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20/10/2022 | FRANCE | N°20BX04151

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre (formation à 5), 20 octobre 2022, 20BX04151


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Martinique TV Câble a demandé au tribunal administratif de la Martinique de lui accorder la décharge de la somme de 35 441,36 euros mise à sa charge par le titre de recettes n° 000444 émis le 23 décembre 2013 par la commune de Saint-Joseph, d'annuler l'avis de saisie à tiers détenteur n° 6739840934 émis le 20 mai 2019 et portant sur la somme de 35 366,36 euros ainsi que d'annuler le commandement de payer n° 6745021134 émis le 4 juin 2019 pour la même somme.

Par un jugement n°19003

95 du 15 octobre 2020, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Martinique TV Câble a demandé au tribunal administratif de la Martinique de lui accorder la décharge de la somme de 35 441,36 euros mise à sa charge par le titre de recettes n° 000444 émis le 23 décembre 2013 par la commune de Saint-Joseph, d'annuler l'avis de saisie à tiers détenteur n° 6739840934 émis le 20 mai 2019 et portant sur la somme de 35 366,36 euros ainsi que d'annuler le commandement de payer n° 6745021134 émis le 4 juin 2019 pour la même somme.

Par un jugement n°1900395 du 15 octobre 2020, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 décembre 2020 et le 19 avril 2022, la société Martinique TV Câble, représentée par Me Feldman, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 15 octobre 2020 ;

2°) de lui accorder la décharge de la somme de 35 441,36 euros et d'annuler le commandement de payer ainsi que de l'avis de saisie à tiers détenteur ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Joseph une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le jugement a considéré que la juridiction administrative était incompétente pour connaître de sa demande concernant le commandement de payer et l'avis à tiers détenteur, en application de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, dans la mesure où elle contestait le bien-fondé de la créance ainsi que cela ressort des moyens développés dans sa demande et où cette créance revêt un caractère administratif ;

- le jugement est irrégulier en l'absence d'examen des moyens tirés de la prescription de la créance et de l'action en recouvrement qui concernaient l'existence et le bien-fondé de la créance ;

- la somme demandée n'est pas justifiée en l'absence de corrélation entre le montant de la contrepartie demandée par la commune et l'avantage spécifique qu'elle retire de l'occupation du domaine public ; la commune ne justifie pas de cette contrepartie, ni que le barème tienne compte des avantages retirés ;

- la somme demandée ne tient pas compte du régime prévu par l'article R. 20-52 du code des postes et des communications électroniques ; ainsi, le montant dû doit être ramené pour les années considérées à la somme de 6 759,55 euros ;

- ce montant a été établi en méconnaissance du principe d'égalité ;

- l'action en recouvrement du comptable public est prescrite en application de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales du fait du délai écoulé entre la prise en charge de ce titre par le comptable public en décembre 2013 et les poursuites engagées en 2019 ; en admettant même qu'il soit justifié de la notification des avis à tiers détenteurs émis le 24 avril 2015, il s'est également écoulé plus de quatre ans avant l'émission et la réception de l'avis à tiers détenteur du 20 mai 2019 et l'émission du commandement de payer du 4 juin 2019 ;

- le versement de 75 euros du 29 novembre 2016 ne concernait pas cette créance ainsi que l'a admis la commune en défense;

- cette créance est également prescrite en application des articles L. 2321-4 et L. 2125-4 du code général de la propriété des personnes publiques en l'absence de notification du titre de recettes pour l'année 2009, et de preuve de notification d'actes interruptifs de prescription pour les années suivantes.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 avril 2021, la commune de Saint-Joseph, représentée par Me Saint-Cyr, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) d'enjoindre à la société Martinique TV Câble de produire les justificatifs du nombre d'abonnés ainsi que du chiffre d'affaires réalisé sur la commune de Saint-Joseph entre 2008 et 2020 sous astreinte de 500 euros par jours de retard ;

3°) de la condamner à lui verser les redevances des années 2015 à 2020 ;

4°) de mettre à la charge de la société Martinique TV Câble une somme de 3 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- elle justifie de la validité de sa créance et est fondée à obtenir les éléments permettant de calculer la redevance conformément à la convention signée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la propriété des personnes publiques ;

