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19/10/2022 | FRANCE | N°20BX00190

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 19 octobre 2022, 20BX00190


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fédération de l'Aude du secours populaire français a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler le titre exécutoire émis le 23 décembre 2009 par lequel l'Agence de services et de paiement (ASP) lui demande le remboursement d'une somme de 5 465 euros perçue à l'occasion de l'exécution d'une convention relevant du régime du " contrat emploi jeune ".

Par un jugement n° 1700550 du 14 novembre 2019, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la

cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 janvier 2020 et le 4 mars 2022...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fédération de l'Aude du secours populaire français a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler le titre exécutoire émis le 23 décembre 2009 par lequel l'Agence de services et de paiement (ASP) lui demande le remboursement d'une somme de 5 465 euros perçue à l'occasion de l'exécution d'une convention relevant du régime du " contrat emploi jeune ".

Par un jugement n° 1700550 du 14 novembre 2019, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 janvier 2020 et le 4 mars 2022, la Fédération de l'Aude du secours populaire français, représentée par Me Mairat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 14 novembre 2019 ;

2°) d'annuler le titre exécutoire émis le 23 décembre 2019 par l'Agence de services et de paiement ;

3°) de mettre à la charge de l'Agence de services et de paiement les dépens et la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête de première instance n'est pas tardive ;

- elle n'est pas débitrice de la somme réclamée et n'a pas passé de convention " emploi jeune majeur " avec l'Agence de services et de paiement (ASP) ;

- le titre exécutoire est insuffisamment motivé en méconnaissance de l'article 12 du décret du 29 décembre 1962 et de l'instruction n°11-008-MO du 21 mars 2011 ; il n'indique pas la juridiction compétente en cas de recours et ne permet aucune identification du débiteur, ni de la créance ;

- la créance n'est ni certaine, ni exigible ;

- l'action en recouvrement est prescrite en application des dispositions de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales et du 3° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales ;

- la créance est prescrite en application de l'article 2224 du code civil.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2021, l'Agence de services et de paiement, représentée par Me Delpla, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la Fédération de l'Aude du secours populaire français de la somme de 2 700 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la requête de première instance est tardive ainsi que l'a jugé le tribunal et, subsidiairement, qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... C...,

- et les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. L'Agence des services de paiement (ASP) a émis, le 23 décembre 2009, un titre exécutoire à l'encontre du Secours populaire pour un montant de 5 465 euros à raison d'une convention " contrat jeune majeur " (CEJ) conclue avec l'Etat en faveur de Mme D... A... pour la période du 21 juillet 1999 au 31 janvier 2001 et au titre de laquelle le Secours populaire de l'Aude aurait perçu, pour la période du 30 octobre 2000 au 31 janvier 2001, une aide de l'Etat versée par l'Agence des services et de paiement (ASP) sans justification des heures travaillées. Après plusieurs courriers de notification retournés avec la mention " boite non identifiable ", l'ASP a notifié à l'antenne de Castelnaudary de la Fédération du Secours populaire français, par un courrier du 29 février 2016 et une relance du 2 mai 2016, l'ordre de recouvrer ladite créance. La Fédération de l'Aude du Secours populaire français a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler le titre exécutoire émis le 23 décembre 2009 par l'ASP. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Limoges, après avoir informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce qu'il était susceptible de fonder son jugement sur un moyen relevé d'office tiré de l'absence de recours dans un délai raisonnable, a rejeté sa demande pour tardiveté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Pour rejeter comme irrecevable pour tardiveté la demande de la Fédération de l'Aude du Secours populaire français, les premiers juges se sont fondés sur le fait que le recours contentieux formé par ladite Fédération devant le tribunal n'avait pas été présenté dans un délai raisonnable.

3. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

4. Les règles énoncées au point 3, relatives au délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel sont également applicables à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu'il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision. Ce principe s'applique également au rejet implicite d'un recours gracieux. La preuve de la connaissance du rejet implicite d'un recours gracieux ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation du recours. Elle peut en revanche résulter de ce qu'il est établi, soit que l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'un refus implicite de son recours gracieux, soit que la décision prise sur ce recours a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration. S'il n'a pas été informé des voies et délais dans les conditions prévues par les textes, l'auteur du recours gracieux, dispose, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, dans la première hypothèse, de la date de naissance de la décision implicite et, dans la seconde, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de cette décision.

5. S'agissant des titres exécutoires, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait son destinataire, le délai raisonnable ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle le titre, ou à défaut, le premier acte procédant de ce titre ou un acte de poursuite a été notifié au débiteur ou porté à sa connaissance.

