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20/10/2022 | FRANCE | N°20BX03629

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 20 octobre 2022, 20BX03629


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de la Guyane de condamner le centre hospitalier Andrée Rosemon à réparer le préjudice qu'il a subi à la suite de l'infection contractée le 19 mars 2015, et d'ordonner une expertise afin d'en déterminer l'étendue.

Par un jugement n° 1800290 du 2 avril 2020, le tribunal administratif de la Guyane

a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 novembre 2020 et le 22 juillet 2021

, M. D..., représenté par Me Raffier, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal admi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de la Guyane de condamner le centre hospitalier Andrée Rosemon à réparer le préjudice qu'il a subi à la suite de l'infection contractée le 19 mars 2015, et d'ordonner une expertise afin d'en déterminer l'étendue.

Par un jugement n° 1800290 du 2 avril 2020, le tribunal administratif de la Guyane

a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 novembre 2020 et le 22 juillet 2021, M. D..., représenté par Me Raffier, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 2 avril 2020 ;

2°) d'ordonner avant dire-droit une expertise pour déterminer l'étendue de son préjudice, et de surseoir à statuer sur la réparation de celui-ci ;

3°) de condamner le centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne à réparer son préjudice et à lui verser, dans l'attente du rapport d'expertise, une provision d'un montant

de 10 000 euros ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne ou de toute partie succombante la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.

Il soutient que :

- sa requête d'appel est recevable ;

- l'infection nosocomiale qu'il a contractée a pour origine les soins dentaires qu'il a reçus le 19 mars 2015, de sorte que la responsabilité sans faute du centre hospitalier est engagée ;

- une expertise médicale est nécessaire pour déterminer l'étendue de son préjudice ; l'expertise CCI avait été confiée à un médecin qualifié dans les pratiques médico-judiciaires et à un anesthésiste-réanimateur, alors qu'il conviendrait de missionner un spécialiste des maladies infectieuses et un chirurgien-dentiste ; les experts n'ont pas tiré les conclusions de leurs propres constatations ni examiné l'entier dossier médical et les autres causes possibles de l'infection avant d'écarter, de manière insuffisamment motivée, le lien de causalité ;

- à titre subsidiaire, l'expertise devra également porter sur le lien de causalité entre l'infection nosocomiale et l'acte médical ; le rapport d'expertise amiable ne se prononce pas sur les autres causes possibles de l'infection et n'a pas répondu à l'ensemble des points de la mission qui était confiée à ses auteurs.

Par un mémoire, enregistré le 23 juillet 2021, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par le cabinet Birot-Ravaut et associés, conclut à sa mise hors de cause.

Il fait valoir que :

- l'infection présentée par M. D... n'est pas en lien direct et certain avec un acte médical, ce qui exclut toute indemnisation par l'office ;

- la mesure d'expertise avant-dire droit sollicitée par le requérant ne présente pas d'utilité.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 août 2021, le centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne, représenté par le cabinet Fabre Savary Fabbro, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. D... la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- le lien de causalité entre l'infection et les soins dentaires dont M. D... a bénéficié a été écarté à juste titre par les experts désignés par la commission de conciliation et d'indemnisation ;

- une nouvelle expertise ne présente aucune utilité.

Par un mémoire, enregistré le 23 août 2021, la caisse générale de sécurité sociale de la Guyane ne s'oppose pas à l'expertise et sollicite en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale la réserve de ses droits au remboursement des prestations qu'elle a servies, qu'elle n'est pas en mesure de chiffrer avant le dépôt du rapport.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 août 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... A...,

- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Raffier, représentant M. D..., de Me Boinet représentant le centre hospitalier de Cayenne et celles de Me Radzewicz représentant l'ONIAM.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... a été pris en charge par le centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne pour une cellulite dentaire infectieuse, pour laquelle il a bénéficié de 2013 au 19 mars 2015 de plusieurs soins dentaires, dont le dernier sous forme d'une endodontie (soins de racine consistant à retirer d'une dent la pulpe infectée ou nécrosée) avec obturation à chaud. Souffrant de cervicalgies permanentes au cours du mois d'avril 2015, M. D... a passé une IRM, le 21 mai 2015, qui a mis en évidence une lyse de C4 avec compression médullaire. Le 3 juin 2015, il s'est rendu au service des urgences du centre médico-chirurgical de Kourou en raison d'un déficit moteur proximal du membre supérieur gauche. Une exploration par body scanner a établi que le déficit de l'hémicorps gauche avec déficit complet du membre supérieur et incomplet au membre inférieur était dû à une lyse complète de C4, un début de lyse du corps de C3 et une compression majeure du fourreau dural. Au regard d'une suspicion tumorale, il a alors subi dans la nuit du 3 au 4 juin une opération par voie antérieure pour ostéosynthèse C3-C5 avec un greffon en ciment gentamycine. L'aggravation de ses troubles neurologiques en post-opératoire a conduit à une nouvelle intervention le 4 juin par voie postérieure pour ostéosynthèse C3-C4-C5 et laminectomie C4-C5. Les prélèvements bactériologiques ont mis en évidence un staphylocoque doré méticilline sensible, et les analyses anatomopathologiques ont conclu à une spondylodiscite aigüe (infection sévère des disques intervertébraux) et à une absence de processus tumoral visible. M. D... a bénéficié d'une antibiothérapie pendant trois mois et a commencé sa prise en charge rééducative d'une tétraplégie sur spondylodiscite de C4 à partir du 17 août 2015 en métropole. S'il a récupéré une sensibilité et une motricité, il est resté atteint d'une tétraparésie spastique de niveau C6, nécessitant notamment un fauteuil roulant manuel ou un déambulateur à quatre roues.

2. Estimant que ses problèmes neurologiques étaient dus aux soins dentaires dont il avait bénéficié au service d'odontologie du centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne le 19 mars 2015, M. D... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) le 22 juillet 2016. Le rapport d'expertise remis par un médecin spécialiste en médecine légale et un anesthésiste le 24 août 2017 a conclu que l'imputabilité de l'infection aux soins dentaires, qui ont été effectués selon les règles de l'art, ne pouvait être retenue de façon directe et certaine. Au vu de ce rapport, la CCI a émis, le 23 novembre 2017, un avis défavorable à la demande d'indemnisation présentée par M. D... en relevant à la suite des experts que le germe était inhabituel pour des soins bucco-dentaires, plutôt associés usuellement aux streptocoques, et le centre hospitalier a en conséquence rejeté la demande par une décision du 10 janvier 2018. M. D... a alors saisi le tribunal administratif de la Guyane d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier à l'indemniser de ses préjudices et à ce que soit ordonnée, avant dire droit, une expertise en vue d'en déterminer l'étendue. Par le jugement du 2 avril 2020 dont M. D... relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.

3. Aux termes du second alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé et les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins " sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ". Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge. Il n'y a pas lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection a le caractère d'un accident médical non fautif ou a un lien avec une pathologie préexistante.

4. Il résulte de l'instruction que le staphylococcus aureus méticilline sensible, à l'origine de la spondylodiscite aigüe dont a souffert M. D..., a été identifié dans les prélèvements bactériologiques peropératoires du 3 juin 2015, à l'occasion de l'intervention programmée en urgence pour compression médullaire cervicale sur lésion lytique de C4 avec installation progressive d'un déficit sensitivomoteur aux quatre membres. Alors qu'aucun prélèvement n'a été réalisé lors de la prise en charge de M. D... au service d'odontologie du centre hospitalier de Cayenne le 19 mars 2015 et que les germes buccaux sont en général de type streptocoque, il ne ressort d'aucun élément du dossier que cette infection aurait été présente, ou aurait pu être en incubation. Le rapport d'expertise remis le 24 août 2017, s'il conclut que la porte d'entrée du germe dans l'organisme lors de l'endodontie du 19 mars 2015 n'est pas prouvée et qu'un tel germe n'est pas habituel dans les cas de soins bucco-dentaires, reconnaît la possibilité d'une infection par un tel germe lors de tels soins. Il indique les autres portes d'entrée possibles, dont aucune ne correspond à la situation de M. D..., qui n'a subi aucune autre intervention invasive. Il ressort également des pièces produites par M. D... que les cervicalgies sont apparues moins d'un mois après la réalisation des soins bucco-dentaires et la tétraparésie un peu plus de deux mois après. Les circonstances qu'il existerait d'autres voies de contamination possibles, que M. D... présentait une dentition très altérée attestant d'une mauvaise hygiène bucco-dentaire, qu'il est diabétique non insulino-dépendant et en surpoids n'apparaissent pas de nature à caractériser une cause étrangère, ni même à avoir une incidence sur le lien entre les soins et l'infection. De même, la circonstance qu'aucune faute n'aurait été commise dans la réalisation des soins est indifférente pour établir le caractère nosocomial de l'infection. Dans ces conditions, le caractère nosocomial de l'infection ne peut être écarté. En l'état du dossier, il est nécessaire d'ordonner une expertise pour déterminer l'origine du germe et, le cas échéant, le caractère nosocomial de l'infection, et se prononcer sur les préjudices qui n'ont pas été examinés par la précédente expertise.