- le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A... B...,

- et les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. En 1991, la Société World Satellite a sollicité auprès de la commune de Saint-Joseph (Martinique) l'autorisation de poser et d'exploiter un câble permettant la télédistribution de chaînes de télévision, qui lui a été accordée par la signature d'une convention d'occupation du domaine public, avec une rétribution de la collectivité à hauteur de 5 francs par mois et par abonné, convertie à 0,7622 euros. Un avenant a été conclu, le 1er août 2006, avec la société Martinique TV Câble venant aux droits de la société World Satellite afin de soumettre le contrat passé aux dispositions de la loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle. A partir de 2008, la société n'a plus communiqué à la commune son nombre d'abonnés et n'a plus payé de redevance. Le 14 février 2011, la commune de Saint-Joseph a émis deux titres exécutoires concernant les redevances pour les années 2009 et 2010 qui ont été annulés par le tribunal administratif de la Martinique le 29 juin 2012 et le titre exécutoire émis le 31 décembre 2012 pour les redevances 2011 et 2012 a été retiré par la collectivité. Le 23 décembre 2013 la commune a émis un titre exécutoire n°444 pour les redevances dues au titre des années 2009, 2010, 2011 et 2012 pour un montant total de 35 441,36 euros en se basant sur le nombre d'abonnés de la dernière année connue. Le 19 juin 2019, la société a reçu une mise en demeure de payer cette somme et le 20 juin suivant le comptable public lui a notifié un avis à tiers détenteur émis le 20 mai 2019 auprès de la banque postale. Le 7 juillet 2019, la société a demandé au tribunal administratif de la Martinique la décharge de cette somme et l'annulation de la mise en demeure et de l'avis à tiers détenteur. Par un jugement n°1900395 du 15 octobre 2020 le tribunal a rejeté sa demande. La société Martinique TV Câble relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions dirigées contre la mise en demeure de payer et l'avis à tiers détenteur :

2. Aux termes de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finance rectificative pour 2017 : " [...] / 1° En l'absence de contestation, le titre de recettes individuel ou collectif émis par la collectivité territoriale ou l'établissement public local permet l'exécution forcée d'office contre le débiteur. / [...] / L'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois à compter de la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite. / 2° La contestation qui porte sur la régularité d'un acte de poursuite est présentée selon les modalités prévues à l'article L. 281 du livre des procédures fiscales. [...] ".

3. Aux termes de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2017 : " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances, amendes, condamnations pécuniaires et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. / [...] / Les contestations relatives au recouvrement ne peuvent pas remettre en cause le bien-fondé de la créance. Elles peuvent porter : / 1° Sur la régularité en la forme de l'acte ; / 2° A l'exclusion des amendes et condamnations pécuniaires, sur l'obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et sur l'exigibilité de la somme réclamée. / Les recours contre les décisions prises par l'administration sur ces contestations sont portés dans le cas prévu au 1° devant le juge de l'exécution. Dans les cas prévus au 2°, ils sont portés: / [...] / c) Pour les créances non fiscales des collectivités territoriales, des établissements publics locaux et des établissements publics de santé, devant le juge de l'exécution. "

4. Il ressort de ces dispositions que l'ensemble du contentieux du recouvrement des créances non fiscales des collectivités territoriales est de la compétence du juge de l'exécution, tandis que le contentieux du bien-fondé de ces créances est de celle du juge compétent pour en connaître sur le fond.

5. Dès lors, s'agissant d'une créance non fiscale des collectivités territoriales, en application des dispositions précitées seul le juge de l'exécution était compétent pour connaître des conclusions dirigées contre la mise en demeure de payer et l'avis à tiers détenteur.

