décisions de rejet de leurs demandes de protection internationale. Il mentionne également qu'il n'apporte pas d'élément nouveau de nature à établir qu'il serait en danger en cas de retour dans son pays d'origine. Ce faisant, la préfète a suffisamment motivé sa décision, quand bien même elle n'a pas précisé que M. B... appartenait à la caste des artisans susceptible de faire l'objet de violences.
8. En troisième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire.
9. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que la Cour nationale du droit d'asile, devant laquelle M. B... a bénéficié d'un interprète et où il a pu exposer le détail de sa situation, a estimé que le militantisme politique de l'intéressé et de son épouse et leurs craintes en découlant n'étaient pas établis et que si leur appartenance aux personnes considérées comme porteuses du " buda " pouvait être tenue comme établie, leurs déclarations quant aux agissements dont ils auraient été victimes étaient trop générales et imprécises et qu'ils n'alléguaient ni ne démontraient être dans l'impossibilité d'obtenir la protection des autorités éthiopiennes. Dans ce contexte, les allégations du requérant, dénuées de précision et de tout élément matériel, et la référence à la situation générale des artisans en Ethiopie ne sont pas de nature à établir la réalité des risques que lui-même et sa famille encourraient personnellement en cas de retour dans ce pays. Il en est de même de la circonstance qu'il existe un conflit armé en Ethiopie. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait, pour ce motif, entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle doit être écarté.
10. Pour les mêmes motifs, il en est de même du moyen tiré de ce que cette décision porterait atteinte aux intérêts de son fils mineur, en méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
11. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination prise à son encontre serait privée de base légale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
12. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète se serait cru en situation de compétence liée par rapport à l'appréciation de la Cour nationale du droit d'asile, qui après avoir entendu M. B... avec l'assistance d'un interprète, a rejeté sa demande d'asile.
13. Ainsi qu'il a été dit au point 9, M. B... ne verse aux débats aucun élément circonstancié de nature à établir qu'il courrait personnellement des risques en cas de retour dans son pays d'origine. Ainsi, les moyens tirés de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent être accueillis.
14. En l'absence d'élément de nature à établir l'existence de risques pour M. A..., son épouse et son fils, le moyen tiré de ce que cette décision porterait atteinte à l'intérêt supérieur de son fils mineur en méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du 18 novembre 2021 de la préfète de la Charente doivent être rejetées.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
16. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions aux fins d'annulation présentées par M. B... n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
17. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie principalement perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. B... au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 7 janvier 2022 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Poitiers et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète de la Charente.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2022 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président de la cour,
Mme Marianne Hardy, présidente de chambre,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2022.
La rapporteure,
Christelle D...Le président,
Luc Derepas
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 22BX00906 2