5. Il résulte de ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande d'expertise avant dire droit pour caractériser un lien de causalité entre une éventuelle infection nosocomiale et les préjudices allégués.

6. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur le droit à réparation de M. D.... Toutefois, l'état de l'instruction ne permet pas de déterminer l'origine de l'infection et l'étendue des préjudices qui lui sont imputables. Par suite, il y a lieu d'ordonner une expertise aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.

7. Dans les circonstances de l'espèce, en l'absence de certitude sur le lien de causalité entre une éventuelle infection nosocomiale et les préjudices allégués, il n'y a pas lieu de condamner le centre hospitalier à verser la provision demandée par M. D....

DECIDE :

Article 1er : Il sera procédé à une expertise médicale contradictoire par un médecin infectiologue, en présence de M. D..., du centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne, de l'ONIAM et de la caisse générale de sécurité sociale de la Guyane.

Article 2 : L'expert aura pour mission :

1°) de prendre connaissance du dossier médical et de tous documents relatifs aux soins dentaires reçus par M. D... et aux conséquences dommageables de l'infection due au staphylocoque doré, et d'examiner M. D... ;

2°) de décrire les conséquences dommageables de l'infection et les traitements dont

M. D... a fait l'objet ;

3°) de dire si l'état de santé de M. D... résulte d'une infection nosocomiale ;

4°) de dire si celle-ci a entraîné un déficit fonctionnel temporaire, et d'en préciser les dates de début et de fin, ainsi que le ou les taux ;

5°) de dire si l'état de santé de M. D... peut être considéré comme consolidé ; de préciser s'il subsiste un déficit fonctionnel permanent, et dans l'affirmative d'en fixer le taux ;

6°) de dire si une éventuelle infection nosocomiale a justifié ou justifie l'aide d'une tierce personne ; de fixer les modalités, la qualification et la durée de cette intervention ;

7°) de préciser les frais liés au handicap et ses conséquences, en distinguant, le cas échéant, ceux qui ne seraient pas en lien avec une infection nosocomiale ;

8°) de donner son avis sur la répercussion de l'incapacité médicalement constatée sur l'activité professionnelle de M. D..., et le cas échéant sur la nécessité d'un changement d'emploi et d'une réadaptation à une nouvelle activité professionnelle ;

9°) de donner son avis sur l'existence de préjudices personnels en lien avec une éventuelle infection (souffrances endurées, préjudice esthétique, préjudice d'agrément...), et le cas échéant d'en évaluer l'importance ;

10°) de donner à la cour tout autre élément d'information qu'il estimera utile.

Article 3 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du code de justice administrative, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressé.

Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour.

Article 5 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, l'expert déposera son rapport au greffe sous forme dématérialisée dans le délai fixé par le président de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.

Article 6 : Les conclusions présentées par M. D... tendant au versement d'une provision sont rejetées.

Article 7 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., au centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne, à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affectations iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), à la caisse générale de sécurité sociale de la Guyane, à la maison départementale des personnes handicapées de la Guyane, à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales et à Me Raffier.

Délibéré après l'audience du 27 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2022.

Le rapporteur,

Olivier A...

La présidente,

Catherine Girault

Le greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20BX03629


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03629
Date de la décision : 20/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SELARL BIROT - RAVAUT ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-20;20bx03629 ?
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