6. Il résulte de ce qui précède que la société Martinique TV Câble n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Martinique a rejeté ses conclusions dirigées contre la mise en demeure de payer et l'avis à tiers détenteur comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Sur les autres conclusions de la société Martinique TV Câble / sur la prescription de la créance :

7. Aux termes de l'article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques, dans sa rédaction applicable au litige : " Toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 donne lieu au paiement d'une redevance sauf lorsque l'occupation ou l'utilisation concerne l'installation par l'Etat des équipements visant à améliorer la sécurité routière ". Aux termes de l'article L. 2125-4 du même code : " La redevance due pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public par le bénéficiaire d'une autorisation est payable d'avance et annuellement. ". Et aux termes de 1' article L. 2321-4 du même code : " Les produits et redevances du domaine public ou privé d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 se prescrivent par cinq ans, quel que soit leur mode de fixation. Cette prescription commence à courir à compter de la date à laquelle les produits et redevances sont devenus exigibles. ".

8. En l'absence de toute autre disposition applicable, les causes d'interruption et de suspension de la prescription quinquennale instituée par les dispositions de l'article L. 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques sont régies par les principes dont s'inspirent les dispositions du titre XX du livre III du code civil. Il en résulte que tant la lettre par laquelle l'administration informe le redevable de son intention de recouvrer une somme qu'un titre exécutoire interrompent la prescription à la date de leur notification. La preuve de celle-ci incombe à l'administration.

9. Il résulte de l'instruction, et il n'est pas contesté, que, en application de ces dispositions, la créance de la commune de Saint-Joseph n'était pas prescrite lorsqu'elle a émis le 23 décembre 2013, un titre de perception pour les redevances dues par la société Martinique TV Câble au titre des années 2009, 2010, 2011 et 2012. Toutefois, il n'est pas établi, ni même allégué, que ce titre ou des actes en procédant émis pour la liquidation de la même créance auraient été notifiés à la société Martinique TV Câble avant le 19 juin 2019. Dans ces conditions, en admettant même que le délai de prescription ait recommencé à courir au plus tard le 23 décembre 2013, à la date d'émission de ce titre, il a expiré le 22 décembre 2018 et la créance était prescrite à la date à laquelle la société requérante a eu connaissance de ce titre exécutoire à l'occasion de l'émission de la mise en demeure de payer les sommes en cause, le 4 juin 2019, et de sa notification, le 19 juin 2019.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement contesté, que la société Martinique TV Câble est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande tendant à la décharge de la somme de 35 441,36 euros.

Sur les conclusions reconventionnelles de la commune de Saint-Joseph :

11. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté comme irrecevables les conclusions reconventionnelles de la commune de Saint-Joseph tendant à ce que la société Martinique TV Câble soit condamnée à lui verser les redevances des années 2015 à 2020 et qu'il lui soit enjoint de produire les justificatifs du nombre d'abonnés ainsi que du chiffre d'affaires réalisé sur la commune de Saint-Joseph entre 2008 et 2020 sous astreinte de 500 euros par jour de retard, au motif qu'elles constituaient un litige distinct de celui dont le tribunal avait été saisi par la société Martinique TV Câble, qui concernait la validité du titre de recettes n° 444 émis le 23 décembre 2013 et la décharge de l'obligation de payer la somme de 35 441,36 euros. Devant la cour, la commune de Saint-Joseph, qui ne demande au demeurant pas l'annulation du jugement de première instance, ne conteste pas l'irrecevabilité qui lui a ainsi été opposée. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ces conclusions.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Saint-Joseph le versement d'une somme de 1 500 euros à la société Martinique TV Câble, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Martinique TV Câble qui n'est pas la partie perdante, la somme que demande la commune de Saint-Joseph au même titre.

DECIDE :

Article 1er : La société Martinique TV Câble est déchargée de la somme de 35 441,36 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique n° 1900395 du 15 octobre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Martinique TV Câble est rejeté.

Article 4 : La commune de Saint-Joseph versera une somme de 1 500 euros à société Martinique TV Câble au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions reconventionnelles de la commune de Saint-Joseph et ses conclusions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Martinique TV Câble et à la commune de Saint-Joseph.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président de la cour,

Mme Marianne Hardy, présidente de chambre,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2022.

La rapporteure,

Christelle B...La présidente,

Luc Derepas

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20BX04151 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre (formation à 5)
Numéro d'arrêt : 20BX04151
Date de la décision : 20/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: Mme Christelle BROUARD-LUCAS
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : SAINT- CYR ODILE

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-20;20bx04151 ?
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