6. Il résulte de l'instruction que l'antenne de Castelnaudary de la Fédération de l'Aude du Secours populaire français a formé un recours gracieux le 7 mai 2016, contre la décision du 29 février 2016 reçue le 7 mars suivant, portant notification du titre exécutoire du 23 décembre 2009, qui a interrompu le délai de recours contentieux. Ce recours gracieux n'a pas fait l'objet d'un accusé de réception portant les mentions requises et l'informant des conditions de naissance d'une décision implicite. Dans ces conditions, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le délai de recours contre la décision rejetant son recours gracieux et contre la décision visée par ce recours gracieux ne pouvait courir qu'à compter du 8 juillet 2016. Par suite, le moyen tiré de la tardiveté de la requête présentée par la Fédération de l'Aude du Secours populaire français devant le tribunal, découlant de ce que, présentée le 15 avril 2017, ladite requête aurait été formée plus d'un an après le 8 juillet 2016, date à laquelle, compte tenu du recours gracieux formé, la Fédération de l'Aude du Secours populaire français devait être réputée avoir eu connaissance de la décision implicite de rejet, doit être écarté. Dans ces conditions, la Fédération de l'Aude du Secours populaire français est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a accueilli le moyen tiré de la tardiveté de la requête et à en demander, pour ce motif, l'annulation.

7. Il y a lieu, par suite, pour la cour, de statuer par la voie de l'évocation sur la demande présentée par la Fédération de l'Aude du Secours populaire français devant le tribunal administratif de Limoges.

Sur la prescription :

8. La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile a substitué aux dispositions de l'article 2262 du code civil, aux termes duquel : " Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans ", celles du nouvel article 2224, aux termes duquel : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Aux termes de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 : " (...) II. Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. (...) ".

9. D'une part, les dispositions relatives aux prescriptions abrogées sont d'interprétation stricte et ne peuvent être étendues à des cas qu'elles ne visent pas expressément. Il résulte de ce qui précède que l'action en répétition du remboursement d'une aide de contrat de type " Emploi Jeune " relevait, avant l'entrée en vigueur de cette loi, de la prescription trentenaire de droit commun alors prévue par l'article 2262 du code civil. En outre, les aides versées mensuellement par l'ASP entre octobre 2000 et janvier 2001 constituent le fait générateur de l'ordre de reversement émis le 23 décembre 2009 et mis à la charge de la Fédération de l'Aude du Secours populaire français. Par suite, cette dette n'aurait été prescrite, en vertu du régime de prescription trentenaire, qu'en 2031. D'autre part, en vertu des dispositions précitées de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008, la prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du code civil s'applique à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de cette loi, dans la mesure où, comme en l'espèce, la durée totale de la prescription n'excède pas celle prévue par la loi antérieure. Il s'ensuit que le délai de prescription expirait le 18 juin 2013.

10. En l'espèce, il résulte de l'instruction que ce délai a été interrompu par l'émission, le 23 décembre 2009, d'un titre exécutoire puis par des lettres de relance de l'ASP des 12 mars, 22 avril et 26 juillet 2010. Toutefois, en l'absence de tout acte interrompant à nouveau la prescription qui a recommencé à courir à compter du 1er janvier 2011, la prescription était acquise au 31 décembre 2015. Ainsi, lors de la notification le 29 février 2016 du titre exécutoire en litige à la Fédération de l'Aude du Secours populaire français, la créance était prescrite, nonobstant la circonstance selon laquelle l'ASP n'aurait pas identifié plus tôt l'adresse de la Fédération de l'Aude du Secours populaire français. Par suite, le moyen tiré de la prescription de la créance doit être accueilli.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la Fédération de l'Aude du Secours populaire français est fondée à demander l'annulation du titre exécutoire du 23 décembre 2009.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Fédération de l'Aude du Secours populaire français, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que l'ASP demande au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ASP la somme de 1 500 euros à verser à la Fédération de l'Aude du Secours populaire français au titre de ces mêmes frais liés. En l'absence de dépens, la demande de paiement présentée à ce titre par la Fédération de l'Aude du secours populaire français ne peut qu'être rejetée.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 14 novembre 2019 du tribunal administratif de Limoges est annulé.

Article 2 : Le titre exécutoire émis le 23 décembre 2009 par l'Agence de services et de paiement est annulé.

Article 3 : L'Agence de services et de paiement versera à la Fédération de l'Aude du Secours populaire français la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Fédération de l'Aude du Secours populaire français et à l'Agence de services et de paiement.

Délibéré après l'audience du 26 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Florence Demurger, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 octobre 2022.

La rapporteure,

Caroline C...

La présidente,

Florence DemurgerLa greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20BX00190


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00190
Date de la décision : 19/10/2022
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : DELPLA

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-19;20bx00190 ?
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